Lors de la célébration des 5 ans de l'Accélérateur Tourisme et Loisirs, un événement organisé par Bpifrance, une table ronde sur le thème du "Tourisme résilient : s’adapter aux changements climatiques pour réinventer demain" a réuni plusieurs dirigeants du secteur du tourisme et de la restauration. Margaux Thierrée (Responsable Partenariats & Programmation chez Mad Jacques), Muriel Tek Roquejeoffre (fondatrice Sangha Hotels) et Marine Beulaigue (seconde de cuisine au Refettorio) ont partagé leurs initiatives autour des grands défis environnementaux.
Trois entreprises différentes, un objectif commun
Mad Jacques est une entreprise spécialisée dans l'organisation d'événements et de micro-aventures immersives en milieu rural. Elle propose des expériences originales, alliant découverte du terroir, écologie et voyage alternatif. Parmi ses événements phares, la Mad Jacques à Vélo ou en stop permet aux participants de partir à l'aventure avec un itinéraire libre, tout en reliant des destinations rurales. L'accent est mis sur l'authenticité et la convivialité, en dehors des circuits touristiques traditionnels, avec une approche écoresponsable et de forte interaction avec les communautés locales.
Sangha Hotels est une chaîne d’hôtels engagée dans le développement durable, fondée par Muriel Tek Roquejeoffre. L'enseigne se distingue par son approche écoresponsable et son offre d’hôtellerie alternative, notamment en intégrant des pratiques de gestion zéro déchet, des collaborations avec des artisans locaux, et des espaces de détente axés sur le bien-être. L'hôtel met également un point d'honneur à intégrer des solutions durables pour l'environnement, comme l'usage de systèmes de récupération d'énergie pour le chauffage et le refroidissement, en réduisant ainsi son empreinte carbone tout en offrant une expérience unique aux clients, à la fois inspirée par la nature et la culture locale.
Le Refettorio Paris est un restaurant solidaire situé dans l’église de la Madeleine, qui s’inscrit dans un projet plus large initié par le célèbre chef Massimo Bottura à l’échelle internationale. Ce restaurant a pour mission de lutter contre le gaspillage alimentaire en transformant des invendus en repas gastronomiques. Les repas sont préparés par des chefs bénévoles et offerts gratuitement à des personnes en situation de précarité. L’établissement fonctionne grâce aux dons de denrées alimentaires et à la collaboration de nombreux bénévoles, ainsi qu’à des partenariats avec des acteurs locaux pour minimiser son impact écologique.
Ces trois entreprises partagent une vision commune d’un monde plus durable, que ce soit à travers le tourisme, l’hôtellerie ou la gastronomie, et elles s’efforcent de conjuguer innovation sociale et responsabilité écologique.
1. Gestion des ressources et lutte contre le gaspillage
Marine Beulaigue, seconde de cuisine au Refettorio Paris, a mis au cœur de son projet la lutte contre le gaspillage alimentaire. Son restaurant solidaire ne fonctionne qu'avec des invendus alimentaires, provenant notamment de magasins ou de dons. Chaque soir, 85 repas gastronomiques en cinq temps sont préparés par des bénévoles et servis gratuitement à des personnes en situation de précarité, souvent orientées par des associations sociales. Dans cette démarche, le restaurant collabore avec des partenaires comme Ecotable pour minimiser son empreinte écologique, en optimisant l'usage des ressources comme l'eau ou la vaisselle. Toutefois, Marine fait face à un défi important : les magasins, valorisant de plus en plus leurs propres invendus, réduisent les quantités disponibles pour le Refettorio.
Chez Sangha Hotels, Muriel Tek Roquejeoffre applique également une politique zéro déchet. Les chambres sont débarrassées des plastiques à usage unique et remplacées par des solutions durables, comme des fontaines à eau et des tisanneries à chaque étage. De plus, l’hôtel travaille avec des artisans locaux et des alchimistes pour transformer les déchets résiduels en compost, un moyen de valoriser les déchets tout en renforçant les partenariats locaux.
2. Aléas climatiques et adaptation
L’adaptation aux aléas climatiques est devenue cruciale, notamment face à la multiplication des événements météorologiques extrêmes tels que les canicules et les pluies intenses :
Pour Margaux Thierrée et son équipe de la Mad Jacques, qui organisent des événements en plein air, la pluie est un défi majeur. Cependant, en sept ans, aucun événement n’a encore dû être annulé grâce à des plans pluie systématiques. Étonnamment, elle note que les taux de satisfaction des participants (NPS) sont meilleurs lors de ces événements pluvieux. Le changement climatique impacte aussi la montagne, et l’équipe de Mad Jacques cherche à accompagner les stations de moyenne montagne dans une transition vers un tourisme 4 saisons, alors que l’absence de neige devient une réalité de plus en plus fréquente.
Pour Muriel Tek Roquejeoffre, la chaleur est une problématique plus pressante que la pluie. Elle a fait le choix de ne pas installer de climatisation dans son logement personnel, mais cela reste inenvisageable pour un hôtel. Une solution innovante a été trouvée avec l’installation de systèmes de chauffage et de refroidissement alimentés par un réseau de récupération d’énergie à partir de l’incinération des déchets. Cela permet de limiter la consommation d’électricité tout en maintenant un confort thermique pour les clients. Muriel a également mis en place des écogestes pour sensibiliser les clients à l'impact de leur consommation d’eau et d’énergie.
3. Tourisme durable et économie circulaire
Les trois intervenantes partagent la volonté d’inscrire leur activité dans une logique de tourisme durable et responsable :
Margaux Thierrée a expliqué que la Mad Jacques promeut un mode de tourisme durable en créant des micro-aventures dans des destinations rurales peu connues, en dehors des circuits touristiques traditionnels. Les événements mettent en avant trois thèmes : terroir, voyage et écologie, avec une approche centrée sur l'expérience authentique et l’immersion dans la nature. L’équipe de Mad Jacques s'inspire de la charte "Leave no trace" pour réduire au maximum l’impact écologique de leurs événements, en partenariat avec des acteurs locaux pour la gestion des déchets, notamment ceux générés par les food trucks.
Dans l'hôtellerie, Muriel Tek Roquejeoffre se concentre sur la promotion du "staycation" – encourager les clients à passer des séjours dans leur propre ville pour redécouvrir leur environnement proche de manière durable. Elle cherche également à offrir une expérience unique et différente, loin du concept de "comme à la maison". Son hôtel à Toulouse se distingue par une inspiration asiatique, avec des espaces de méditation dans les chambres et un bar à cocktails sans alcool. Sangha Hotels propose aussi des offres combinées avec des événements culturels locaux, comme des formules nuit + concert en partenariat avec le Zénith de Toulouse.
4. Engagement social et mobilisation
Tous les intervenantes partagent un fort engagement social, tant dans leur gestion interne que dans leurs relations avec les partenaires et le public :
Marine Beulaigue s’efforce de mobiliser non seulement ses proches, mais aussi les bénévoles et les chefs qui travaillent au Refettorio, autour de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Les bénévoles jouent un rôle essentiel dans le bon fonctionnement du restaurant, et proviennent d’horizons très variés : retraités, étudiants, employés en congé ou encore entreprises. Le modèle économique repose principalement sur les dons et le soutien de mécènes, sans financement public.
Chez Mad Jacques, l’engagement communautaire est également crucial. L’entreprise a su créer un fort attachement autour de sa marque grâce à une communication décalée et une forte présence sur les réseaux sociaux. Une newsletter, avec un taux d’ouverture de 70 %, permet de maintenir le lien avec les participants, et le bouche-à-oreille contribue énormément à la notoriété de l’événement. Margaux Thierrée souligne l’importance de s’appuyer sur des personnalités influentes comme celles des émissions "J’irai dormir chez vous" ou "Nus et culottés" pour renforcer leur image.
Muriel Tek Roquejeoffre, de son côté, met un point d'honneur à recruter des employés sensibles aux enjeux environnementaux. Elle insiste également sur l'importance de créer des partenariats locaux, tant pour les services offerts aux clients que pour les initiatives écoresponsables, comme l'utilisation du compostage.
5. Vers le tourisme de demain
Pour conclure, les trois dirigeants ont tenté de définir ce que pourrait être le tourisme en 2050, en un mot :
Pour Marine Beulaigue, le futur du tourisme sera marqué par une recherche de sens, une quête qui se fait déjà sentir chez les voyageurs. Margaux Thierrée voit le tourisme de demain comme une expérience avant tout, une rencontre entre l’authenticité des lieux et le désir de découverte des visiteurs. Enfin, pour Muriel Tek Roquejeoffre, l’avenir sera placé sous le signe de la conscience et de l’engagement, tant du côté des professionnels que des clients, face aux défis environnementaux et sociaux.
Ainsi, ces témoignages révèlent que pour faire face aux changements climatiques, les entreprises du tourisme et des loisirs doivent réinventer leur modèle, en conciliant durabilité, engagement social et adaptation aux nouveaux enjeux économiques et climatiques.
Bpifrance et la Banque des Territoires : Accélérateur tourisme et loisirs depuis 5 ans
L’Accélérateur Tourisme et Loisirs, un programme soutenu par Bpifrance et la Banque des Territoires, a pour vocation d'accompagner les PME et ETI du secteur du tourisme dans leur croissance et leur structuration. Il aide ces entreprises à s'adapter aux enjeux contemporains tout en contribuant au dynamisme du secteur touristique en France. Le programme propose des missions de conseil personnalisé et des formations collectives, ayant déjà permis à de nombreuses entreprises d’innover et de relever les défis économiques et environnementaux.
Pour célébrer son 5e anniversaire, l’Accélérateur a réuni les 140 entreprises qu'il a accélérées. Une occasion pour les dirigeants Bpifrance de partager quelques chiffres et de dresser le bilan sur la situation du tourisme en France :
Matthieu Heslouin, Directeur exécutif en charge de l’Accompagnement chez Bpifrance :
« L'objectif de ces accélérateurs, dont nous venons de célébrer le cinquième et allons bientôt lancer le sixième, est d'aider les entrepreneurs à grandir, à passer des étapes structurelles et organisationnelles cruciales dans leur parcours. Après ces cinq années, nous pouvons déjà partager quelques chiffres intéressants : 140 entreprises du secteur du tourisme sont passées par les accélérateurs de Bpifrance. Cela représente un bel asset pour notre réseau. Au total, 740 entreprises de différents secteurs ont été accompagnées, avec environ 30 % dans l'hébergement, 30 % dans la restauration, 10 % dans les loisirs et 5 % dans les agences de voyages. Cela montre une empreinte significative sur le périmètre du loisir et du voyage en France.
Ce qui me fait particulièrement plaisir, c'est le chiffre que Charlotte va partager : la croissance des entreprises accompagnées par l'accélérateur a été de 40 % entre 2022 et 2023, alors que le marché, lui, a crû de 20 à 23 %. Nous faisons ces accélérateurs pour avoir de l'impact, pour que cela fonctionne, pour que vous puissiez vraiment accélérer. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils portent ce nom.
Et puisque ça marche, nous allons continuer. Nous mesurons en permanence les résultats, notamment les taux de satisfaction, que nous surveillons de très près. C'est un point clé dans mon suivi hebdomadaire. Alexandre, qui est ici avec moi, peut en témoigner : nous prêtons une attention particulière aux taux de satisfaction des entreprises que nous accompagnons, en conseil ou en accélération.
Au cours des quatre dernières années, le secteur du tourisme a traversé des périodes incroyablement difficiles. J'ai pu le vivre directement en participant aux comités d'investissement avec Serge Mesguich : la pandémie de Covid-19, la crise en Ukraine, les enjeux énergétiques, l'inflation... Ces crises ont eu des impacts majeurs sur vos modèles économiques, et il a fallu faire preuve d'une grande résilience. Bravo à tous, car si vous êtes ici aujourd'hui, c'est que vos entreprises sont encore debout.
Notre mission est de vous accompagner à travers ces grandes étapes. Nous avons mis en place une offre de conseil multimodale qui aborde des questions stratégiques, internationales, RSE, RH, marketing et marketing digital, comme nous en parlions plus tôt. Tout cela représente une boîte à outils complète à votre disposition pour vous aider à accélérer.
Nous avons industrialisé notre approche et sommes certifiés ISO 9001. À ce jour, nous avons réalisé un total de 20 000 missions de conseil depuis la création de notre dispositif d'accompagnement. Cela fait de Bpifrance la première société de conseil auprès des dirigeants de PME en France, et nous en sommes très fiers. »
Serge Mesguich, Directeur du pôle Tourisme & Loisirs chez Bpifrance :
« Il faut maintenant que l'on se projette. Vous me direz que c'est impossible dans ce secteur, surtout quand on se focalise sur le court terme. Mais ne vous laissez pas dépasser par cela. Cette année, nous avons eu des défis : la météo, les Jeux Olympiques... C'était la panique en juin, avec une fébrilité générale. Tout le monde se demandait si la reprise aurait lieu, personne ne voulait investir. On a constaté une baisse significative des dossiers en France à ce moment-là. Il y a eu du surtourisme en 2023, et certains disent que c'est terminé, que les touristes ne reviendront pas. Sans oublier l'inflation.
Et pourtant, les choses recommencent. Oui, d'accord, le SMIC va augmenter, mais on va trouver des solutions. Pourquoi ? Parce que les Américains veulent suivre le parcours d'Émilie et ils vont revenir. Ils ont vu les JO, et les Chinois, qui viennent de recevoir 150 milliards du gouvernement, vont aussi débarquer. La résilience est là.
Il ne faut pas confondre le court terme avec le long terme. La France a été une vitrine absolument incroyable. Cela va attirer un flot de touristes, et il faudra gérer cette affluence. Je rappelle que le tourisme génère 65 milliards d'euros de recettes venant de l'extérieur. Au 30 juin, malgré le pessimisme ambiant, les recettes étaient en hausse de 6 % par rapport à l'année précédente.
Il faut donc se concentrer sur la construction à long terme. Le court terme, ça va, mais notre métier est de penser aux infrastructures et de se projeter dans l'avenir. Notre rôle est de vous aider à financer vos projets, car l'investissement reste la clé de la réussite. Certains diront que c'est impossible avec les taux bancaires actuels ou les investisseurs qui demandent des TRI trop élevés. Oui, c'est vrai que c'est compliqué, mais on y arrive.
Nous continuons, par exemple, à financer des hôtels. Grâce à un partenariat de plus en plus important avec la Banque des territoires, nous réalisons désormais des projets plus complexes et structurants. Nous pouvons accompagner des financements au bilan sur la partie immobilière, tandis que nous finançons les exploitants.
La résilience est une réalité qui a été démontrée. Il ne faut donc pas s'inquiéter de l'avenir. Bien sûr, nous devons aussi prendre en compte les enjeux RSE, car vous avez déjà fait un énorme travail en ce sens. Maintenant, certains vont parler de surtourisme. Mais là aussi, pas d'inquiétude. Nous sommes en France, et collectivement, nous comptons sur vous. Vos retours, votre perception, nous permettent d'influer sur les politiques et d'agir dans la mesure de nos moyens. »