Résilience : comment rebondir et transformer cette crise en force ? Antoine Arvis, Directeur Général chez Madeho et Eric Omgba, Co-fondateur chez Alboran partagent leurs expériences et leurs visions du secteur en ce temps de crise. Une discussion avec Vanguélis Panayotis, CEO MKG Consulting.
Alboran en est un investisseur opérateur, la société a été fondée par des entrepreneurs passionnés par ce métier. Notre portefeuille représente une douzaine d’hôtels en activité et trois hôtels en construction pour un total d’environ 1400 chambres. Nous sommes majoritairement implantés en région avec quelques actifs à Paris, mais nous sommes plutôt des acteurs de province.
Madeho est exclusivement présent à Paris, nous avons 320 chambres intra-muros. Nous avons des projets en province, mais ils ne sont pas aujourd’hui actifs. Nous faisons principalement du quatre étoiles, du trois étoiles ainsi que de la résidence hôtelière.
Nous anticipons une baisse de chiffre d’affaires pour le marché qui se situe entre -40% et -60%, quelles sont les prévisions pour vos sociétés ?
Eric Omgba : Nous sommes plus proches de -50 voire -60 %. Notre clientèle est essentiellement business ce qui nous touche beaucoup. Nous savons que la majorité de ces clientèles va avoir des comportements qui vont changer dans le voyage essentiellement en lien avec les politiques d’entreprise, mais aussi les restrictions sanitaires et budgétaires. Le développement du télétravail et l’utilisation de la visio conférence impactent beaucoup les déplacements également.
Nous avons conservé une faible partie de notre clientèle historique et voyons de nombreux nouveaux clients. Le revers de la médaille étant que sur des micros marchés, nous devrions nous en sortir plutôt bien.
Antoine Arvis : Comme souvent dans les sorties de crise, nous voyons une différence entre le trois et le quatre étoiles. Les établissements trois étoiles repartent plus vite, c’est plus difficile pour les établissements quatre étoiles. Nous sommes au moins sur des pertes de -60 %. Cela va dépendre des quartiers d’implantation. Il est toutefois très difficile de faire des prévisions, bien que nous ayons envie d’être optimistes et il le faut, la particularité de cette crise est que nous ne savons pas ce qui va se passer à l’automne. Nous sommes très dépendants de la crise sanitaire, avant même de parler de la crise du secteur du tourisme. Nous avons tous en ligne de mire le mois de septembre pour de nombreuses raisons. Tout le monde aimerait y voir la rentrée du business en plus de la rentrée des classes. J’espère profondément que ce sera un moment de bascule. La majorité des hôtels sera ouverte à ce moment-là et l’offre sera donc disponible, les habitudes de travail ne seront plus les mêmes également. De nombreuses entreprises ont décidé de prolonger le télétravail pour coller avec la période des vacances. Les comportements des patrons, des collaborateurs d’entreprises vont changer à partir du mois de septembre.
Nous ne pouvons aller que vers de bonnes surprises il faut donc rester positif.
Selon vous, quels seront les changements durables dans le secteur suite à la crise de la Covid-19 ?
Antoine Arvis : Sur l’aspect sanitaire, personnellement que je ne crois pas trop à des bouleversements. Je considère que tous les professionnels du tourisme sont déjà extrêmement contrôlés sur l’hygiène. Je pense par contre que nous aurons de gros changements sur la clientèle business.
En ayant un regard négatif, nous pouvons nous dire que pour des raisons économiques à court terme et écologiques à long terme, les entreprises ont toutes les raisons de limiter les déplacements de leurs collaborateurs.
Nous pouvons également être très positif, le télétravail a été adopté très rapidement, il va amener de nouveaux comportements de la part des entreprises qui peuvent par exemple prendre la décision de réduire leurs surfaces de locaux dans Paris, de permettre à leurs employés d’aller habiter plus loin, pour venir travailler deux jours par semaine à Paris. Cela voudrait dire leur payer et des chambres d’hôtel. Pour les secteurs avec des cadres qui travaillent dans des bureaux, c’est le type de bouleversement qui peut avoir lieu.
Notre métier demain, sera peut-être de négocier des deals à 5 ou 10 000 chambres par an avec des entreprises qui préféreront avoir des bureaux plus petits et payer des billets de trains et des chambres d’hôtel à leurs collaborateurs.
Eric Omgba : Nous allons revenir sur un business qui sera plus durable, le côté proximité sera très important. Nous ne pourrons plus positionner nos prix moyens comme ce fut le cas sur des contraintes liées aux événements. Nous allons devoir construire de la contribution par des services annexes auprès des consommateurs. Effectivement en venant de deux ou trois jours, ils auront envie de se sentir « comme à la maison ».
Nous allons également rencontrer de nouveaux types de clientèle que nous n’avons pas aujourd’hui comme les coworkers. Il y a un besoin d'isolement, de pouvoir faire des visioconférences et d’être dans des zones où tu es complètement concentré libre, ce que tu n’as pas forcément à la maison. Il est important d’avoir un cadre qui soit beaucoup plus adapté à une forme de sérénité pour travailler.
Il va également y avoir du changement concernant les événements. Cette branche de l’activité va se remettre en cause avec probablement des événements de tailles différentes, beaucoup plus régionalisés pour éviter les grandes messes. Cela va donc amplifier le phénomène de décentralisation sur la France.
Quels sont les messages que vous faites passer en interne ?
Antoine Arvis : Si nous regardons cette crise au niveau mondial, nous avons la même « malchance » que les autres pays. Ce virus touche tous les pays. Notre problème c’est qu’il intervient après plusieurs crises. Quatre à cinq ans de crise depuis les attentats de 2015, 2016. La levée de l’état d’urgence liée au terrorisme a été faite en novembre 2017 c’est très récent. Ensuite est arrivée la crise des gilets jaunes.
Vis-à-vis des équipes que ce soit celle de management des hôtels ou celle des hôtels elles-mêmes, nous avons un challenge à relever plus important que celui de nos voisins. Nous avons une fatigue liée à tous ces événements et nous arrivons je l’espère la fin d’un cycle. Il faut prendre cela en compte, car il ne s’agit pas juste de sortir du Coronavirus comme les autres, il faut arriver à sortir de ce cycle d’éléments négatifs sur la destination France.
C’est un vrai challenge d’arriver à motiver tout le monde et de leur faire comprendre que nous avons de beaux jours devant nous.
Eric Omgba : Ce qui nous a beaucoup surpris, c’est de voir à quel point les modèles étaient fragiles. Le modèle économique mondial est fragile, deux mois d’arrêt d’activité ont pu mettre à mal tout un pan de l’économie mondiale. Nous nous assurons d’avoir toujours le modèle qui soit le plus résilient possible. Il s’agit de trouver le bon niveau entre la capacité à financer des acquisitions et des dettes tout en ayant des retours sur investissements qui restent raisonnables. Quand tu es au maximum sur tous les sujets, il te suffit d’un frémissement pour remettre en cause tout ton modèle. Nous nous disons donc que plus jamais nous ne pouvons nous retrouver dans des modèles qui sont trop optimisés.
Les deux autres mots que nous avons gardé avec les équipes c’est : lucidité et optimisme. Derrière le mot lucidité il y a plusieurs notions. Nous avons déjà survécu à plusieurs crises : comment adapter ses structures de coups, son personnel pour être capable de faire face à des TO de 15, 20 ou 35 % quand avant à l’année tu dégageais 75 à 80% ?
Cette notion d’adaptabilité fait partie de l’ADN de l’entrepreneur et les équipes l’ont intégrée. Il a ensuite fallu se poser la question de notre survie, nous avons eu un discours de lucidité vis-à-vis des équipes. Pendant cette période, tout notre enjeu a été de sauvegarder l’emploi en sauvegardant l’activité.
Concernant l’optimisme, nous sommes toujours ressortis plus fort de toutes les crises que nous avons connues. En s’inspirant de ce qu’a pu être la guerre du Golfe, la crise des supprimes, etc. Nous partons du principe que nous sommes revenus toujours plus forts en termes de business et en termes de contribution.
Il y a une forme de résilience chez les Français, et de façon générale chez les humains, qui fait que très rapidement tu vas essayer de vivre et de te sentir libre.
Nous ne ferons pas face à un monde nouveau, mais plutôt un monde qui est passé par le catalyseur de la Covid-19, un accélérateur de faisceaux faibles qui étaient déjà présents : le développement durable, l’hybridation, le F&B… quelles sont vos réflexions ?
Antoine Arvis : Il y a là-dessus de nombreuses choses à réinventer. Il est toutefois un peu tôt pour savoir dans quelle direction cela va aller. Le chamboulement que nous vivons ne touche pas que le secteur de l’hôtellerie. C’est également un chamboulement immobilier, si le télétravail se développe fortement dans certains secteurs, l’événementiel aura une place importante. Les gens auront besoin de se retrouver, que ce soit pour des événements internes ou externes. Les hôtels pourraient ainsi devenir demain, des lieux d’événements certes plus petits, mais aussi plus simples à organiser.
Peut-on, imaginer que demain le développement exponentiel de l’e-commerce ait des répercussions sur l’immobilier commercial ? Cela va peut-être générer la création de corners dans les hôtels pour vendre ses produits autrement. L’immobilier de façon globale va être bouleversé, il y aura peut-être un nouveau rôle de l’hôtel dans la ville. Je pense que nous avons beaucoup de choses à faire avec la distribution, avec l’événementiel, avec la restauration.
Je vois plutôt des opportunités qui vont être amenées par cette crise qui va générer de nouvelles idées par la contrainte qu’elle a créé, plutôt que des difficultés.
Eric Omgba : Être un hôtel uniquement transactionnel et livrer une chambre, je pense que cela ne donne plus envie. Ce que l’on a retrouvé avec ces hôtels de type lifestyles ou historiques avec une âme, va devenir une nécessité. Nous devons être capables d’attirer le chaland pour boire un verre ou pour un rendez-vous, il faut qu’il vienne pour des raisons qui vont au-delà du fait que tu proposes une prise et du Wifi.
Notre job reste de fournir les chambres avec un service hôtelier le plus exigeant possible. Il faut également que je sois capable dans mes services généraux si demain je suis un hôtel bureau, ou avec restaurant, ou avec bar, d’être aussi exigeant.
Vos deux groupes cherchent la croissance et sont dans une dynamique d’investissement et de développement. Etes-vous toujours focalisés sur le développement ?
Eric Omgba : Si nous constatons que l’actif et bien situé, le premier des critères restant pour nous l’emplacement, la vraie question est de savoir si à 15-20 ans cet investissement a du sens. S’il s’avère que ça du sens, nous essayons de faire en sorte de passer cette période de deux à trois années compliquées côté financement. Globalement, tout ce qui était engagé précédemment nous l’avons maintenu. Pour les développements futurs, nous restons opportunistes. Nous ne sommes pas dans un développement programmé.
Antoine Arvis : Nous gérons des hôtels et nous investissons pour notre propre compte au niveau familial. Nous accompagnons des investisseurs dans des projets de création, de reprise d’hôtels et de création de concepts. Nous avons plusieurs projets en région parisienne et en province que nous regardons avec des investisseurs. Il s’agit, comme le disait Eric, de garder une vision long terme et non pas uniquement les projets de développement à court terme. Il est toutefois certain qu’il y a des projets que nous regardons avec un œil différent, nous pensons en effet que les trois années à venir vont avoir des conséquences économiques et financières importantes. En fonction de la localisation sur le territoire français, je pense que toutes les villes ne vont pas vivre la crise de la même manière.
Cette crise est très injuste, il y a par exemple durant le confinement des gens qui ont vécu dans des conditions bien meilleures que d’autres. Il y a des secteurs d’activité qui ont eu des conditions de reprise bien meilleures que d’autres. Il y a aussi des régions qui ont vécu la crise de manière bien moins dure que les autres. Ce sera aussi le cas avec la reprise économique. Il y a des villes qui, de par leur maillage économique et territoriale, sortiront sans doute de la crise encore plus fortes et d’autres affaiblies. Dans toute stratégie de développement que nous pouvons avoir, il faut être vigilant là-dessus et regarder avec attention les points de force et les points de risques de chaque localisation.