En temps de crise, le tourisme vit des heures complexes. Après le choc du confinement, l’activité redémarre, à un rythme inégal selon les zones et les segments. L’occasion pour les investisseurs d’accompagner la reprise d’un secteur en pleine mutation. Timothée Hainguerlot, Associé chez Solanet Hôtels partage son expérience et sa vision du secteur. Une discussion avec Vanguélis Panayotis, CEO MKG Consulting.

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Pouvez-vous nous présenter le groupe Solanet.

Nous avons trois métiers et gérons une cinquantaine d’hôtels.

Notre premier métier est d’acquérir pour le compte d’une dizaine de familles que nous accompagnons depuis une trentaine d’années. Nous co-investissons à leurs côtés et nous gérons l’intégralité du processus d’acquisition, du sourcing jusqu’au closing.

Notre deuxième métier est de rénover et de construire. Nous savons tout faire dans ce domaine, de la promotion à la surélévation ou la rénovation pure comme dans cet actif (cf. Hôtel Rochechouart Paris).

Et le troisième métier est la gestion. Nous sommes rémunérées par les familles que nous accompagnons, selon les modèles classiques en pourcentage du chiffre d’affaires et en pourcentage du résultat brut d’exploitation. Nous faisons de la gestion pour le compte de tiers avec un co-investissement sur les différents dossiers qui alignent les intérêts entre nos investisseurs et nos équipes.  

Quelles sont les enseignes ?

Nous ne sommes pas sectaires. Nous avons une gamme très large, du 1 au 4 étoiles. Nous ne faisons pas de luxe, ni d’hôtellerie saisonnière – même si cela pourrait venir un moment.

Nous avons un parc mixe, à la fois franchisé et non franchisé. Il est le fruit de notre histoire. Solanet avait présidé Campanile lors de sa création et l’a accompagné pendant un certain temps. Nous sommes investisseurs chez Louvre Hotels Group sur les marques Première Classe, Campanile, Kyriad et Golden Tulip ; franchisés chez Accor sur les marques ibis styles et Mercure et chez IHG sur les marques Holiday Inn, Holiday Inn Express et Voco et également chez Mariott avec le premier Moxy de Paris. Ensuite, nous possédons tout un parc d’indépendants non franchisé que nous sommes en train de regrouper la marque Orso.

Pouvez-vous me raconter ce moment où le monde a basculé le 15 mars ?

Nous sommes un assez bon échantillon du paysage hôtelier puisque la moitié de nos hôtels sont en Province, l’autre moitié en Île-de-France dont ¼ à Paris. Plus c’est provincial, plus cela va marcher. Plus c’est économique, plus cela a repris. Plus c’est franchisé, plus cela a tenu. Ensuite, il y a une grande différence, selon le pourcentage de clientèle domestique et internationale.

Cet été, nous avons un certain nombre d’hôtels qui ont vu leur performance se dégrader de 15 à 20% en région. Nous avons également eu des dépassements de chiffre N-1 sur la côte Méditerranée et sur Strasbourg, ce qui nous a étonné.

A Paris, nous avons laissé ouvert seulement trois hôtels mais cela a été une erreur. Nous avons eu une performance très inférieure à ce que nous produisions. Ce sont des boutiques hôtels d’une quarantaine de chambres et nous avons réalisé 25 à 30% de taux d’occupation.

Je discutais avec mes investisseurs il y a six mois et ils me demandaient « est-ce que Paris est solide ? », je leur disais « Nous avons connu les Gilets Jaunes, les grèves, les attentats, franchement à part une révolution, je ne vois pas trop ». Mais il y a eu le Covid et personne ne pouvait le prévoir.

Il est vrai que la force de Paris, c’était d’avoir une clientèle extrêmement bien répartie, à la fois MICE et loisirs, avec chaque fois une subdivision entre clientèle domestique et internationale. Aujourd’hui, il manque les deux principales composantes et le marché ne tient plus qu’avec la clientèle domestique.

Que s’est-il passé durant le mois de septembre ?

Tout est rouvert. Comme beaucoup d’hôteliers, nous avons été agréablement surpris par la reprise notamment en Province et par la saison estivale. En revanche, nous nous attendions à une rentrée beaucoup plus vivace et la demande est atone à Paris. Nous nous rendons compte que la clientèle corporate n’est pas de retour, avec encore une fois de grandes disparités ; une Province assez décevante et un Paris inquiétant.

Quel sera l’atterrissage cette année en termes de chiffre d’affaires ? 

Nous nous attendons à une fin d’année très dure. Si nous devions nuancer ce propos et se donner un peu de baume au cœur, cela ne peut pas durer éternellement. Néanmoins, nous partions d’EBITDA qui étaient beaucoup plus élevés que d’autres industries. A l’échelle du portefeuille, nous étions à peu près à 34% et nos deux principales charges sont les emprunts et le personnel.

Pour les emprunts, les banques ont joué le jeu et nous tenons à les remercier. Ils nous ont laissés de l’air pour ne pas être asphyxiés financièrement avec un report d’un an des échéances. Et le chômage partiel nous permet de jouer sur la saisonnalité, d’être très agile, de refermer le week-end ou sur une semaine.

Le point mort de la rentabilité 0 n’est pas encore atteint. Il est atteint au niveau du portefeuille mais il n’est pas atteint sur tous les hôtels.

Paris s’est-il avéré moins intéressant que la Province ?

Ce qui est compliqué avec cette période, c’est qu’il faut être réactif. Les choses changent d’une semaine à une autre. Nous nous rendons compte qu’en septembre, les hôtels qui étaient restés ouverts reprennent plus vigoureusement que les autres.

Pour Paris, nous visons la rentabilité 0+ sur le dernier trimestre, ce qui nous permet de ne pas perdre d’argent. C’est un peu malheureux de dire cela, mais c’est déjà en soi un motif de satisfaction.

Les opérateurs disent que cette crise a permis de renforcer les liens avec nos partenaires, avez-vous ressenti cela ?

Ce que j’ai ressenti, c’est qu’il y avait vraiment des localisations où la marque a permis de tenir les performances. Nous avons eu une position intelligente qui était de dire qu’il ne fallait pas que les groupes qui nous accompagne sortent exempt de la crise. Les franchiseurs et les franchisés devaient s’aider mutuellement et faire des efforts communs quitte à faire des sacrifices financiers.

Il y a des destinées très différentes et pour le coup nous n’en tirons pas de leçons, mais il est vrai que la franchise française a mieux tenu puisque la part de clientèle domestique était plus importante.

Êtes-vous toujours à l’achat avec les familles que vous accompagnez ?

Lorsque vous êtes investisseurs, il faut prendre en compte les autres classes d’actifs alternatives. Le bureau, c’est une classe d’actifs relativement préoccupante. Si nous prenons Paris, nous annonçons de temps en temps des taux de vacances qui pourraient être multipliés par dix. La bourse, elle, fait peur aux gens. L’hôtellerie reste donc un actif tangible souvent assis sur de l’immobilier relativement résilient.

Finalement, si nous regardons ce qui s’est passé après les attentats de 2016 : le réflexe hôtelier est un peu un réflexe paysan. Lorsque nous nous apercevons que les valeurs tendent à s’écrouler, nous faisons le dos rond et souvent, nous retirons notre actif de la vente. Et forcément lorsqu’il y a moins d’offres sur le marché, cela contribue à maintenir les prix hauts. Après les attentats de 2016, il y a eu très peu de transactions et les valorisations ne se sont pas effondrées.

Nous avons souvent des gens qui viennent nous voir qui disent « Nous sommes prêts, ou sont les pendus ? ». Concernant le parc, les banquiers ont été raisonnables ces dernières années. Il n’est pas tant leverage que cela par rapport à d’autres classes d’actifs. C’est souvent des leverages de l’ordre de 50%, mais cela ne peut pas durer éternellement. Selon moi, il y aura assez peu d’actifs en grande difficulté dans les mois qui viennent. En revanche, il y a peut-être des actifs plus petits, les 10 à 25 chambres, qui vont être redirigés sur de l’habitation et c’est eux qui auront du mal, surtout quand ils n’ont pas les murs à tenir.

Le marché va se rééquilibrer. Est-ce le sentiment que vous avez lorsque vous parlez des hôtels plus petits qui sont des zones moins dynamiques ?

Plus un hôtel a de capacité importante, plus il transformera son chiffre d’affaires en rentabilité. Si je prends un hôtel de 100 chambres et un hôtel de 20 chambres, un certain nombre d’abonnements sont les mêmes. Il y a une baisse de charges fixes qui est commune, sauf que c’est beaucoup plus facile de l’absorber lorsque nous avons un hôtel d’une centaine de chambres.

Pensez-vous que le marché ait compris qu’il y avait un tunnel de discount qui reflète la concurrence du marché, mais sans aller vers des prix qui seraient destructeur de valeur ?

Je pense que c’est très compliqué, même s’il y a une solidarité. C’est vrai que c’est extrêmement anxiogène. Nous avons des pick up de J-1 à J-3. Nous commençons les mois sans portefeuille. Nous avons la chance d’avoir des structures qui ont les reins solides, mais je pense aux hôteliers indépendants. La rentabilité de leur actif finance leur train de vie, la location de leur appartement, les courses, l’école, etc.

Il faut garder la tête froide en disant « je veux maintenir les prix », quitte à prendre la marée. Je pense que malheureusement peu de gens vont le faire et nous pouvons nous en aperçoit semaines après semaines. Il y a un décrochage en Province en termes de prix, mais les baisses sont souvent liées à la disparition de certains segments.

L’idée va être de créer de la valeur pour continuer à faire de l’investissement ? 

Je pense qu’il y a deux situations différentes. Il y a notamment l’hôtellerie corporate de Province où les fondamentaux vont rester et ne vont pas trop évoluer. Puis il y a Paris où à l’époque, tu faisais un boutique hôtel, tu surperformais le marché. Et puis il y a eu de plus en plus de boutiques hôtels et ce beau produit ne suffit plus. Il faut un personnel accueillant et prévenant ; et c’est une chose qui va devenir de plus en plus challenging.

A quand pensez-vous revenir à des niveaux d’exploitation corrects ?

C’est très compliqué de faire des prévisions. Mais plus nous avançons, plus le brouillard est lisible. Concernant l’exercice budgétaire 2021, la consigne a été de repousser l’exercice des budgets au plus tard dans l’année.

Il y a des tendances longues qui sont compliquées à appréhender. Nous savons que le loisir reviendra un jour, mais sa situation est très liée à la crise sanitaire. Je pense que nous aurons une reprise très vivace lorsque les gens reprendront confiance dans le voyage. Concernant la clientèle corporate, ce qui est compliqué est de connaitre l’impact du changement de nos modes de travail.

Mes investisseurs me disent « Les gens vont être en télétravail, donc il n’y aura aucune nuitée hôtelières ». Mais prenons Paris, si les gens sont en télétravail cinq jours sur sept, ils ne vont pas rester habiter à Paris. Ils vont donc habiter en Province et reviendront une fois par semaine, deux fois par semaine, une fois par mois. Ces gens qui étaient non-consommateurs de nuitées hôtelières le deviendront.

Je prédis donc un premier semestre 2021 très compliqué, une reprise fin 2021 et une année de convalescence en 2022.

Est-ce qu’il y a quelque chose qui a changé dans votre logiciel d’investissement ?

Un hôtel reste un centre de profit. Cela reste une PME avec des salariés et une stratégie marketing. Ce n’est pas de l’immobilier et c’est important de le souligner aux investisseurs. C’est une bêtise d’acheter un hôtel pour des raisons purement fiscales. Choisissez des actifs avec des qualités intrinsèques et un projet solide. N’achetez pas de trop petits hôtels et faites qu’il y ait un plus, une âme dans les hôtels. J’ai été très frappé de voir, par exemple, que les hôtels parisiens qui ont eu des piscines ont eu des performances époustouflantes cet été. Des 70% de taux d’occupation et des prix moyens canon.

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