Entretien avec Laurent Dusollier, CEO d'Odalys Group et François Sabatino, Président d'Appart'City qui partagent leurs expériences et leurs visions du secteur en ce temps de déconfinement progressif. Une discussion avec Vanguélis Panayotis, CEO MKG Consulting.

A date, comment se passe l’après confinement ?

Laurent Dusollier : Je pense que les mesures d’urgence prises par le Gouvernement ont été réactives et appropriées. Je ne sais pas si elles sont suffisantes, mais en tout cas d’ampleur importante. Depuis trois ou quatre semaines, nous naviguons tout de même dans le brouillard complet. Nous attendons les nouvelles annonces, mais à chaque fois c’est la déception la plus totale. Rien n’est annoncée sur nos secteurs [nb : cet entretien a été réalisé avant les annonces du jeudi 28 mai]. Soit parce qu’ils reportent les précisions à plus tard, soit parce qu’ils mettent dans un amalgame tout une série de type d’hébergement qui n’ont rien à voir. Cela manque de cohérence et de visibilité. Le problème pour nous, c’est de se projeter. Nous avons des besoins, tels que le recrutement des saisonniers, la mise en place des équipes – et pour ceux qui ont des besoins d’animations et de restaurations importants de faire des approvisionnements. Ils font toujours les annonces la veille d’un week-end ou de longs congés. Mais en annonçant le jeudi soir, tout le monde ne va pas avoir rouverts ses établissements le lundi matin. Cela devient problématique et ce n’est pas pour nous rassurer.

François Sabatino : Nous sommes bien évidemment prêts et nous l’avons toujours été. Nous avons un programme de reopening. Nous avons mis en place des procédures sanitaires et édité un cahier et des affiches. Mais, nous n’avons pas vraiment une feuille de route sur les mesures. J’espère que les prochaines annonces nous permettront d’avoir plus de précisions. Sans ces précisions, c’est très délicat. Nous avons prévu d’ici une dizaine de jours de rouvrir progressivement. Sauf que nous qui sommes très tournés business, sans aéroport, peu de train et moins de déplacements professionnels, le segment ne sera pas favorisé de nature. Il nous faut vraiment des précisions et ce sera ensuite, à nous de faire le nécessaire pour que le redémarrage soit réussi.

Il y a un vrai sujet autour de la distribution. Nous savons que c’est une partie de la valeur ajoutée qui est captée et délocalisée. Nous ne pouvons pas délocaliser le service, mais nous pouvons délocaliser une partie de la valeur ajoutée. Vous avez des activités orientées moyen ou long séjour, ce qui est proche des acteurs de meublés de touriste. Est-ce que nous avons complètement raté l’opportunité de remettre les pendules à l’heure et de rééquilibrer les règles du jeu ?

Laurent Dusollier : Le sujet est un peu complexe. A partir du moment où nous attirons une clientèle étrangère, faire appel à des partenaires extérieurs pour faire de la distribution a toujours existé et existera toujours. La volonté des entreprises, et même avant la crise Covid, c’est d’investir massivement pour développer des plateformes qui peuvent prendre un maximum de commandes en directes. Le problème, c’est que c’est coûteux et cela nécessite d’avoir des entreprises à tailles critiques pour mettre en place les investissements informatiques nécessaires.

Ce qui m’a un peu choqué dans cette crise, c’est que des plateformes – et la plus connue d’entre elle également – n’ont pas totalement joué le jeu par rapport aux remboursements des avoirs, des incentives d’aide aux commissions ou des questions de qui paie ses impôts à quel endroit. Il y en a d’autres qui ont joué le jeu. Il faut quand même le reconnaître. Je suis dans le business du ski et c’est vrai que les tour-opérateurs comme Sunweb ont compris. Nous avons trouvé des accords. Nous avons fait 50/50. Il ne faut pas tous les mettre dans le même panier. Il y en a qui se projettent sur de la collaboration à plus long terme. Ce qui m’inquiète à très court terme, c’est qu’il y a beaucoup de ces opérateurs mono-produit qui sont très fragilisés et risquent de ne pas rouvrir. Nous risquons d’avoir un manque de relai de distribution. Si cela repart sur des grosses agences, cela m’embête un tout petit peu.

François Sabatino : Le Gouvernement sait faire des annonces sur des secteurs qui sont certainement plus simples à aider et à normer. Mais il y a divers types d’hébergement et l’État a plutôt tendance à lever le pied en disant : « c’est difficile de légiférer. » Ils préfèrent que les privés se débrouillent entre eux, mais au final nous avons raté de faire payer les impôts auprès de certaines de ses plateformes.

Nous avons une belle opportunité, au travers des mesures sanitaires et des taux de commissions, de dire : les opérateurs mettent en place des mesures sanitaires extrêmement coûteuses pour préserver la santé de nos collaborateurs et de nos clients, mais où sont les mesures et comment elles sont appliquées au travers de ses plateformes ? Aujourd’hui, il n’y en a pas. Quelques communications, mais c’est vraiment très light. Nous pouvons nous battre et investir dans nos outils, mais l’indépendant va se retrouver dans une situation où il avait l’impression d’avoir une main sur son épaule et l’obligation de passer par des plateformes à une main sur chaque épaule à la reprise.

Là, vous avez rouvert à la réservation. Êtes-vous en ligne avec ce que vous avez prévu ou est-ce qu’il y a quelques bonnes surprises ?

Laurent Dusollier : Il y a eu deux sujets. Il y a eu celui du Lundi de l’Ascension où nous avions voulu passer entre les gouttes et lancer la saison pour provoquer la réaction des pouvoirs publics. D’ailleurs cela a dû embêter certaines personnes, parce que nous avons eu un arrêté jeudi matin qui nous a empêché de continuer le jeudi de l’Ascension. Les clients qui étaient déjà arrivés, nous les avons délogés dans des hôtels et des Airbnb.

Sur la relance, nous sommes dans un secteur poker menteur. Pendant toute la saison, tout le monde dit que cela va super bien et quand nous faisons les comptes c’est un peu différent. Donc moi je vais avoir un discours de vérité. Nous avons vu, après les annonces du Gouvernement, un pic de commande très impressionnant. Nous étions sur des niveaux très élevés : à 400%, 500% ou 600% par rapport aux semaines précédentes. Sur à peu près rien du tout, cela ne fait pas grand-chose même si nous avions encore un petit filet d’eau.

La tendance depuis 15 jours, c’est que nous sommes revenus à des niveaux de commandes proches des niveaux que nous avions l’année dernière. Je ne parle pas du business/affaire qui est quasi à l’arrêt. Pour être franc, nous creusions notre tombe il y a plus de quinze jours. Là nous sommes revenus à des niveaux normales. Le trou n’est pas en train d’être comblé. Nous ne sommes pas sur des niveaux très nettement supérieurs à l’année dernière. Mais nous sommes revenus sur des tendances.

Je pense que ce qui va vraiment déclencher tout cela, ce sera l’annonce sur les 100 km. Beaucoup plus que l’ouverture des frontières parce que pour des résidences de tourisme, nous sommes beaucoup plus dépendants des arrivées en voiture de français. Les touristes étrangers, j’ai un peu fait une croix dessus.

François Sabatino : Pour aller dans le sens que ce que disait Laurent, c’est assez étonnant parce que nous n’avons jamais vraiment été fermés et nous n’avons jamais vraiment été ouverts. Mais les contraintes ont fait que nous n’avons pas de business.

Appart’City a 70% de son chiffre d’affaires axés sur le corporate. Cela veut dire qu’entre les 100 km, les entreprises qui souhaitent faire des économies et le télétravail, cette partie n’est pas du tout repartie. Je pense qu’il faudra plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour qu’elle reparte une fois que nous serons totalement déconfinés. Je prends l’exemple de notre siège qui est à Montpellier. Aujourd’hui il y a deux vols sur dix pour aller à Paris. Même chose pour la Défense qui a 20 000 personnes sur 180 000 qui y travaillent. Cela donne une idée de notre business.

Sur la partie tourisme et le redémarrage des réservations, Odalys a un peu secoué tout le monde. Nous avons eu ce décret qui est tombé et qui vient confirmer que nous ne pouvions pas reprendre. Nous avions fait le choix de laisser les ventes ouvertes et de checker au fur à mesure des annonces sanitaires. A partir du moment où nous avions tous les éléments nécessaires, nous ne nous interdisions pas de rouvrir. A Nantes, nous n’allons pas rouvrir les 7 établissements. Nous allons en ouvrir un ou deux et nous allons voir si cela frémit au niveau loisirs.

Mais au final, avec ses différentes annonces et retours, nous allons ouvrir les ventes à partir du 8 juin. C’est deux à trois établissements sur 100 qui risquent d’ouvrir et seront certainement à 40% de remplissage. Il faut que nous soyons clairs avec nos chiffres. Nous ne sommes pas du tout dans une reprise, même si nous avons l’espoir d’entendre ce frémissement. Le frémissement pour le moment, c’est le pick up du matin. Mais pour le moment il n’est pas là.

Quel a été le retour des équipes ? Comment avez-vous procédé pour garder le contact ?

Laurent Dusollier : Il y a deux types de collaborateurs. Nous allons peut-être évoquer ceux dont nous ne parlons pas assez, c’est-à-dire ceux qui sont sur le terrain. Ils sont tous partis au chômage partiel. Ils ont pour la plupart été très frustrés de ne pas pouvoir finir la saison, notamment à la montagne. Mais ils sont dans les starting blocks. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai voulu anticiper le lancement. Cela à donné le ton et permis à une vingtaine, voire une trentaine de résidences, de commencer à mettre en place les mesures sanitaires, de se préparer et de se former. Ils étaient motivés et contents d’être là, même si les taux d’occupation étaient faibles. Ils avaient besoin de ce signe positif. Mais c’est vrai que le jeudi de l’Ascension, lorsque nous avons eu l’arrêté, cela a été un coup de massue pour les personnes qui sont revenues.

Le petit souci, c’est au niveau des saisonniers et des extras : est-ce qu’ils vont être là, pas là et dans quel type de business ? Pour l’instant, c’est compliqué.

Concernant les équipes du siège, nous avions 60% des personnes en chômage partiel. Ceux qui étaient les plus frustrés étaient les commerciaux, parce que nous sommes en plein dans le lancement de la saison de l’hiver prochain. Impossible de contacter qui que ce soit. Nous étions sur des commerciaux qui réglaient des problèmes d’avoir, de remboursement et de préparation de la saison suivante. Mais vu qu’ils ont une part variable, nous rentrons sur des problématiques de « comment les rémunérer ? ». Nous avions quand même décider d’envoyé un signe fort aux équipes en comblant les salaires – cela les a rassurés sur la pérennité de l’entreprise. Les gens se sont posés la question de savoir s’ils allaient encore avoir leur job à la fin de l’été.

François Sabatino : Nous ne regrettons surtout pas le côté humain au centre de notre stratégie. Cela nous a permis de traverser cette crise. Quand je dis traverser, elle n’est pas finie mais nous avons espoir qu’elle soit plus proche de la fin que du début.

C’est vrai que les collaborateurs ont été exceptionnels. Imaginez appeler ses équipes pour leur expliquer qu’il faut tout fermer et presque mettre les clients dehors. Il faut véritablement avoir des équipes sur le pont dans ces moments-là. La vérité vient du terrain.

Nous avons vécu différentes périodes et il y a eu des inquiétudes sur les suppressions de poste. Nous avons tout mis en place pour rassurer et conforter les équipes. Tout le monde est en train de se rendre compte que le redémarrage sera aussi violent que le confinement. Nous parlons des grosses entreprises, mais nous oublions les petits. Nous faisons marcher des dizaines et des dizaines d’entreprises autour de nous et nous voyons qu’elles tombent. Automatiquement les équipes sont au courant que tel prestataire à fermer ou ne répond plus. Ce plan de réouverture permet de remotiver tout le monde et c’est pour cela qu’il faut nous aider, plutôt que nous stopper. Je suis toujours agréablement surpris mais ils sont sur le pont. S’ils pouvaient venir pour m’arracher les clés, ils le feraient. Ils sont ravis, mais en même temps je suis obligé de leur dire que nous ne pouvons pas répondre à 100% à leurs questions.

Il va y avoir un sujet de compétitivité avec nos voisins européens. Qu’est-ce que nous pouvons espérer ou demander de la part du Gouvernement ? Avez-vous deux ou trois mesures pour maintenir la compétitivité française ?

Laurent Dusollier : C’est une question très large. Sur la partie compétitivité touristique vis-à-vis d’autres pays, je ne suis pas trop inquiet sur cet été. Je ne pense pas que le prix sera un élément majeur.

Mais je ne suis pas si optimiste sur la relance par le tourisme local. Dans un an, tout le monde aura oublié. Il y a une très belle étude qui avait été faite par l’Organisation Mondiale du Tourisme qui démontrait qu’après un an et demi, quelle que soit la crise, nous revenons sur les tendances d’avant. Je pense que les prix vont revenir et que la compétition sera surtout en été prochain. Et que malheureusement les gens reprendront des avions et oublieront l’écologie ou le risque.

Sur l’été en France, je vois que tous les acteurs sont en train de tenir les prix. Nous ne sommes pas rentrés dans une guerre. Nous sommes plutôt en train de travailler sur les conditions d’annulations, la flexibilité, la sécurisation et le zéro acompte. Il y a toujours des gens qui déraperont, mais je ne pense pas que le prix sera le sujet.

Après sur la compétitivité du pays, c’est un peu toujours la même chose. Il n’y a rien à réinventer. Il faut que nous ayons des infrastructures, des services et de l’accueil. Fondamentalement il faut surtout que nous ayons un Ministre du Tourisme et que nous arrêtions de résumer le tourisme aux chinois qui viennent à Paris. Ce n’est pas ça le tourisme en France. Déjà si nous arrêtions d’analyser le tourisme de la mauvaise façon, nous trouverions peut-être les solutions.

François Sabatino : La construction de notre compte d’exploitation est assez simple. Nous avons le poids des loyers qui fait que même le meilleur d’entre nous, en dessous de 65% de remplissage ne fait pas les frais. Je crois qu’il y a assez de personnes câblées pour avoir des réflexions et faire des études à ce sujet. Mais il serait très facile de prévoir le redémarrage de la partie business. Nous aurons certainement une année 2022 comparable à une année 2019. Nous aurons certainement douze à quinze mois difficiles.

Nous ne demandons pas de légiférer, mais il y a certainement des actions qui peuvent être mises en place pour alléger certaines charges. Ils ne veulent pas rentrer dans la partie privée, discuter pour la partie bailleur ou la partie plateforme, mais ils peuvent se dire « nous ne sommes plus à quelques milliards près ». Il y a eu la fameuse histoire de la TVA dans la restauration. Il y a toujours les pour et les contre. Mais cela a certainement favorisé les ouvertures et des non-ouvertures – même si le compteur d’emploi n’est pas à la hauteur que ce qu’avait promis l’UMIH. Ils avaient tout de même reboosté le secteur. Nous entendons dire que le décalage des charges pourrait se transformer en allègement total. Je pense que ce serait une vraie mesure pour pouvoir redémarrer.

Effectivement, à 7% du PIB, cela parait incroyable de ne pas avoir de Ministre. Il y a d’autres secteurs qui sont réunis en trois ou quatre acteurs, qui font moins de PIB, qui ont une ribambelle de représentants et d’aides. Il est temps de se pencher sur ce sujet. Et pas de mettre six mois ou un an pour le faire.

Quelles seront les deux ou trois marqueurs qui vont venir durablement s’installer ?

Laurent Dusollier : Ce qu’a dit François sur les aides, c’est effectivement très important. Il y a quelque chose qui m’inquiète un petit peu. C’est que nous considérons que notre secteur est un secteur de petits artisans et d’indépendants. Au fond les annulations de charges, les rapports et toutes les mesures, elles s’adressent très peu aux grosses entreprises. Nous regardons le secteur comme si c’était seulement des cafés-restaurants ou des hôtels et nous oublions les chaines. Je trouve que lorsque nous regardons ce qui est adressé à l’aérien et l’automobile, cela leur semble naturelle d’aider les grands groupes. Dans ce secteur, il y a des amalgames sur les tailles des entreprises qui semblent importants.

Je pense que tous les débats que nous voyions avec le remboursement des billets d’avions, le fait de donner des avoirs plutôt que des remboursements ou que tous les voyages ne sont pas nécessairement assurés – les gens vont se demander quelle est la garantie que mon argent ne sera pas bloqué et comment je vais le récupérer. La réassurance sanitaire ne va pas être très compliquée. La réassurance sécurité est rentrée dans les mœurs. Mais la réassurance économique n’a jamais été abordée. Pour que les gens puissent réserver suffisamment tôt et deviennent un peu moins promo driven, il faut prendre des mesures concernant le remboursement. C’est peut-être un marqueur fort en termes d’offres de la part des hébergeurs et des pouvoirs publics et en termes de demande de la part du client. C’est un sujet qui peut évoluer si nous souhaitons nous donner un peu de perspective.

François Sabatino : Je pense que les assurances sont un vrai sujet, que ce soit pour nos clients et nos entreprises. Finalement les assurances se sont bien échappées du sujet en disant qu’ils n’étaient pas concernées.

Je suis assez d’accord que nous revenons souvent aux origines. Peut-être qu’il restera un peu de mesures sanitaires. Peut-être que nous croiserons un peu plus des personnes avec un masque dans les rues. Nous parlons aussi beaucoup du télétravail. Effectivement cela peut être pratique. Mais nous sommes dans un métier où le service est humain. Il ne passe pas par un câble.

Si tout le monde est rassuré, je pense que nous reprendrons nos habitudes. Le développement durable reste un schéma d’opportunités et l’ancrage sera long. Mais peut-être que sur les modes de consommations tels que les box de petit déjeuner ou plus de ventes à emporter pourront rester. Nous serons au rendez-vous s’il y a une attente de ce côté-là.

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