Les catégories de tourisme sont nombreuses : tourisme balnéaire, tourisme médical, tourisme culturel, tourisme urbain, tourisme vert... et répondent aux différentes attentes et envies des voyageurs. Ces dernières années, un type de tourisme se démarque des autres par sa singularité mais aussi par sa popularité soudaine, le dark tourism. Mais qu'est-ce que ce terme englobe, qui sont ses adeptes et où peut-on le pratiquer ?
Dark tourism, tourisme noir, tourisme sombre, autant de dénominations pour un type de tourisme pas si nouveau que cela mais qui connait une forte apogée ces dernières années en raison notamment de séries passionnant les foules sur des thèmes peu communs comme des catastrophes nucléaires ou la vie de grands noms du banditisme. L’essor des réseaux sociaux est également un facteur important de la mise en lumière de ce type de tourisme, même si comme nous le verrons par la suite ils ne lui sont pas toujours si bénéfique que cela.
Les origines du dark tourism
La notion de dark tourism s’applique aux voyages qui ont pour but la visite de lieux associés à la mort, la souffrance, la peine ou à des catastrophes. Ce terme a pour la première fois été utilisé en 1996 par deux chercheurs de la Glascow Caledonian University, John Lennon et Malcom Foley avant d’être repris plus tard par le Docteur Philippe Stone qui travaille désormais au sein de l’Institut de Recherche sur le Dark Tourism basée à Lancashire en Angleterre. On parle également de thanatourisme, un terme utilisé par le professeur A.V. Seaton qui résulte de la contraction de Thanos, la personnification de la mort dans la Grèce Antique, et de tourisme.
Malgré ce que l’on pourrait penser, ce type de tourisme n’est pas récent, bien au contraire il remonte, selon des recherches et des études académiques sur le sujet, à l’époque gallo-romaine. En effet, les foules se réunissaient dans des arènes afin d’assister à des combats de gladiateurs et à leurs mises à mort et ce phénomène se poursuit au Moyen-Âge avec les combats entre chevaliers et les exécutions sur la place publique. De tout temps l’humanité a toujours connu un certain attrait pour tout ce qui touche de près ou de loin à la mort, comme le prouve l’attraction touristique phare de Paris durant le 19ème siècle qui accueillait des milliers de visiteurs chaque jour : la morgue. Également, les champs de bataille comme ceux de Waterloo ou de Gettysburg ont connu une forte fréquentation par des curieux désirant voir "à quoi cela ressemble en vrai" et ce très peu temps après la fin des combats.
Lennon et Foley affirment que ces visites sont « motivées par le désir de rencontres réelles ou symboliques avec la mort. ». Les motivations poussant à visiter des lieux relevant du dark tourism sont toujours plus ou moins les mêmes depuis des siècles : le recueillement, l’envie de mieux comprendre l’Histoire et de s’y plonger par la même occasion. Mais à l’ère des smartphones et des réseaux sociaux un sentiment de voyeurisme se fait de plus en plus ressentir. Toujours selon Lennon et Foley, « l’intérêt primaire » autour de ce phénomène s’est profondément modifié au fil du temps et principalement au sein de notre société de consommation. Ils ajoutent que « le tourisme noir a aujourd’hui beaucoup changé et les tendances actuelles sont marquées par un désenchantement lié à la postmodernité. ». Ainsi une grande partie des dark touristes modernes sont à la recherche de sensationnel et d’expériences plus ou moins troublantes qui les sortent de leur vie quotidienne.
Les différents types de dark tourism
Tourisme de catastrophe
Les catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme sont un réel sujet de fascination pour de nombreux voyageurs qui n’hésitent pas à se mettre en danger pour partir à la découverte de lieux marqués par ces tristes accidents. Le 11 mars dernier marquait d’ailleurs l’anniversaire des 10 ans de la catastrophe nucléaire de Fukushima, une région du Japon qui a connu en l’espace de quelques heures un séisme, un tsunami puis l’explosion de sa centrale nucléaire. Aujourd’hui les villes dévastées par cette catastrophe sont devenues des attractions touristiques pour des touristes en quête de sensations, en 2017 on a recensé pas moins de 100 000 visiteurs dans cette zone sinistrée. La région se compose de 3 zones, la verte qui est ouverte à tous et qui est réputée comme la moins dangereuse en termes de radioactivité, l’orange qui n’est accessible qu’aux scientifiques et aux experts et enfin la zone rouge qui est strictement interdite. Plusieurs compagnies proposent des tours en bus pour visiter la région en équipant les touristes de masques et de compteurs Geiger pour mesurer le taux de radiation. Tchernobyl, un lieu marqué par la même catastrophe attire quant à lui 72 000 visiteurs durant l’année 2018, un chiffre en constante augmentation qui a connu un réel pic, plus 40% de réservation, en 2019 suite à la diffusion de la série HBO inspirée de la catastrophe. Contrairement à Fukushima tout est visitable aujourd’hui y compris la zone interdite autour du réacteur qui est à l’origine du désastre. Autorités et opérateurs assurent que la visite du lieu est sans danger mais préconisent tout de même de ne pas fumer, boire ou manger afin de ne pas inhaler de particules toxiques et de recouvrir au maximum sa peau pour éviter tout contact avec de potentielles poussières radioactives. La visite se poursuit au sein de la ville fantôme de Pripiat, une ville aux abords de la centrale qui a été abandonnée et est restée en l’état depuis, semblant ainsi figée dans le temps. Le Président de l’Ukraine désire encourager le tourisme dans cette zone avec des travaux d’aménagement comme la mise en place de meilleurs sentiers de randonnée ainsi que l’amélioration du réseau de téléphonie mobile.
Tourisme de guerre
Le dark tourism ne concerne pas uniquement des lieux qui ont connu l’horreur par le passé, le tourisme de guerre est un type de tourisme qui se pratique dans des territoires en proie actuellement à la guerre et la souffrance. On le qualifie également de tourisme de l’extrême en raison de la dangerosité de sa pratique et ces dernières années ses amateurs se font de plus en plus nombreux. Parmi les destinations en vogue pour ce type de tourisme, on peut citer l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan ou le Pakistan. Pour se rendre dans ces pays qui sont pourtant fortement déconseillés voir interdits par le site du Ministère de l’Intérieur, il existe deux solutions : s’inscrire comme volontaire pour une mission avec une ONG dans des pays à risques ou alors se tourner vers une agence de voyage spécialisée dans le tourisme de guerre comme Disaster Tourism au Royaume-Uni ou War Zone Tours aux Etats-Unis. Ces agences proposent un entrainement avant de partir afin d’apprendre aux voyageurs à communiquer par radio, à tirer et à évacuer un blessé si jamais la situation l’exige. Un entrainement utile quand on sait qu’en 2016, 6 touristes ont été légèrement blessés par des tirs de roquette de talibans sur la route d’Harat en Afghanistan. La pratique est également développée en Amérique Latine et plus spécifiquement dans les nombreuses favelas de Rio de Janeiro. Un certain nombre sont encore en proie actuellement à des guerres de gang, ce qui n’empêche pourtant pas des touristes d’aller les visiter accompagnés d’un guide pour tout de même assurer leur sécurité. Ce type de tourisme se développe depuis les années 2010 avec l’existence de plusieurs agences touristiques spécialisées comme Favela Tour.
Le tourisme du banditisme
Les grands bandits et gangsters ont toujours fascinés le monde entier, cela se ressent à travers les nombreux films et séries retraçant leurs histoires. En 2015, Netflix diffusait la première saison de la série « Narcos » qui relate la carrière du narcotrafiquant le plus connu au monde : Pablo Escobar. Cette dernière a suscité un véritable engouement et depuis des milliers de touristes s’empressent d’aller visiter la ville de Medellin en Colombie, là où Pablo Escobar a bâti son empire de la drogue. Son esprit est encore très présent dans les rues de la ville, à travers des graffitis mais aussi bon nombre de produits dérivés comme des mugs, des stickers et autres objets souvenirs à son effigie. Il est simple pour les touristes de partir sur les traces du célèbre criminel grâce aux nombreux « Pablo Escobar Tours » réalisés par des agences comme par des locaux. La visite se constitue de deux lieux majeurs, la tombe du narcotrafiquant ainsi que la Catedral, la prison construite par ses soins dans laquelle il passa de nombreuses années avec la possibilité d’aller et venir comme bon lui semblait. Il est même possible de rencontrer Popeye, l’ancien bras droit de Pablo Escobar, qui est aujourd’hui repenti et réalise des vidéos Youtube sur son ancienne vie de bandit. Les voyageurs peuvent également découvrir le « barrio Escobar », un quartier portant son nom car la majorité des maisons ont été construites par lui afin de les redonner à des familles pauvres. Un musée lui étant dédié a même été érigé dans le quartier afin de lui rendre hommage. Un peu plus au nord du continent, au sein des Etats-Unis, il y a également la ville de Chicago qui a été le théâtre de divers crimes perpétués par un grand nom du banditisme du siècle passé : Al Capone. Bon nombre de lieux fréquentés ou marqués par l’empreinte du gangster ont été détruits par la ville mais son esprit habite encore les rues et avenues de Chicago, une ambiance recherchée par les touristes qui souhaitent découvrir le Chicago du temps de la Prohibition. Il est encore possible de se rendre dans des bars et des speakeasys où Al Capone aurait bu un verre et d’aller écouter du jazz au club Green Mill en demandant à s’assoir sur la banquette numéro 1 qui est supposée être la banquette où s’asseyait Scarface. Les plus téméraires iront jusque sur une île mythique pour suivre la trace du bandit, l’île d’Alcatraz où se situe la célèbre prison du même nom où il a été détenu plusieurs années.
Le tourisme macabre et surnaturel
Les tueurs en série, les psychopathes, les sorcières, les fantômes et autres esprits, autant de sujets tout aussi effrayants que passionnants pour une majorité de la population. Un grand nombre de légendes, mythes, documentaires, films et séries en ont fait leur sujet principal, ce qui explique en partie l’engouement autour d’eux et donc la popularité des sites et attractions touristiques leur étant dédiés. Parmi les exemples les plus connus, on peut citer le célèbre meurtrier Jack l’Eventreur qui a sévi à Londres à la fin du 19ème siècle, plus particulièrement dans le quartier de Whitechapel. De nombreux tours guidés sont organisés afin de partir à la découverte des lieux emblématiques marqués par le passage du serial killer. C’est actuellement l’attraction phare du quartier, qui n’est pas réellement touristique en dehors de cela, et depuis 2015 un musée dédié à Jack the Ripper y est installé. Une autre ville marquée par son passif, Salem, situé dans l’état du Massachussetts aux Etats-Unis, a su utiliser son histoire particulière pour devenir un lieu incontournable pour les amateurs de dark tourism. La ville est en effet mondialement connue pour sa chasse aux sorcières qui a aboutie à la mise à mort de 25 personnes qui étaient accusées de sorcellerie. Depuis, Salem est devenue un haut lieu symbolique de la sorcellerie, la ville est aujourd’hui remplie de boutiques ésotériques, d’herboristeries et de cabinets de voyance. De nombreux musées ont été érigés pour retracer l’histoire des fameux procès de Salem. La maison du juge en charge de ces procès demeure intacte et attire de nombreux curieux. La ville joue sur cette image mystique, on peut ainsi la découvrir la nuit à la lanterne durant un « ghost tour » narrant des histoires de sorcières et de fantômes qui hanteraient encore les rues de la ville. Cependant pour ce qui est des lieux hantés, c’est l’Ecosse et ses nombreux châteaux qui attirent le plus grand nombre de touristes souhaitant frissonner de peur. Le plus incontournable se trouvant dans la ville d’Edinbourg qui est elle-même considérée comme la ville la plus effrayante de Grande-Bretagne.
Nécrotourisme
Le dark tourism ne se résume pas qu’au sensationnel et à l’envie de se faire peur, une simple balade au sein d’un cimetière relève aussi de cette pratique. L’un des lieux les plus emblématiques est sans aucun doute le cimetière du Père Lachaise à Paris, qui est visité par 3 millions de touristes chaque année notamment en raison de la présence de nombreuses sépultures de célébrités comme Edith Piaf, Jim Morrison, Alfred de Musset, Oscar Wilde et bien d’autres encore. Un cimetière à peu près similaire se retrouve à Londres, le Highgate Cemetery, où la nature luxuriante côtoie les tombes de personnages illustres. L’Egypte abrite elle aussi un autre lieu de sépulture fortement fréquenté, la célèbre Vallée des Rois où est inhumé le pharaon Toutankhamon, un endroit qui attire chaque année des milliers de visiteurs venus du monde entier. Cependant, on observe une différence notable entre les deux cimetières européens et le site des tombes de pharaons, l’Egypte met tout en place pour accueillir des visiteurs sur le lieu avec des visites guidées car le tourisme de cette région s’axe autour de ce site. Alors qu’en France et en Angleterre, on constate qu’il n’y a pas de réels infrastructures ou services dédiés aux visiteurs, ces sites s’ajoutent simplement à la longue liste des lieux attirant respectivement 32 millions et 17 millions de visiteurs en 2017. Au Guatemala, la ville de Quetzaltenango a quant à elle néanmoins décidé de jouer la carte du frisson en proposant des visites uniquement les soirs de pleine lune de son cimetière aux tombes à l’architecture originale et colorée, en compagnie d’un guide racontant l’histoire et les légendes autour de ce site. Une visite encore plus insolite est proposée au sein de la capitale française, la découverte des catacombes de la ville. Une plongée quelque peu angoissante dans l’histoire de Paris que 250 000 touristes réalisent chaque année. Le lieu s’étend sur une superficie de 11 000m² et comporte pas moins de 6 millions d’ossements provenant de divers cimetières de la ville. Sur le parcours, une inscription prévient les visiteurs, « Arrête ! C’est ici l’empire de la mort ! », donnant le ton de la visite et ajoutant à l’ambiance inquiétante du lieu.
Les dérives et problèmes éthiques autour du dark tourism
Le dark tourism est encore mal connu de nos jours, il est donc difficile de l’encadrer afin d’éviter toute forme de dérives, qui sont malheureusement fréquentes. De plus, ce type de tourisme est souvent confondu avec le tourisme mémoriel qui lui est une forme de tourisme qui consiste à mettre en avant le patrimoine historique d'un lieu, en particulier quand le site en question a été marqué par un évènement ponctuel, marquant en ce qu'il peut être fondateur ou potentiellement douloureux. Les lieux de visites peuvent être similaires mais la motivation des voyageurs diffère grandement, dans le cas du tourisme de mémoire les personnes se rendent sur ces lieux dans un devoir de mémoire, d’hommage et de compréhension des évènements tandis que les dark touristes sont plus fascinés par le côté morbide et effrayant des sites.
Cette différence se ressent fortement dans des lieux tels que le camps Auschwitz qui a accueilli 2,3 millions de visiteurs en 2019, les comportements observés sont très variables. Certains visiteurs n’hésitent pas à prendre la pose dans les douches à gaz ou à faire l’équilibre sur les rails des wagons de la mort, ne respectant ainsi pas la mémoire de tous les déportés exterminés au sein du camps. Forçant donc le Mémorial d’Auschwitz à réagir en postant ces photos déplacées avec le message suivant « Quand vous venez à Auschwitz, souvenez-vous que vous êtes sur un site où un million de personnes ont été tuées. Respectez leur mémoire. Il y a de meilleurs endroits pour apprendre à marcher en équilibre sur des rails que sur le site qui symbolise la déportation de centaines de milliers de personnes vers leur mort ». Le même problème est observé à Tchernobyl, lieu remis sur le devant de la scène par la série éponyme, qui depuis voit déferler des vagues d’instragrammeurs en quête de la photo recevant le plus de likes sur les réseaux sociaux et pour cela certains vont même jusqu’à poser en petite tenue au milieu de ce lieu postapocalyptique. Certains touristes vont même encore bien plus loin en décidant de s’affranchir des interdits concernant certains lieux, comme à Fukushima où quelques rares intrépides partent en exploration dans la zone rouge qui est pourtant strictement interdite en raison de sa dangerosité en termes de radioactivité.
Cependant les dérives ne proviennent pas uniquement des touristes, les acteurs du tourisme profitent également de la popularité du phénomène pour construire des offres parfois dérangeantes à la limite du mauvais goût. C’est le cas de l’hôtel Karosta en Lettonie qui est un établissement unique en son genre, en effet c’est un hôtel-prison qui propose une expérience détonante, les touristes sont traités durant leurs séjours comme des détenus. Lits en fer, repas de prison et harcèlements nocturnes physiques et mentales par les « gardiens » sont au programme de ce séjour particulier. Le lieu n’a pas été choisi au hasard, c’est en effet une ancienne prison qui a servi à tour de rôle pour l’autocratie tsariste, les nazis et l’armée soviétique. Autre pays, autre dérive, au Japon il était question d’un projet d’un Fukushima Gate Village dans les alentours de la catastrophe nucléaire avec la construction de restaurants, d’hôtels et de boutiques pour attirer le plus de touristes possibles. Un projet qui s’est attiré les foudres de nombreux locaux, dénonçant la « disneylandisation » d’un tel lieu. Un terme qui s’applique à des nombreux autres lieux relevant du dark tourism ou du tourisme de mémoire, en raison du nombre de boutiques souvenirs présentes sur ces sites comme à Auschwitz où la vente de petites figurines représentant des caricatures de déportés a récemment fait polémique.
Le dark tourism ne fait que gagner en popularité ces dernières années, notamment avec internet qui permet à la pratique de se démocratiser. Nombreux sont les blogs, pages Instagram, Facebook et Youtube à aborder cette thématique et à dévoiler les endroits dans le monde où le pratiquer. Netflix s’est également emparé du phénomène avec la production d’une série-documentaire intitulée « Dark Tourist », où l’on suit un journaliste néozélandais parti à la découverte de sites et pratiques relevant du dark tourism à travers tous les continents. La série essuie un certain nombre de critiques, l’attitude jugée trop désinvolte du présentateur choque un tant soit peu et le mélange des lieux choisis étonne, passant de sites marqués par de réelles catastrophes comme Semipalatinsk au Kazakhstan (site d’essai nucléaire pour l’armée soviétique) à des rassemblements de soi-disant vampires à la Nouvelle-Orléans.