Entretien avec Jean-Michel Dalmasso, Président de Dalmata Hospitality et Jean-Marc Palhon, Président de EXTENDAM qui partagent leurs expériences et leurs visions du secteur en ce temps de confinement. Une discussion avec Vanguélis Panayotis, CEO MKG Consulting.

Vous avez des casquettes très opérationnelles dans l’investissement et une vision dynamique de notre secteur. Je vais vous laisser vous présentez et présenter le périmètre de vos activités.

Jean-Marc Palhon : Je suis le président d’une société de gestion agrée par l’AMF qui fait de l’investissement pour compte de tiers. Nous investissons essentiellement dans de l’hôtellerie d’affaire, économique et milieu de gamme. Nous sommes investis dans 210 actifs en Europe.

Jean-Michel Dalmasso : Nous avons une cinquantaine d’hôtels sur le territoire français. Comme Jean-Marc, nous sommes essentiellement sur de l’économique et nous nous concentrons sur des hôtels 1 à 3 étoiles. Nous détenons les murs et les fonds de commerce. Nous sommes propriétaires et exploitants de tous nos actifs.

Comment réévaluez-vous votre approche ?

Jean-Marc Palhon : Les fondamentaux étaient et restent aujourd’hui importants. Nous faisons de la gestion pour compte de tiers. Nous représentons l’intérêt d’investisseurs particuliers, personnes physiques ou institutionnels. Dès que tu investis dans un actif tangible, tu deviens propriétaire des murs et des fonds. Nous avons finalement des actifs qui passent relativement bien les crises et qui ont des valeurs intrinsèques très fortes. Et puis nous sommes dans un contexte, notamment en Europe, où la demande d’hébergement est plus rapide que l’offre. Ce qui signifie des taux d’occupations qui sont structurellement importants.

Jean-Michel Dalmasso : Nous souhaitions nous concentrer sur le segment économique. Nous ne dépassons pas le 3 étoiles. Avec une volonté d’être extrêmement opérateur. Dalmata Hospitality est avant tout une société d’exploitation. Nous avons la chance de pouvoir gérer de façon très fine l’ensemble de la chaîne de valeur qui est constitutif de ce segment d’activité. Cela va de la valeur de l’actif immobilier, sa survalorisation par une meilleur valorisation du fonds de commerce, un travail approfondi sur le fonds de commerce et la création d’une clientèle et une valeur de plateforme qui est présente pour gérer l’ensemble des hôtels.

Est-ce que vous pensez que les fondamentaux sont solides ? Qu’est-ce qui va évoluer dans les prochains mois ?

Jean-Michel Dalmasso : Les opérateurs ont eu des comportements particuliers et ont géré la crise sur des considérations de positionnement de marché très différentes. Nous avons dû changer complètement de pieds, ce qui a donné des perspectives sur la capacité de nos équipes à aborder un changement de paradigme extrêmement brutal et soudain. La remontée de pression qu’il va y avoir sur l’activité, notamment dans les deux prochains mois et puis d’ici la fin de l’année, va être un moment extrêmement important pour arriver à se dire comment nous allons adresser notre service d’hospitalité, soit à nos clients historiques soit à nos nouveaux clients.

Nos premiers clients corporate qui sont arrivés sur nos hôtels récemment ont été très sensibles aux problématiques sanitaires. Nous avons mis en place un processus de garantie sans contact. Et ce qui nous a surpris, c’est qu'en restant ouverts ou en veille avec trois-quatre des chambres, les clients que nous avons accueillis pendant la crise nous appellent maintenant pour revenir dans nos établissements. Ce sont des éléments intangibles que nous ne pouvons pas anticiper et qui demandent un changement radical de façon de travailler. Lorsque nous recevons des contrats sociaux, ce n’est pas la même chose que d’avoir du VRP ou du BTP. 

Jean-Marc Palhon : Évidemment que la plupart des deals, tous ceux qui étaient en cours étaient gelés, annulés ou décalés. La première réaction a été de fermer et de protéger les hôtels. Nous avons fermé 80% de nos établissements dans un délai record. La deuxième chose a été de travailler les deals. Après nous sommes dans l’immobilier d’exploitation, nous sommes dans une classe d’actif qui est au croisement du private equity et de l’immobilier. Lorsque nous travaillons la partie mur et fonds, nous avons un sous-jacent immobilier qui représente 50 à 60% de la valeur d’un actif. Sur la partie fonds de commerce, c’est un métier qui a beaucoup de cashflow. C’est l’appréciation des cashflows disponibles et futurs qui permet de valoriser l’actif.

Même si nous avons gelé un certain nombre d’opérations, nous n’avons jamais été aussi actifs qu’actuellement pour pouvoir travailler sur des opérations d’investissement et nous avons un certain nombre de points d’entrées possibles. Nous devrions être très actifs au cours du second semestre. Dès lors que nous aurons plus de visibilité, il faudra adapter les prix pour tenir compte ce qui s’est passé dans l’année, qui va forcément impacter les valorisations.

Est-ce qu’il y a un nouveau cycle qui est en train de démarrer ?

Jean-Marc Palhon : Nous avons pu constater qu’il y a une grande résilience sur la valeur des actifs durant les précédentes crises. Le point qui est important, c’est la manière dont nous finançons tous ces actifs. Si le recours à la dette est crucial et important, avec des niveaux d’endettements qui sont très forts, c’est certain qu’il faudra revoir les logiciels. Mais c’est un peu trop tôt pour voir l’impact des PGE faits par les banquiers. Une fois que les banques auront travaillé ces dossiers, quelles seront leurs attitudes demain par rapport à l’octroi du crédit en termes de conditions.

Jean-Michel Dalmasso : Si nous triangulons trois aspects. Premier aspect avec l’évolution du RevPAR sur les 18 à 24 prochains mois. Deuxième aspect avec le niveau des taux à la sortie de la crise. Troisième aspect avec la position des institutionnels et des acteurs de l’investissement sur cette classe d’actif hôtelier.

Aujourd’hui ils sont confrontés à une information économique qui montre que 90% des hôtels sont impactés par les éléments de crise. Je pense que si nous faisons la valorisation d’un actif donné en prenant en compte d’une réduction du RevPAR, l’actualisation des flux fait en sorte que la valeur soit plus basse. L’augmentation des taux, de 50 points de base ou de 100 points de base, va faire en sorte que la valeur immobilière intrinsèque de ces actifs va de toute façon baisser. Si nous avons le sentiment que la liquidité était forte, elle va reculer. Cela joue sur la possibilité d’avoir des prix de marchés qui vont être un peu plus bas et donc des opportunités sur la reprise de certains actifs.

C’est souvent en sortie de crise qu’il y a un ajustement des prix de marchés. Je pense que c’est plutôt une bonne période en tant qu’investisseur et je dirais même que certains gros investisseurs qui vont s’alléger sur ces actifs vont nous permettre d’avoir des opportunités.

Cette crise nous amène à retravailler notre proposition de valeur avec nos équipements et avec nos actifs. Dans vos établissements, vous avez des offres qui peuvent être réorientées. Est-ce des sujets sur lesquels vous travaillez ?

Jean-Marc Palhon : La réalité des choses, c’est que la difficulté va tenir essentiellement au déconfinement. Il faut remettre en route avec pas mal d’inconnues et des facteurs exogènes et endogènes. Par exemple, le facteur exogène, c’est « je ne sais pas si les frontières seront rouvertes ». Mais l’offre est drivée par la demande. Un exploitant va se demander à quel moment il doit rouvrir ou est-ce que finalement je n’ai pas plus d’intérêts à rester en confinement.

Je pense que nous allons rouvrir peu d’établissements au mois de Mai et que l’essentiel va rouvrir entre les mois de Juin et Septembre. Une fois que nous aurons traverser cette période d’incertitude, nous allons retrouver du flux et récupérer du RevPAR. Mais retrouver les niveaux de 2019 va prendre du temps. Pour les métiers de la restauration, nous ne sommes pas sur une activité à cash rich, donc c’est beaucoup plus pénalisé. Évidemment toutes les offres F&B dans nos hôtels vont être impactées et les remettre en route va être un exercice de style un peu compliqué.

Nous sommes dans un métier d’offre. Il y a des réseaux qui ont prévus de rouvrir dans les prochaines semaines et il faut que nous ayons ce courage entrepreneurial de rouvrir l’offre pour que la demande puisse s’exprimer. Comment voyez-vous graduellement la demande revenir ? Comment va se passer la réouverture de vos établissements ?

Jean-Michel Dalmasso : Nous n’avons pas arrêté donc nous n’avons pas le sentiment de se remonter les manches pour se dire « bon maintenant qu’est-ce qu’on fait ». Nous nous sommes confrontés tout de suite au marché et nous avons remobilisés tous nos clients. Nous les avons informés tout de suite que nous faisions un processus de garantie sans contact.

Même si c’est à 200km, ils viennent dans nos hôtels. Le backdrop du marché, c’est quand même 10% de décroissance sur l’année avec un déficit public de 12% et une dette de 120%. Il va y avoir une contrition malgré tout, quel que soit l’effort commercial, de la demande. Ce que nous essayons de faire, c’est de s’appuyer sur nos clients et sur un travail commercial de zones primaires extrêmement granulaire. Nous précisons à tous les clients potentiels que nous sommes ouverts et que nous avons un process de sécurité.

Le seul point qui n’est pas clair, c’est le positionnement que vont tenir les opérateurs sur le marché. Soit nous entrons dans une dynamique en couvrant les coûts fixes et en descendant les prix moyens. Nous pourrons entrer dans une guerre de prix, où le 3 va venir sur le 2 et le 2 va venir sur le 1. Soit il y a une rationalité qui s’installe assez vite parmi les opérateurs de telles sorte à ne pas dégrader cet élément qui est salvateur pour l’économie d’un hôtel.

Dans ce cas-là, je pense que même si nous avons une demande plus faible, nous allons être plus rassurés pour l’année 2020. Le comportement pricing va être clé. Avec 40% de TO, nous ne sommes qu’à un tiers de moins de ce que nous faisons d’habitude. Ce qui va être essentiel, c’est ce qui va se passer en Mai et en Juin. Cela va être déterminant pour la fin de l’année. Dans notre business plan, nous nous sommes positionnés sur une reprise et un retour à la normal vers Septembre.

Jean-Marc Palhon : Nous travaillons avec 47 exploitants différents et en moyenne nos hôtels sont un trois étoiles avec un prix moyen autour de 85-90 euros. Sur les 13% des hôtels ouverts, nous sommes un TO moyen de 35%. Ce n’est pas très glorieux, mais c’est un bon indicateur de ce qui peut se passer par la suite. Nous n’allons donc pas retrouver nos TO de 80%, voire de 90% à Paris mais les niveaux restent satisfaisants. Sur la question du PM, nous avons constaté lors des attentats que les établissements qui avaient maintenu le PM, s'en sont le mieux sortis. En tout état de cause, le maître mot de notre côté n’est pas une guerre des prix. L’emplacement de l’hôtel, la qualité du service et le protocole sanitaire vont permettre de faire la différence. Nous espérons un retour et un redémarrage en Septembre de manière plus visible.

Quels sont vos pronostics à 2021 ?

Jean-Michel Dalmasso : Notre objectif sur 2021 est d’atteindre ce que nous avions prévu pour 2020. Nous sommes assez opportunistes et nous avons une volonté importante. D’autant plus que nous allons augmenter le portefeuille de 30% au mois de Septembre. Il y a aura une grosse augmentation par rapport à 2020, du fait que 2020 est dégradé. Nous partons de l’hypothèse que sur ce segment, la reprise se fera tôt, la guerre des prix sera moindre et la demande d’hébergement sera évidente. Nous sommes conditionnés sur les trois prochains mois et surtout s’il y a un phénomène de deuxième vague, qui risque de décaler nos perspectives.

Jean-Marc Palhon : Il y a une furieuse envie de reprendre et d’en découdre avec ce virus d’une manière ou d’une autre. Il y a prudence et confiance. Évidemment s’il y a une deuxième vague, cela va être problématique. Mais le scénario va être à la confiance et selon la typologie des actifs et la zone de chalandise, nous allons nous laisser entre le Q4 2020 et toute l’année 2021 pour retrouver les niveaux d’activités de 2019. Ce qui est important, c’est de rester en cashflow et en EBITDA positif.

Jean-Michel Dalmasso : Aujourd’hui, l’hôtellerie se trouve un peu au cœur de la tourmente. C’est difficile d’avoir un élément solide. Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer notre capacité à s’adapter à une sortie de crise. Nous devons être en position de répondre à une demande de service à de nouvelles conditions d’activité. Nous avons vraiment envie de montrer qu’en tant qu’opérateur, nous sommes capables de répondre aux besoins. Qui va aller sur du Airbnb qui n’est pas bien nettoyé ? Ce changement de paradigme va profiter aux hôtels. Peut-être qu’il y aura moins de voyages, mais il y aura aussi moins de concurrence. Il peut y avoir des micro phénomènes dont nous ne mesurons pas l’impact et l’amplitude aujourd’hui.

Est-ce que vous pensez que des mutations profondes sont à effectuer dans les hôtels ?

Jean-Marc Palhon : Nous sommes une industrie qui connaissait déjà un nécessaire mouvement de transmission, de consolidation et de rénovation. L’investissement était structurel. En plus, nous avons connu la révolution du digital et les couches RSE nécessaires, voir indispensables, et maintenant nous rajoutons cette couche de sanitaire qui s’impose à nous. La manière de voyager, de consommer le voyage, les questions liées au coworking ou au télétravail, ce sont déjà des problématiques qui se posaient. Cette crise est un catalyseur de tout ceci et un accélérateur sur un certain nombre de sujets. Les pouvoirs publics se rendent compte que le tourisme contribue énormément au PIB national et nous avons besoin d’aider ce secteur. C’est peut-être l’occasion de re-prolonger sur des investissements à long terme. Il y a beaucoup de consultations et de réflexions. Les fondamentaux sont excellents, surtout en France. Et nous avons une chance, c’est de pouvoir expliquer preuve à l’appui de la résilience que j’espère pouvoir prouver sur les différentes phrases. Nous pouvons communiquer au quotidien sur les chiffres et nous pouvons montrer à un certain nombre de personnes l’intérêt de ce secteur et pourquoi il faut continuer à y investir.

Jean-Michel Dalmasso : Un produit a une durée de vie et il faut pouvoir le changer quand nous arrivons en fin de vie. Nous sommes plutôt dans une dynamique de croissance. Je me sens assez confiant car nous pouvons mutualiser nos efforts sur 50 hôtels. Si nous avons des hôtels avec quatre chambres par semaine, si nous pouvons le compenser c’est aussi parce que nous avons des hôtels à 70% aujourd’hui dans une période de crise. L’effet de mutualisation des efforts permet d’assurer l’ensemble de l’emploi pour les salariés du groupe. Nos banques sont rassurées par le fait que nous sommes capables d’utiliser des leviers groupe sur un portefeuille très large. Il faut rappeler que nous sommes nationalisés à 80%. Grâce aux aides de l’état, nous pouvons survivre. Je crois aussi que c’est révélateur de l’importance de cette industrie dans un marché français, sans doute sur d’autres pays aussi, c’est que soutenir cette activité à travers des aides aussi puissantes est un signe que l’activité de l’hôtellerie a sa place et énormément de place pour assurer la croissance de l’activité globale. Cela il ne faut pas l’oublier.

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