
Devant le sentiment d’injustice et les préjudices que ressentent des hôteliers face à de faux commentaires ou avis injurieux déposés à propos de leur établissement sur des sites communautaires, dont Tripadvisor le plus souvent cité, (voir HRH n°485), nous avons recueilli les recommandations d’un avocat spécialisé en contentieux Internet.
Source : Anthony Bem - Avocat à la Cour - www.cabinetbem.com/pg/competences/droit-internet-ntic.phpEn fonction des termes employés et la nature des propos de l’avis litigieux (dénigrement, injure, diffamation, etc.) un avocat pourra adresser une notification de retrait de contenu illicite au site internet sur lequel ont été postés les avis négatifs.Cette sorte de mise en demeure imposera au site de : -* retirer sans délai ces commentaires ; -* transmettre les coordonnées des auteurs de ces commentaires telles que l’adresse IP, par exemple.Si le site internet ne s’exécute pas, alors une procédure judiciaire est envisageable à l’encontre : -* du site internet lui-même ; -* des auteurs des commentaires.II – Les fondements d’une procédure judiciairePlusieurs fondements sont à envisager pour obtenir judiciairement le retrait d’un avis de consommateur négatif.Le droit permet, d’une part, d’obtenir la réparation des dommages subis sur le fondement du principe de la responsabilité de droit commun posé à l’article 1382 du code civil en cas de dénigrement.1) Le dénigrement est un phénomène aussi ancien que celui du commerce et des relations commerciales, où certains commerçants croient devoir jeter le discrédit sur un concurrent, en répandant à son propos, ou au sujet de ses produits ou services, des informations malveillantes. C’est d’ailleurs, cette définition qu’en donne un arrêt rendu le 21 mai 1974 par la Cour d’appel de Lyon. Avec l’Internet, le dénigrement commercial se répand, se développe et innove dans ses modalités de diffusion. Le 19 mars 2008, la Cour d’appel de Paris a sanctionné un concurrent au titre du dénigrement résultant de la publication d’avis négatifs émis par des consommateurs (CA Paris, 19 mars 2008, N° de RG: 07/2506). En l’espèce, la société DDI a publié sur son site internet des avis exclusivement négatifs sur les produits de la société L&S puis a publié, après retrait de ces avis, une mention selon laquelle elle avait supprimé, à sa demande, des avis jugés dénigrants par cette dernière. La Cour a considéré que la société DDI avait jeté le discrédit sur la qualité des produits commercialisés par la société L&S, qui était aggravé par la mention publiée après le retrait de ces avis et donc jugé que les avis en cause, de même que le message les ayant remplacés, constituaient des actes de dénigrement fautifs. Le 13 septembre 2010, le Tribunal de Grande Instance de Paris a tranché de manière intéressante la délicate question du "droit de libre expression” à l’égard des entreprises sur Internet de la part des internautes. En l’espèce, une société invoquait le caractère dénigrant de propos, sur un blog créé pour permettre à des personnes d’être informées de l’évolution d’un chantier, en ce qu’ils constituaient “une critique systématique, sans mesure ni retenue de ses produits et services.” Ces propos faisaient état de retards et d’abandons de chantiers, de dépassement de budget, d’absence de communication de documents ainsi que des actions judiciaires diligentées à l’encontre de la société Prestige Rénovation. Sur le fondement du principe de la responsabilité civile posé par l’article 1382 du code civil, le Tribunal a débouté la société de toutes ses demandes en jugeant que celle-ci "ne démontre pas que les propos sont soit mensongers, soit excessifs, soit disproportionnés, de sorte que la faute invoquée n’est pas caractérisée.” Ainsi, tout commentaire publié sur Internet, bien que portant atteinte à la réputation d’une entreprise, n’est pas en soi constitutif d’une faute susceptible de mettre en jeu la responsabilité de son auteur. Les faux avis ou commentaires de consommateurs peuvent donc constituer des fautes engageant la responsabilité de leurs auteurs si la preuve de leur caractère "mensonger", "excessif" ou "disproportionné" est rapportée ou s’ils contiennent des propos injurieux, diffamants ou dénigrants. Le droit permet, d’autre part, d’obtenir la réparation des dommages subis sur le fondement l’article 29 de la Loi du 19 juillet 1881 en cas de diffamation ou d’injure.2) La diffamation est définie par la loi sur le Liberté de la Presse du 29 juillet 1881 en son article 29 alinéa 1 comme : "Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.”Ainsi, les éléments constitutifs de la diffamation sont : -* l’allégation d’un fait précis ; -* la mise en cause d’une personne déterminée qui, même si elle n’est pas expressément nommée, peut être clairement identifiée ; -* une atteinte à l’honneur ou à la considération ; -* le caractère public de la diffamation.Pour reconnaître la diffamation publique, il faudra constater l’allégation ou l’imputation d’un fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou la considération d’une personne devant être déterminée ou au moins identifiable. En cas de diffamation publique, l’auteur peut être condamné à un an de prison et/ou 45.000 euros d’amende (peines maximales).3) L’injure publique est définie par l’article 29 alinéa 2 de la loi sur la Liberté de la presse comme : "Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.” Ainsi, l’injure se définit traditionnellement par quatre éléments constitutifs : -* la désignation de personnes déterminées : l’injure ne peut s’exprimer qu’à l’encontre d’une personne clairement identifiée ; -* l’intention coupable ; -* un élément de publicité : par définition, l’injure publique doit faire l’objet d’une publicité ; -* des propos ou invectives injurieux ou outrageants : la nature de propos proférés conditionnera la qualification d’injure. A titre d’exemple, selon le Tribunal de grande Instance de Paris, le terme "poulet" qualifiant un représentant de la force publique n’est pas une injure.A l’inverse de la diffamation, l’injure ne repose sur aucun fait, il n’est donc pas question de prouver la véracité des propos injurieux allégués. En cas de succès de la procédure, le retrait du commentaire abusif sera toujours imposé au site internet.4) Faux avis de consommateurs: Notre droit offre une série de fondements susceptibles de poursuivre les auteurs de "faux avis de consommateurs”. D’une part, la directive européenne du 11 mai 2005, n°2005/29, énumère 31 pratiques commerciales qu’elle juge déloyales en toutes circonstances et qui sont donc interdites en elles-mêmes dont notamment : -* "Utiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d’un produit, alors que le professionnel a financé celle-ci lui-même, sans l’indiquer clairement dans le contenu ou à l’aide d’images ou de sons clairement identifiables par le consommateur (publireportage)” -* "Se présenter faussement comme un consommateur” -* D’autre, part, l’article L121-1 du Code de la Consommation dispose qu’une : "Pratique commerciale est également trompeuse [...] lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale”.Les pratiques commerciales trompeuses sont punies d’un emprisonnement de deux ans au plus et d’une amende de 37.500 euros au plus, cette amende est quintuplée lorsqu’il s’agit de personnes morales telles que des sociétés et peut être portée à 50% des dépenses de la publicité ou de la pratique constituant le délit.III - La responsabilité du site InternetIl pourrait être envisagé de mettre en cause la responsabilité d’un site internet lorsque celui-ci ne met pas en place les moyens techniques susceptibles de détecter a priori les faux avis de consommateurs. En effet, bien qu’aucune décision n’ait été rendue sur ce point, les magistrats pourraient sanctionner ce type de négligence, à plus forte raison lorsque Frédéric Lefebvre, secrétaire d’Etat en charge notamment du Tourisme et de la Consommation, annonce que la régulation du commerce électronique va notamment se traduire par le lancement d’enquêtes spécifiques de la DGCCRF pour lutter contre les faux avis de consommateurs et les pratiques déloyales dans le secteur de la réservation d’hôtels en ligne. La DGCCRF va analyser les pratiques commerciales trompeuses caractérisées par les "faux avis de consommateurs” postés sur des sites de e-commerce, des forums de consommateurs, des réseaux sociaux, des blogs. Or, en application de l’article 6 de la loi sur la confiance dans l’économie numérique, (n°2004-575), 21 juin 2004, les juges prennent en compte le niveau d’intervention des prestataires sur le contenu, le choix, la sélection, le filtrage, le contrôle, la modération pour engager la responsabilité des sites internet. La modération a priori permet de prendre connaissance d’un message avant qu’il ne soit diffusé sur le site et d’éliminer les messages non conformes ou illicites et donc d’engager la responsabilité des sites internet. Ainsi, les exploitants d’hôtels, de clubs, de restaurants ou de résidences référencés sur Tripadvisor pourraient tenter de mettre en jeu la responsabilité de ce site internet, en qualité d’éditeur, au titre des propos diffamatoires, injurieux ou dénigrants susceptibles d’y être diffusés.