Entretien avec Emilie Zevaco, Co-Directrice du Groupe HIS et Présidente du Club Hôtelier de Toulouse qui partage son expérience et sa vision du secteur en ce temps de confinement. Une discussion avec Vanguélis Panayotis, CEO MKG Consulting.
Quel est ton retour d’expérience sur la situation actuelle ? Comment se déroule la réouverture de tes établissements ?
Nous avons essentiellement des hôtels du groupe Accor. Nous allons du 2 étoiles au 4 étoiles. Donc nous n’avons pas forcément eu le même prisme et la même perception sur la réouverture en fonction du segment de l’établissement. Nous avions l’ambition de rester ouverts, mais une semaine après la fatalité a fait que nous avons dû fermer. Nous avons eu ce même élan et cette même envie de rouvrir très vite, tout en ayant bien conscience que nous étions dans une situation et un schéma de survie.
Notre première angoisse et concentration sur l’effort pour vivre sereinement a été de sauver les emplois. Nous avons mis nos directeurs en opération de survie. Tout ce qui n’est pas essentiel et tout ce qui n’est pas de l’ordre de la survie économique et technique du site, nous le mettons en attente. Nous avons mis l’intégralité de nos collaborateurs en activité partielle tout en essayant de garder un lien avec tous les systèmes alternatifs. Nous sommes un groupe familial donc nos collaborateurs ce sont notre ADN. C’est une grande famille et nous avions besoin de savoir que tout le monde était en sécurité et allait bien. Au cours de ces prises de températures, nous avons observé qu'ils avaient envie d’être à nos côtés et de participer à la réussite et la relève du groupe.
Très rapidement, nous avons ouvert les ventes. Nous avons passé des journées assez douloureuses parce que nous nous sommes aperçus qu’il y avait zéro mouvement. Nous avons gardé le cap et nous avons organisé la réouverture de nos établissements économiques. Nous avons eu l’ambition d’être présents avec un établissement par ville où nous sommes implantés. Exception faite des destinations loisirs qui nous paraissent être inenvisageables. A partir du moment où nous avons mis en place cette stratégie, l’organisation est restée extrêmement light.
Les collaborateurs ont joué le jeu d’une façon remarquable. Nous avons expliqué que nous ne pouvions pas faire retravailler l’intégralité des collaborateurs, justement pour accompagner une reprise pérenne. Nous avons mis en place un principe de roulement pour malgré tout respecter la notion d’équité.
Nous avons eu nos premiers clients hier soir. Nous avons accueilli huit clients dans un combo d’établissement de 160 chambres et sur une autre ville, nous avons eu la chance d’en avoir 20 sur 180 chambres. Pour nous, c’est quand même une victoire. La victoire, c’est de reprendre et que les clients soient contents de ce qui a été mis en place.
Cela s’est très bien passé pour les clients, mais c’était plutôt périlleux pour les équipes qui ont redémarré parce qu’il y a quand même une forme d’inquiétude. Les contraintes nous amènent à une déperdition de la qualité du service. Les distanciations font que tu nous enlèves une part très importante de notre métier, le rapport à l’autre. Mais les équipes ont été vite rassurées, il n’y a aucun client qui nous a dit que ce n’était pas normal ou contraignant. Nous sommes généreux et nous aimons bien accueillir, mais nous avons parfois l’impression de ne pas aller au bout de notre mission […]. Nous observons une clientèle affaire avec une contrainte forte de déplacement. Celui qui est à l’hôtel aujourd’hui, c’est vraiment qu’il n’a pas le choix.
Et sur la région Occitanie, quel est le mot d’ordre ? Comment envisagez-vous l’été ?
Sur 150 hôtels à Toulouse, une toute petite quinzaine sont restés ouverts. Globalement, il n’y a pas eu une envolée et tout le monde n’a pas rouvert le 11 mai. Nous allons avoir le temps d’absorber les flux de clientèles qui vont revenir. Il y a autant d’hôteliers indépendants qui ont ouvert que d’hôtels de chaîne.
Il y a encore beaucoup d’interrogations sur ce qui va se passer dans une métropole comme Toulouse cet été. Je participe via le Club Hôtelier a beaucoup de réunions pour essayer de rendre la destination attractive malgré toutes les contraintes que nous allons pouvoir rencontrer. Tant sur la partie mobilité que F&B, qui ne sont pas solutionnées. C’est encore compliqué pour les français de se dire qu’ils peuvent partir en vacances [...] Nous sentons que tout le monde souhaite retrouver la vie d’avant avec des conditions qui sont celles d’un autre monde.
Comment va se faire l’arbitrage entre le développement du groupe et le côté humain du secteur ?
Nous pensons vraiment à nos collaborateurs. C’est notre énergie première. Il nous parait vraiment très inapproprié de se dire quels seront nos investissements de demain. Globalement, nous avons tout mis en suspens, si ce n’est les chantiers. Nous avons encore deux chantiers en construction qui ont repris depuis 3-4 semaines. Il y a des retards qui vont s’inscrire et modifier nos plannings et nos schémas d’ouverture. Mais pour tout ce qui est investissement, nous avions des permis de construire en cours d’instruction mais bien évidemment nous le mettons entre parenthèse. Même si le projet est beau, nous ne souhaitons pas mettre en péril nos collaborateurs. Ce sont des années et des mois de réflexions, mais ce n’est pas dans notre philosophie.
La structure de notre groupe nous permet de rassurer et nous avons des prévisionnels qui sont toujours ceux que nous avons annoncés ou imaginés faire. Nos partenaires financiers nous ont accompagnés et des partenaires qui ne sont pas les nôtres se sont proposés pour nous accompagner. Sur ce plan-là, nous avons joué toutes les cartes qui étaient en notre faveur. Il me tarde aussi de réinvestir parce que c’est ce qui anime mon quotidien. J’adore cette partie de développement. Mais ce n’est pas le sujet du moment. Il faut se concentrer sur l’opérationnel et retrouver suffisamment de clients.
Quel est l’atterrissage de vos prévisions sur 2020 ?
En prévisionnel, nous allons être sur une année où nous allons perdre 50% de ce que nous avons imaginé faire, à minima. Nous avions une année 2018 remarquable, une année 2019 remarquable et un démarrage 2020 extraordinaire. Rien n’est acquis et il faut réimaginer les choses différents. Nous sommes quand même très confiants. Je suis sereine pour nos emplois. Nous allons y arriver. Quand je dis que nous nous sommes mis en situation de survie, c’est vraiment le cas. Nous n’avons pas eu une seule dépense. Nous allons à l’essentiel.
Est-ce que cette crise va impacter les comportements des clientèles affaires et/ou loisirs ?
Nous avons deux phases. Sur l’axe philosophie et sociologique, nous avons changé beaucoup de choses dans nos vies. Si je prends mon exemple, je sais que demain je vais changer ma façon de travailler. Nous n’avons peut-être pas envie des mêmes choses. Ces deux mois de confinement nous ont mis sur des schémas que nous n’avions jamais rencontrés et vécus auparavant.
Sur l’opérationnel, cela va avoir des conséquences sur le segment MICE. Je pense qu’un chef d’entreprise ne va plus autoriser un de ses collaborateurs à se déplacer pour deux heures de rendez-vous. Nous avons découvert que les visios et le télétravail fonctionnaient très bien. Les collaborateurs sont satisfaits de fonctionner comme cela. Il y a un réel enjeu sur comment utiliser les salles de séminaires. Si nous continuons à utiliser nos salles telles qu’elles sont actuellement, nous passons à côté du sujet. Nous ne pouvons pas les vendre de la même manière. Je pense que le coworking va aussi devoir réfléchir à ses business model.
Aujourd’hui les entreprises peuvent décider que tous les vendredi matin, ils réunissent les collaborateurs et le reste du temps, ils travaillent de chez eux. Tu as beaucoup de secteur d’activité dans lesquelles occuper des bureaux et avoir des charges ne va plus être le sujet de chefs d’entreprise.
A court termes, je pense que nous allons consommer français et consommer voisin. Si je fais un mini sondage du panel des gens qui m’entourent, il y avait une frustration sur ce qu’ils allaient pouvoir faire cet été. Mais soit nous sommes fatalistes et nous disons « nous allons nous y faire ». Soit nous pouvons nous dire « qu’est-ce que je peux découvrir qui n’est pas si loin de chez moi et dans lequel je vais prendre autant de plaisir ». A voir si c’est quelque chose qui sera pérenne et va changer nos comportements de façon profonde. Je pense qu’il y aura un avant et un après sur un plan sociétal.