Bilan de l'activité hôtelière 2024 vu par Adrien Lanotte, Chief Economist, MKG Consulting

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Publié le 19/03/25 - Mis à jour le 03/04/25

adrien

Observateur et analyste expert des marchés hôteliers depuis 15 ans, Adrien Lanotte, Economiste en Chef au sein du cabinet MKG, est sans doute l’un des plus fins connaisseurs du comportement des différents marchés. Il nous livre sa vision de l’activité hôtelière en 2024 et lève un voile sur ce que l’on peut attendre de 2025. « Les variations en 2024 ont été exceptionnelles mais la dynamique reste structurelle »

Le qualificatif qui revient souvent pour qualifier l’année 2024, en termes d’activité hôtelière, est « atypique ». Est-ce que vous reprenez ce qualificatif ? 

Oui effectivement, l’année 2024 a été atypique et cela se traduit par le fait qu’il n’y a eu quasiment aucun mois de l’année que l’on pourrait qualifier de « normatif » en termes de business, c’est-à-dire un mois où les dynamiques sont liées à des facteurs structurels : il y a toujours eu un facteur conjoncturel, plus ou moins exceptionnel selon les mois, qui est venu affecter la lecture. Cela a provoqué d’énormes variations. L’année a donc été atypique en termes de profil et de volatilité avec de fortes évolutions, difficilement prévisibles parfois. 

Est-ce à dire que c’est une année à mettre entre parenthèse et qu’on va revenir à une situation plus lisible, justement, ou est-ce le signe d’une situation désormais plus complexe à décrypter et à anticiper ?

De fait, 2024 a été marquée par pas mal d'événements exceptionnels en Europe, et notamment sur ses deux principaux marchés, avec les JOP en France, et l’Euro de foot en Allemagne. Mais, heureusement, on ne peut pas dire que cela va être tout le temps aussi compliqué que ça. Il y a des analyses structurelles qui restent pertinentes. Si je prends le cas de la France et du Royaume-Uni, ce sont les deux marchés qui avaient été les pionniers de la sortie de crise Covid, et il est normal qu’ils soient les premiers où les performances se tassent par comparaison aux années de rebond. Mais pour l’Espagne, 2024 n’est pas du tout une année atypique, au contraire : c’est une année qui confirme la montée en puissance structurelle du pays. Cela se traduit par des gains de parts de marché. Pour en revenir à la France, de telles amplitudes d'évolution mensuelle n’ont pas vocation à perdurer.

Espagne


Dès lors peut-on parler de normalisation, même au risque d’une certaine stagnation, pour les mois à venir ?

Nous sommes effectivement arrivés à un plateau, sur certains marchés, et la loi des cycles hôteliers avec les variations justifiées de prix hôteliers et de taux d’occupation va reprendre de la pertinence. Les variations en France ont été hypertrophiées mais la dynamique structurelle reste là. La vraie question se pose maintenant sur le comportement de plus en plus différencié entre les segments de clientèles, et donc de la demande. Il reste de grands points d’interrogation en France sur la clientèle domestique, que l’on peut même élargir à la clientèle européenne hors CSP+. Quid des arbitrages budgétaires qui se traduisent déjà dans les volumes de nuitées ?

En quoi est-ce différent des « crises » précédentes ?

Si je prends le cas de la crise des « subprimes », ou encore celui plus ancien de l’après-11 septembre, la baisse de la demande hôtelière avait d’abord été internationale, affectant les gammes supérieures. Celles-ci avaient donc baissé leurs prix et compressé l'activité par le haut, obligeant les autres segments à faire de même. Cette fois-ci, il y a eu deux sous-marchés distincts : celui des catégories d’entrée de gamme, qui subissent pleinement l'impact des difficultés des clientèles domestiques, et celui du haut de gamme et luxe qui va toujours plus haut, avec des Américains et des clients dollar au sens large (incluant les émergents) qui continuent à vivre leur meilleure vie avec un pouvoir d'achat complètement inégalé en Europe.


« Cette fois-ci, il y a eu deux sous-marchés distincts : celui des catégories d’entrée de gamme, qui subissent pleinement l'impact des difficultés des clientèles domestiques, et celui du haut de gamme et luxe qui va toujours plus haut, avec des Américains et des clients dollar au sens large (incluant les émergents) qui continuent à vivre leur meilleure vie ».

D’ailleurs on voit bien que les gammes et les territoires qui s’en sortent le mieux, ce sont Paris et la Côte d'Azur : les destinations les plus exposées à l’international. Si rien ne bouge du côté économique et social, on peut penser que ça va rester plutôt en l'état. L'Europe reste très attractive et culturellement proche pour ces clientèles.

Pour en revenir à la distinction de comportement des segments de l’offre, est-ce que ce cette clientèle à fort pouvoir d'achat apporte davantage de poids à la dimension Loisirs de l’offre ?

Sans doute mais ce n’est pas aussi dichotomique dans les motivations. Le haut de gamme a très bien fonctionné en France comme en Allemagne, en loisirs et affaires. Le MICE est en forte reprise par exemple. Il est vrai que la dimension Loisirs a été stimulée sur la Côte d’Azur ou la montagne en fin d’année, mais la façade atlantique ou la Bretagne, essentiellement loisirs, ont souffert pour d’autres raisons, notamment climatiques.

Donc, c'est vraiment une question de moyens….

Oui, on est sur une clé de lecture de pouvoir d'achat. D’autant que la croissance des RevPAR a été tirée par les prix moyens, pas par la fréquentation.

Est-ce que l’on a atteint un « plafond de verre » ?

Le rattrapage de fréquentation par rapport aux années d’avant crise-Covid est terminé sur la plupart des marchés européens, à l’exception sans doute de l’Europe orientale, qui bénéficie encore d’un fort attrait en raison des prix pratiqués. L’effet « revenge travel » est bien derrière nous et la croissance future des TO sera plus faible voire négative sur certains marchés, avec de plus grandes difficultés attendues pour les déplacements.

Pour des raisons économiques, une partie de la clientèle hôtelière s’est-elle largement échappée vers d’autres formes d’hébergement marchand ?
Oui, forcément, dans le sens où l'offre de location saisonnière a continué à se développer. Elle est d’autant plus accessible que les plateformes, Booking, Expedia et autres, et pas seulement Airbnb, la mettent en avant. Mais cela n’explique pas tant que ça l’évolution des fondamentaux : l’offre « alternative » existe depuis longtemps et la séquence actuelle, avec moins de développement de ce type d’offre que ces dernières années, a plutôt soutenu la dynamique des hôtels.

Il n’y a donc pas de fatalité à ce que les taux d’occupation continuent de baisser ?

C’est en France qu’ils ont baissé mais partout ailleurs en Europe, ça monte et ça monte fort. C’est vrai pour l’Europe orientale, pour l’Espagne… qui d’ailleurs est aussi le pays le plus proactif sur la maîtrise des locations saisonnières. Donc ça laisse à penser que le vase communicant entre hôtellerie et locations privées peut marcher dans les deux sens.

Est-ce que l’on a été trop laxiste en France ?

On a un vrai sujet sur le développement de l’offre hôtelière en France, de plus en plus contrainte. Si l’offre Airbnb explose, c’est aussi l’une des raisons. Il y a eu un très faible effet JO sur l’augmentation de l’offre hôtelière, contrairement à ce qui s’est passé à Londres ou à Rio, par exemple. Finalement, pour l’hébergement on a fait comme les infrastructures sportives : Paris a répondu au besoin avec l'existant. La bonne nouvelle, c'est que cela va permettre, en toute logique, d'assez forts gains de chiffre d'affaires dans le futur.


« On a un vrai sujet sur le développement de l’offre hôtelière en France, de plus en plus contrainte. Si l’offre Airbnb explose, c’est aussi l’une des raisons ».

Mais n’est-ce pas une stratégie à court terme, qui bénéficie d’une pénurie de l’offre ?

Il faut prendre en compte les éléments positifs comme le retour du MICE, les dessertes qui se sont nettement améliorées et qui redonnent de l’attractivité à des territoires, notamment parisiens. Le sujet reste l’appréciation de la création de valeur pour les investisseurs. Aujourd’hui, de leur point de vue, la conversion et la montée en gamme de bâtiments existants en recèle davantage que la construction d’une nouvelle offre, devenue très difficile à mener à bien.

Y-a-t-il des régions, des pays qui ont eu un comportement intéressant dans cette année « atypique » ?

Globalement l’Europe du Sud a continué à bien performer. L'Espagne nous a étonné positivement. La contribution de l’Euro de Football en Allemagne a été à la hauteur de ce que l’on attendait. La surprise de 2024, c’est sans doute la puissance de l’événementiel Loisirs, notamment en Allemagne. Qui aurait imaginé l’impact à ce point de tournées comme celles de Taylor Swift, d’Adèle ou de Coldplay ? Il faut se rendre compte par exemple que ces concerts ont fait de Munich l’une des destinations touristiques les plus « chaudes » de l’été : plutôt inattendu de la part d’une destination « business »… mais ce n’est pas la seule.

Adèle

Par ailleurs, j’ai observé avec pas mal d'intérêt le rebond en fin d'année de l'Europe centrale et orientale (Pologne, Hongrie, République tchèque, …) : il reste à confirmer, mais il serait tout à fait logique que la tendance se prolonge. Car dans un contexte d’arbitrage budgétaire pour les Européens, ces destinations sont attirantes pour les clients loisirs avec des prix moins élevés, et affaires avec une main d'œuvre pas cher. C'est là que s'installent les nouvelles méga-usines de batteries et autres, alors qu’elles ferment ailleurs.

Est-ce que l’on peut lever un voile sur les prévisions 2025 ?

MKG Consulting édite un rapport Forecast 2025 disponible sur abonnement, mais dont on peut communiquer quelques grandes orientations. Notre vision globale est celui d’une Europe à plusieurs vitesses, avec quatre marchés distincts.

En tête on retrouve l’Europe du Sud, avec un focus particulier sur l’Ibérie (Espagne, Portugal), où on devrait entrer dans une logique de baisse des taux d’occupation car les prix hôteliers ont littéralement flambé, et vont continuer à augmenter car la demande s’est renforcée ces derniers mois. Mais ce marché reste particulièrement solide.

Les pays « pionniers », France et Royaume-Uni, ont, eux, déjà enregistré une correction des taux d’occupation en 2024, et la conjoncture macro y était déjà dégradée. On pourrait donc aller vers une amélioration de l’environnement macroéconomique au Royaume-Uni, tandis que la France sera plutôt dans des logiques de comparaisons, tantôt positives tantôt négatives, avec les facteurs exceptionnels de 2024.

Dans l’Europe du Nord-Ouest, il faudra observer attentivement l’Allemagne, qui a gagné massivement des parts sur le marché MICE, un vrai fondamental du marché hôtelier outre-Rhin, alors que le pays avait eu du mal à sortir de la crise Covid. Mais les grands événements sportifs ou festifs 2024 ne vont pas se reproduire : la base de comparaison, très élevée, sera donc difficile à tenir, surtout dans le contexte actuel de remise en question des fondamentaux industriels du pays. Il y a également des interrogations sur les Pays-Bas avec l’impact qui se prolonge des mesures fiscales comme la très forte hausse de la taxe de séjour, les restrictions d’offre à Amsterdam…

Logiquement, l’Europe centrale devrait continuer à gagner des parts de marché parce que la demande internationale est forte. Les Européens cherchent des endroits pas chers, sous réserve évidemment de ce qui se passe en Russie et en Ukraine. L’effet Trump sera aussi un « facteur X ». S’il force la main à tout le monde pour arrêter le conflit, les pays de l’Est ont tout à y gagner sur le volet hôtelier.

Couv
Toutes les analyses détaillées de l'activité hôtelière globalement en Europe,  mais aussi en France et dans les 10 principaux pays du continent, sont à retrouver dans la dernière édition de Hospitality-ON Le Mag.
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