Dans notre numéro spécial Hospitality ON consacré aux écoles et formations en management hôtelier, nous nous sommes intéressés aux difficultés qu'affronte notre secteur en matière de ressources humaines. Retrouvez ici des pistes de solutions dans un article de Brice Duthion, Manager filière tourisme, Campus Sud des Métiers CCI Nice Côte d’Azur.
La crise et le nouveau modèle touristique
Les crises se sont succédé depuis le Krach boursier en 1929 à un rythme élevé. Leurs origines et leurs cycles ont été analysés par de nombreux économistes. Flambée du prix du baril de pétrole en 1973 ou des taux d’intérêt aux États-Unis en 1982, effondrement des cours de la Bourse à New York en 1987, éclatement de la bulle Internet en 2000 ou de la bulle immobilière aux États-Unis en 2008, la liste pourrait être longue si l’on devait y ajouter l’ensemble des crises politiques, économiques, financières ou environnementales mondiales ou régionales vécues depuis près d’un siècle. Toutes ont eu une influence depuis un demi-siècle sur les activités touristiques, sans que la course à la croissance du secteur du voyage ne connaisse véritablement un arrêt. En témoigne le fameux taux moyen de croissance du nombre de voyages internationaux, supérieur à 4% chaque année, revendiqué par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT).
La crise de la Covid-19 marque une nouvelle étape dans cette histoire récente. C’est un peu l’année zéro du tourisme. Jamais nous n’avions connu un monde totalement à l’arrêt, ou presque. Jamais une crise n’avait stoppé la course au toujours plus, au gigantisme, aux stratégies à l’échelle d’un monde qui semblait devenir parfois trop petit… Proximité, authenticité, circuits courts font partie des mots les plus partagés par les professionnels du secteur du voyage (en incluant à ce terme l’ensemble des segments composant la chaine de valeur touristique ou du parcours client) comme réponse immédiate à la pandémie. Nous semblons redécouvrir collectivement les valeurs historiques et structurelles du secteur. Et c’est tant mieux !
Depuis plus d’un an, les campagnes de promotion s’affichent sur les murs pour des destinations toutes plus proches, plus locales, plus humaines. Le travail marketing se fait autour de valeurs qui illustrent chaque territoire. Difficile d’ailleurs de distinguer véritablement une spécificité d’une destination par rapport à une autre, tant les messages portés se ressemblent. La question de « l’expérience client » apparait en filigrane, pleine de promesses de réalisation de soi, de reconnexion, de plénitude. Le temps d’une offre hybride est arrivé, de nature à apporter un facteur de résilience complémentaire. Pour l’ensemble des acteurs, des projets de transformation ou de réaffectation de certains espaces ou de services apparaissent nécessaires, à la fois comme diversification de sources de revenus mais aussi de types de services proposés (quels que soient les clients, loisirs ou affaires, de proximité locale ou régionale ou plus venant de lointains).
Réinventer le capital humain touristique ?
Lors d’une journée consacrée à la visite des territoires, début juin dans le Lot, le Président Macron a évoqué la « réinvention du modèle touristique français » à l’horizon de cinq ans. Dans le décor rural « enchanteur » de l’un des plus beaux villages de France, Saint-Cirq-Lapopie, le Président a rappellé que le secteur a bénéficié de 30 milliards d’aides de l’État depuis le début de la crise (fonds d’urgence, accompagnement de l’investissement, dispositifs de maintien de l’emploi, etc.) et promis encore 15 milliards d’euros pour la phase transitoire entamée récemment.
Puis il a décrit plusieurs axes comme éléments structurels à la « réinvention » : « amélioration de la formation, amélioration des qualifications et accompagnement tout au long de la vie via notamment des passerelles entre les différents métiers du tourisme » ; « valorisation de notre patrimoine et définition d’une stratégie tourisme vert / tourisme patrimonial » ; « accompagnement à la montée en qualité de l’offre et des infrastructures y compris les transports ou les pistes cyclables » ; et enfin la vieille marotte de « s’attaquer aux plateformes de réservation hôtelières qui captent une partie de la valeur et la volonté », au moins dans le discours, « de bâtir des plateformes françaises ». Un prochain Comité interministériel du tourisme devrait formaliser à l’automne ces engagements.
Une accroche « ressources huamines » a été avancée. Au moins 50.000 offres d’emplois ne sont pas pourvues sur l’ensemble du territoire dans le secteur du tourisme. Les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration l’estiment à plus de 100.000, d’autres à près de 150.000. Qu’importe la donnée exacte, l’ordre de grandeur attire et interpelle. Comment peut-on en être arrivé à cette situation ? Et surtout quelles sont les solutions pour en sortir ?
Les constats ont été dressés durant les derniers. La difficulté de recruter dans le secteur de l’hospitalité est avéré depuis de nombreux mois. Si certaines questions sont identifiées et connues et depuis longtemps (larges amplitudes horaires, salaires bas, volatilité des collaborateurs notamment saisonniers), de nouvelles problématiques RH ont été révélées lors de la crise sanitaire. De nouvelles formes sociales, ou sociétales, ont émergé et s’imposent comme des règles incontournables d’une nouvelle organisation du travail. On peut évoquer plusieurs éléments : un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle, le recours accru à un travail à temps partagé et à une part de télétravail, une hybridité de lieux et des espaces, mais aussi chez les jeunes une pratique « instrumentale » du travail.
L’une des leçons de la crise de la Covid-19 réside dans la nécessaire évolution, pour ne pas écrire révolution, des pratiques en matière de ressources humaines des entreprises, à tous les niveaux, pour l’ensemble des métiers et des compétences. Cela illustre le propos présidentiel, améliorer « la formation, les qualifications et l’accompagnement tout au long de la vie via notamment des passerelles entre les différents métiers du tourisme ». Les pratiques managériales vont obligatoirement évoluer. La staff centric est une obligation.
Accompagner les entreprises, former les managers
Le capital humain doit donc devenir, ou redevenir, la base de toute stratégie d’entreprise touristique. Le Campus Sud des métiers tourisme de la CCI Nice Côte d’Azur a été créé en 2020 pour entamer une véritable mue des formations en tourisme et en hospitalité en France, placer les métiers et les compétences au cœur de son projet et renforcer le capital humain des entreprises. Pensé comme une plateforme de formation aux métiers du management, d’accompagnement à la transformation des organisations et d’innovation dédiée au tourisme, il porte en lui plusieurs valeurs fondamentales :
- Inscrire une marque nouvelle sur la Côte d’Azur garantissant des programmes de formation tendant vers l’excellence et accompagnant l’évolution des métiers et des compétences des managers et des dirigeants
- Se placer comme l’interface de formation et d’innovation entre le territoire (la Côte d’Azur), les entreprises du tourisme (tous secteurs) et les métiers du management
- Considérer le tourisme comme un « parcours client » global intégrant l’ensemble des segments d’une chaine de valeur, interdépendants et complémentaires
Ses premières actions illustrent cette démarche :
- Positionnement d’une démarche inspirée d’une GPEC territoriale en travaillant avec des directeurs généraux et directeurs des ressources humaines d’entreprises touristiques
- Travail sur les formations notamment à destination notamment des professionnels en poste ou en évolution (formation continue) et des jeunes en alternance
- Aide au recrutement et développement des ressources humaines des entreprises.
Une méthodologie a été pensée pour développer tout projet de formation. Elle repose sur quatre axes précis :
- Une ingénierie centrée sur les métiers et les compétences avec constitution d’un référentiel emploi, activités et compétences (REAC) et rédaction d’un référentiel de certification (RC)
- Un partenariat avec les entreprises et les professionnels via des dispositifs particuliers de financement des formations (Pôle emploi, OPCO, etc.). et une définition précise de leurs besoins en personnels avec rédaction de profil de poste (ou mission en entreprise)
- Une sélection sur-mesure des stagiaires élaborée avec les entreprises via un processus d’assessment center (définition précise des critères de pré-sélection sur dossiers, création de tests en ligne, organisation de journées de sélection avec test et mises en situation collectives et individuelles, entretien avec jury, job dating)
- Des séminaires en « mode projet » avec notamment un temps de formation sur le Campus fondé sur résolution de situations contextualisées en équipe (rythmé par des temps de production collaboratifs, des présentations de travaux, des retours d’expérience, des apports théoriques et des masterclass) et une période de professionnalisation en situation réelle de travail dite « Action de Formation En Situation de Travail » (AFEST), mobilisant un tutorat formatif.
Une première action : le programme H2M
Un premier programme de formation, « Hospitality Middle Manager » (H2M), a été créé en février 2021. Dans toute organisation, et singulièrement dans le secteur de l’hospitalité, des salariés « clés » mettent en œuvre au quotidien les stratégies tout en étant en contact avec les clients. Ce sont les middle managers ou managers de proximité, collaborateurs indispensables à l’organisation d’un établissement hôtelier, managers opérationnels stratégiquement situé entre les clients, les équipes et la direction de l’établissement. 16 établissements partenaires parmi les plus grands hôtels de la Côte d’Azur (Négresco, Martinez, Méridien, Marriott, Cap d’Antibes Beach hotel, Belles Rives, etc.) ont accepté d’accompagner cette première promotion. Les missions ont été définies, les stagiaires recrutés et leurs expériences professionnelles ont débuté avec la réouverture récente des établissements pour la saison estivale. L’expérience en entreprise est prévue en deux temps, dans la cadre de l’application d’un dispositif particulier (AFPR) : six mois en 2021 et un contrat de travail de six à douze mois en 2022 sur des métiers opérationnels (adjoint.e d’hébergement / de restauration / de réception, assitant.e gouvernante générale, guest relation manager, reservation manager ou F&B manager, etc.).
Ce programme répond à des attentes précises des établissements azuréens. Son histoire ne fait que commencer puisque le programme va être renouvelé en 2022 sur plusieurs formats, à destination de personnes en mobilité professionnelle mais aussi pour accompagner la montée en compétences de saisonniers réguliers et ainsi les fidéliser. La GPEC territoriale va permettre d’affirmer précisément que le capital humain constitue bien l’or (encore méconnu) de l’hospitalité, de dresser une cartographie précise des besoins RH des entreprises, distinguer les métiers en tensions et créer des programmes sur-mesure, opérés directement par le Campus Sud des Métiers tourisme ou dans le cadre de partenariats avec des établissements de formation français ou internationaux.