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Des nouvelles du front : la Mairie de Paris porte plainte contre Airbnb

9 min de lecture

Publié le 11/02/19 - Mis à jour le 23/10/24

La Mairie de Paris, par la voix de sa maire, Anne Hidalgo, annonce l’ouverture d’une action en justice contre Airbnb. La ville de Paris réclame 12 millions d’euros à la plateforme, arguant que cette dernière ne respecte pas la Loi Elan du 23 Novembre 2018. Il y aurait plus de 1010 annonces dans l'illégalité ouvertes à la location, que les agents municipaux auraient repéré. Un nouvel épisode dans l’opposition entre Airbnb et les mairies, une lutte dont la bataille finale se déroulera probablement à Bruxelles.

Le contexte et les raisons de l’affaires :

Ce dimanche 10 février, la maire de Paris, Anne Hidalgo, dans un interview donnée au JDD, a annoncé que la Mairie de Paris allait intenter une action en justice contre Airbnb. Une nouvelle confirmée par l’AFP qui donne des dates : une assignation adressée le 8 février – deux jours avant l’interview donc – pour un premier passage au Tribunal de Grande Instance de Paris le 21 Mai 2019. De quoi assurer la couverture médiatique des nouveaux bâtiments de R. Piano.

Cette annonce d’une assignation au TGI (Tribunal de Grande Instance) n’est en fait pas une réelle surprise : Ian Brossat, l’adjoint au logement de la mairie de Paris, avait annoncé il y a peu, qu’une telle action était en préparation. C’était le 17 Janvier dernier, déjà lors d’une affaire liée à Airbnb : la mairie demandait une amende à une entreprise louant des appartements sur la plateforme et n’ayant pas respecté la loi, un point confirmé par le tribunal ; cependant, l’entreprise a demandé et obtenu un délai dans le paiement, au motif qu’une décision de Bruxelles, en attente, pouvait annuler l’amende, en déclarant le droit Français contraire au droit Européen (vous pouvez tout comprendre de cette affaire en cliquant ici). Ce jugement empêche, de fait, la Mairie de s’attaquer aux propriétaires, ce qui était sa stratégie première : il ne reste plus qu’à attaquer directement la plateforme. C’est en tout cas la piste choisie par les équipes à l’Hôtel de Ville. Il suffit de relire la déclaration d’Anne Hidalgo au JDD, qui exprime clairement ce basculement : « Je n’ai rien contre les Parisiens qui louent leur logement quelques jours par an pour mettre du beurre dans les épinards Le problème, ce sont les multipropriétaires qui louent toute l’année des appartements aux touristes sans les déclarer » et elle ajoute, c’est là la nouveauté, « et les plateformes, complices, qui les accueillent ».

Plusieurs arguments sont avancés par la mairie pour justifier ces attaques contre la location de courtes durées. D’abord, la sortie de logements du circuit locatif à destination des locaux vers celui à destination des touristes : la Mairie évalue à 20 000 le nombre d’appartements ayant quitté le marché normal pour le marché touristique. Un chiffre qui se retrouve dans le livre de Ian Brossat, l’adjoint au tourisme : « Airbnb ou la ville ubérisée » ; aux éditions « La ville brûle ». Tout un programme. Anne Hidalgo évoque aussi, à l’AFP, les dangers de l’overtourism, précisant qu’elle ne « ne souhaite pas que Paris se retrouve dans la situation de Venise ou Barcelone, où la population s’élève contre les visiteurs » (avec dans le cas de ces deux villes parfois des manifestations assez violentes, il faut penser aux tags « tourists you are the terrorists » qui ont recouverts la ville de Barcelone en 2016 et 2017). Le tout à mettre en perspective avec la baisse du nombre d’habitants à Paris : entre les recensements de 2011 et de 2016 la ville aurait, en moyenne, perdue 11 930 habitants par an (chiffres de l’APUR, l’équivalent Parisien de l’INSEE). Airbnb s’est imposé comme un véritable sujet pour les métropoles Européennes. En France, la loi autorise les municipalités de plus de 200 000 habitants à mettre en place un numéro d’enregistrement obligatoire pour s’inscrire sur la plateforme : Paris s’est empressée de mettre en place ce système. A Amsterdam et à Barcelone, il est maintenant interdit de louer une résidence principale sur les plateformes plus de 30 jours. La maire de Barcelone, Ada Colau, est devenue coutumière des attaques contre la plateforme, après avoir réussi à obtenir une condamnation d’un demi-million d’euros en 2017 elle déclara qu’elle continuerait à porter plainte « tant que le site laissera les annonces des appartements illégaux ». C’est devenu un véritable sujet politique, la maire de Barcelone est une militante de longue date du droit au logement. Ian Brossat, l'adjoint au logement, conduit la campagne européenne du parti communiste Français, comme tête de liste. Et les prochaines élections municipales à Paris se tiendront le 23 et 30 Mars 2020.

La bataille trouvera sans doute sa conclusion à Bruxelles. En effet, la commission s’est saisie du problème. C’est notamment ce qu’a annoncé Airbnb via un communiqué de Presse le 24 janvier dernier : « la commission Européenne a annoncé aujourd’hui (NB : toujours selon le communiqué de l’entreprise) le lancement d’une enquête pour déterminer si la lourde procédure d’enregistrement imposée aux locations meublées touristiques dans la ville de Bruxelles contrevient à la règlementation européenne ». Un argumentaire qui est repris dans un autre communiqué de l’entreprise du 10 février, juste après l’annonce de la Mairie : « Airbnb a déjà mis en œuvre des mesures adaptées pour aider les hôtes parisiens à louer leur logement en conformité avec les règles applicables, et ce, dans le respect de la réglementation européenne. Pour autant, ils maintiennent que la réglementation mise en place à Paris, dont un Parisien sur cinq subit les conséquences, est inefficace, disproportionnée et contraire à la réglementation européenne. » Evidemment, le site s’avance : pour le moment rien n’est tranché sur la conformité entre les droits nationaux et le droit européen. Une lutte où les lobbys fourbissent leurs armes. Du côté de Airbnb c’est l’European Holiday Home Association (EHHA) qui mène le combat, et qui a déjà porté plainte contre les législations de Paris, Bruxelles, Berlin et Barcelone. Le dernier communiqué du lobbyiste, le 31 janvier dernier, est d’ailleurs quasiment un billet d’opinion contre les restrictions sur le marché des locations courtes de durées. De l’autre côté, l’AhTop et le GNI (Association pour un Hébergement et un Tourisme professionnel et le Groupement National des Indépendants), deux syndicats interprofessionnels français de l’hôtellerie, ont salués une décision « courageuse » de la Mairie de Paris, qui « prend le problème à bras le corps ». Et effectivement : selon les calculs du Journal le Monde, un logement sur Airbnb revient en moyenne, en 2016 à 34 euros par personne… contre 80 euros par personnes pour une chambre d’hôtels. Ce qui n’empêche pas l’hôtellerie parisienne de présenter d’excellents chiffres en 2018 (voir, pour les abonnés, notre palmarès 2018 des villes Françaises ici).

L’assignation du TGI envoyée par la Mairie de Paris

                Pour évoquer plus en détails l’affaire : la Mairie de Paris a le droit de demander une amende à la plateforme depuis la loi Elan de Novembre 2018. En effet, cette loi explique que les plateformes deviennent responsables des annonces apparaissant sur leurs sites. Or, depuis 2017 les communes peuvent obliger les hôtes, les propriétaires, à demander un numéro d’enregistrement pour les appartements. Etant obligatoire, ce numéro doit être présent sur l’annonce, et Airbnb doit s’en assurer. Et c’est sur ce point là que s’appuie la mairie de Paris. Les équipes de la municipalité, une trentaine d’agents, qui ont notamment le droit d’entrer dans les appartements (une question prioritaire de constitutionnalité est en cours sur ce sujet précis, là encore dans le cadre d’un logement mis sur Airbnb), ont découvert une première liste de 1010 annonces sur lesquelles ne figuraient pas le fameux numéro d’enregistrement. A noter que ces 1010 annonces sont les résultats d’un premier travail, ne prenant pas en compte tous les arrondissements de la capitale. Les quelques 60 000 annonces présentes sur Airbnb dans la Capitale, ouvertes à la location donc, n’ont pas été toutes vérifiées (Inside Airbnb, en open data, donne un chiffre ce jour de 59 881 annonces avec au moins un jour de location disponible).

                Ce chiffre de 1010 annonces illégales sur la plateforme permet de comprendre l’amende de 12.650 millions d’euros demandée par la Mairie : 12 500 euros par annonces en contravention par rapport à la loi, c’est le chiffre donné par la Loi Elan. Cela dit, il est peu probable que ce chiffre ait « l’effet électrochoc » désiré par l’exécutif parisien tant il semble ridicule par rapport à la santé financière du géant américain. Du chemin a été parcouru du matelas gonflable dans une coloc’ de San Francisco (« Air Bed… and breakfast : AirBnb) au géant de l’hébergement mondial : au troisième trimestre 2018

                Une assignation d’autant plus intéressante que pour le moment la défense d'Airbnb, notamment par rapport à l’Europe, porte sur la réglementation autour des propriétaires, des locations de courtes durées… et non sur la réglementation à laquelle les plateformes elles-mêmes doivent se conformer. Un point sur lequel Airbnb a déjà été repris, notamment par la commission Européenne, qui a demandé à la plateforme de mieux faire apparaitre son offre, dans un souci de clarté du produit vis-à-vis des clients. Le communiqué de presse qui reprend tout ces points, date de Septembre 2018 sur le site de la commission. Par exemple, l’exécutif Européen oblige Airbnb à préciser si l’hôte est un professionnel ou non. Pour le reste, la cour de justice de l’Union ne devrait pas statuer sur la conformité des droit nationaux avant 2020.

Airbnb : de rachats en lobby

                Avec cette annonce de la Mairie de Paris, Airbnb n’en finit plus de faire l’actualité du monde de l’hébergement. Le 25 janvier, la market place annonçait le rachat de la startup danoise Gaest.com, spécialisée dans le coworking (retrouvez notre article, ici). Le 8 février, Airbnb annonçait l’arrivée de Fred Reid dans son équipe ; un expert de l’aviation, ayant participé à la création des alliances SkyTeam et Star Alliance. Le but, après le lancement de Airbnb évent, est de créer un tout nouveau pan de l’activité : Airbnb transport. Pour que l’entreprise accompagne les touristes au moment du départ, sur le logement, puis sur les activités avec Airbnb Expérience. C’est la mise en place d’une plateforme 360°.

              L’ensemble pour une entreprise qui n’est toujours pas cotée en bourse et envisage son entrée sur le marché en 2019.

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