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Gaspard de Moustier : « Nos projets touristiques doivent être un motif pour prendre soin d’un lieu »

9 min de lecture

Publié le 10/02/23 - Mis à jour le 10/02/23

Gaspard de Moustier a créé Coucoo Cabanes il y a maintenant 15 ans en Franche-Comté. Il était à l’époque en stage dans une banque tout en terminant son Master à Dauphine.

La genèse de Coucoo Cabanes

En Franche-Comté, région qui coule dans mes veines, ma famille était propriétaire d’une ancienne gravière. C’était un site exceptionnel et je me suis demandé comment développer, à partir de cet environnement très naturel, un projet qui puisse valoriser et prendre soin de ce lieu. La région étant peu attractive, je souhaitais rendre ce site attractif à travers le projet en lui-même. A ce stade, il ne s’agissait pas pour moi de développer d’autres sites.

J’ai débuté l’activité avec 8 cabanes pour lesquelles je faisais le ménage, les petits-déjeuners, l’accueil, la comptabilité, les prises de réservations… Tout cela en y mettant beaucoup de passion et du bon sens paysan. Localement, je connais tout le monde, je suis donc allé voir les producteurs environnant pour de la confiture, du miel… ce qui m’a permis de créer un écosystème fort autour du site pour tous les produits que nous vendons dans les cabanes y compris les activités. Je me suis concentré sur l’expérience d’accueil des clients avec la volonté de développer un projet très ancré dans le territoire.

Cet ancrage très local du projet m’a apporté une clientèle locale très forte. 80% de mes clients sont à moins de 2 heures de route et 50% de mes clients sont à moins d’1 heure de route. Tous ces clients viennent principalement par le bouche-à-oreille.

Alors que nous sommes sur un produit assez cher, allant de 155€ à 400€ /nuit pour les cabanes 6 personnes sur certains de nos sites en haute saison, nous avons une clientèle très large. Nous accueillons des clients locaux, qui qui habitent parfois à 10km et qui sont artisans, commis de cuisine, boulangers, etc…. Ils viennent passer 1 à 2 nuits par an chez nous et dépensent un certain budget. Ils sont contents de le faire car ils redécouvrent leur territoire et se rendent compte qu’il n’est pas nécessaire d’aller loin pour avoir l’impression d’être partis au bout du monde.

Cela me passionne de voir que les gens viennent découvrir leur territoire et tous les artisans qui sont autour de chez eux. Cela déclenche un attachement très fort au projet. Le local est le prisme premier de notre prise de décision quand nous choisissons des partenaires. A cela nous ajoutons une notion de progrès avec nos partenaires qui sont généralement des petits producteurs.

Nous avons cette forte volonté de progresser ensemble. Pour cela nous organisons une à deux fois par an avec nos producteurs des réunions sur nos sites et la plupart du temps ils ne se connaissaient pas. Lors de ces rencontres, nous lançons des réflexions collectives pour réduire les déchets ou supprimer le plastic par exemple. Pour qu’ils puissent réfléchir à cela, nous devons leur donner de la visibilité. C’est pourquoi nous développons avec eux une vraie logique de partenariat qui va bien au-delà d’une logique de client-fournisseur.

Une démarche de développement de projet scientifique

Pour le développement du site des Grands Lacs, j’avais trouvé un constructeur de cabanes basé en Bretagne qui n’existe plus. Nous avons construit avec eux les cabanes directement dans les arbres sans plan en amont. C’était très intuitif ! Il y avait derrière cette démarche une forte volonté d’intégration dans l’environnement et de respect du lieu dans lequel nous nous implantions. Nos projets touristiques doivent être un motif pour prendre soin d’un lieu, d’un territoire et sa biodiversité. Si nous détruisons le lieu dans lequel nous nous implantons, notre projet perd tout son attrait.

Cette démarche, que j’ai lancée assez naturellement parce que c’était chez moi, nous l’avons fortement structurée depuis.

Tous nos sites sont réalisés dans des lieux très naturels et cela nous demande énormément d’énergie. Quand nous repérons un lieu qui répond à notre cahier des charges, nous lançons une étude d’impact environnemental avec une équipe d’experts et des bureaux d’étude environnementaux locaux qui connaissent leur territoire et les enjeux.

Nous définissons donc avec eux pour chaque site tous les enjeux environnementaux. Ce diagnostic nous permet de faire un premier plan d’implantation fictif. Nous lançons ensuite des études environnementales faune et flore, 4 saisons pendant 1 an. Cela nous permet d’adapter le projet en fonction de tous les enjeux environnementaux. Nous accompagnons ce développement de la construction d’un plan de gestion environnemental avec les associations locales et les écoles, pour arriver à faire du projet un vrai outil de valorisation du territoire.

Nous développons une démarche scientifique pour chaque implantation de projet. Avec des actions et des indicateurs de performance précis. Nous voulons suivre nos actions RSE et raison d’être comme nous suivons notre EBITDA ou notre trésorerie. En effet, l’environnement et la biodiversité, ce n’est pas une question d’idéologie, de politique ou de marketing, c’est une science et il faut s’entourer d’experts pour bien faire les choses

C’est pour nous fondamental pour être efficaces dans nos actions et aussi pour engager nos équipes. Notre projet et l’engagement pour faire du tourisme, un vecteur d’impact positif sur les territoires et la biodiversité, fait que cette année nous n’avons eu aucun problème de recrutement. Nous avons des équipes exceptionnelles sur nos sites.

Participer au développement d’un tourisme à impact positif

Au-delà de compenser de potentiels impacts négatifs, nous voulons développer des projets qui ont au contraire des impacts positifs. La structuration de cette démarche est née à l’époque de l’idée de préserver ce site auquel je tiens et qui m’appartient. Nous sommes dans une phase de structuration qui nous a poussés à formaliser notre raison d’être et nos engagements. C’est aussi grâce à cette démarche que nous avons atteint une satisfaction client exceptionnelle : nos clients sont heureux chez nous.

Notre sujet est désormais de partager avec nos clients nos valeurs. Notre raison d’être était jusqu’à maintenant très orientée client et désormais nous l’orientons vers nos valeurs et nos engagements. C’est beaucoup plus intéressant car c’est ce qui fait vibrer nos équipes. Nous sommes aujourd’hui 120 collaborateurs répartis sur 5 sites, soit 120 cabanes.

Le marché de l’insolite commence à se structurer mais ce sont surtout des tout petits projets. Dans le secteur de l’hôtellerie, même nos projets objectivement sont petits avec des unités de 25 à 30 clés. Toutefois nous sommes rentables car nous avons un très bon taux d’occupation avec des paniers moyens assez élevés.

Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons la volonté d’être les artisans d’un tourisme engageant et bénéfique pour les territoires et la biodiversité et ce, pour toutes nos parties prenantes. Nous souhaitons démontrer aujourd’hui que l’on peut faire un tourisme différent. Dire que le tourisme est une activité qui détruit, c’est une vision très archaïque. Si le secteur du tourisme n’a pas fait que des bonnes choses dans les années 80 et 90, je pense que cela change beaucoup et que le tourisme est un secteur qui a toutes les clés pour répondre aux grands enjeux de notre société.

Nous travaillons actuellement sur 3 nouveaux projets qui pourraient voir le jour dans 3 à 4 ans. C’est long mais c’est important de prendre le temps pour bien faire les choses !  Nous nous disons à chaque fois que les projets que nous allons sortir seront mieux que les précédents et moins bons que les suivants. Nous sommes réellement en permanence dans cette dynamique de progresser sur tous les sujets environnement, consommation, écoconception avec par exemple le réemploi dans tous nos chantiers. C’est quelque chose que le secteur doit apprendre à faire.

De nombreux petits acteurs nous contactent pour nous demander conseil et nous prenons plaisir à les accompagner et surtout à les aider à réaliser tous les obstacles qu’ils vont devoir franchir. Et ce, notamment sur toute la partie autorisations administratives.

Des modes de financement alternatifs ?

Un projet nécessite entre 4 et 5 millions d’euros d’investissement. Jusqu’à 2019 nous nous sommes financés à 100% avec les banques. En 2019 nous avons accueilli 3 investisseurs privés qui étaient réellement en lien avec nos valeurs ainsi que Bpifrance.

A date, nous n’avons jamais lancé de financement participatif mais nous nous sommes posé la question par rapport à notre engagement local. Permettre aux locaux d’investir dans les projets, nous trouvons cela intéressant. Toutefois nous ne maitrisons pas encore ces sujets du financement participatif. C’est un dispositif qui a un réel impact sur le fonctionnement de l’entreprise.

C’est toutefois très intéressant car dans nos parties prenantes nous avons le territoire et nos habitants. Nos sites sont tous ouverts et sur les territoires nous sommes très proches des gens.

Un développement construit avec les élus des territoires

Nous travaillons très activement avec les élus locaux car nos projets nécessitent des révisions des documents d’urbanisme ce qui demande un portage politique fort. C’est un des plaisirs de notre entreprise, côtoyer des élus de petites communes qui sont extrêmement engagés et qui dédient leur vie à faire vivre leur territoire. Quel courage ils ont ! Nous prenons réellement plaisir à travailler avec eux.

Un hub d’innovation

Dans le développement de notre offre nous sommes montés en gamme. Nous avons donc installé des bains nordiques sur les terrasses de nos cabanes. C’est un vrai succès commercial, nos cabanes avec bains nordiques sont celle qui ont les meilleurs taux d’occupation. En revanche, nous avons été confrontés très rapidement à la problématique de la qualité de l’eau à laquelle tous les hôteliers doivent faire face.

Nous avons testé de nombreux équipements avec toujours la problématique de changer l’eau au moins deux fois par semaine, tout en continuant à utiliser de nombreux produits chimiques. Nous étions arrivés à la conclusion qu’il nous fallait arrêter cette offre qui ne correspondait pas du tout à nos valeurs. Puis nous avons fait la rencontre d’un ingénieur spécialisé dans la potabilisation d’eau et qui avait commencé à développer un brevet pour le traitement des piscines. Ce dispositif permettait de réduire 80 à 90% l’utilisation de produits chimiques via un traitement UV et Ozone ainsi qu’une filtration 40x plus fine qu’un filtre classique.

Nous avons donc fait de la R&D avec lui pendant 4 ans afin de développer un traitement pour les spas sans produit chimique. Cela nous permet de proposer 80 bains nordiques sur nos 120 cabanes. Moins de vidange (4x moins qu’un spa classique) c’est aussi un gain de temps au-delà de l’utilisation des ressources en eau. Avec ce système nous pouvons changer l’eau tous les deux mois et elle est quasiment buvable au moment du changement !

Ce dispositif aujourd’hui nous le fournissons à de nombreux hôtels à travers notre entreprise Altipure. Sur ce modèle, comme nous connaissons très bien les problématiques hôtelières, nous pouvons innover et apporter des solutions que nous pourrons ensuite partager avec le secteur. Nous testons par exemple actuellement des solutions pour faire de l’eau chaude sanitaire sans chauffe-eau. Je suis convaincu que le secteur doit innover et s’organiser pour partager ces innovations.

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