
Le jeune directeur général du Bel-Ami à Paris se souvient encore de ses vacances en famille sur la Côte d'Azur, descendant de St-Etienne à Cannes. Au lieu d’aller jouer sur la plage, on le retrouvait rivé sur un banc face au Carlton, fasciné par cette étrange et luxueuse fourmilière. “Je me demandais ce qui pouvait bien se passer à l’intérieur. J’étais plus attiré par les rouages d’une machine visiblement complexe que par le monde du luxe en lui-même. A l’époque je collectionnais aussi les vieux guides Michelin. Pour moi, c’était une façon de voyager à travers les commentaires. Je voyais déjà l’hôtel parfait que je dirigerais plus tard et l’appréciation qu’on en ferait dans le Michelin”. Il n'en est pas loin.
Vincent Tissier n’arrive pas à expliquer cette fascination, n’ayant jamais côtoyé le monde de l’hôtellerie et s'étant engagé dans des études supérieures généralistes. Après la classe préparatoire aux grandes écoles à Lyon, il intègre l’Ecole Supérieure de Commerce de Clermont-Ferrand. “C’est à ce moment que j’ai réalisé que mon stage «ouvrier» devait se dérouler dans un univers que je voulais approfondir. J’ai postulé au Carlton à Cannes, prêt à n’importe quel poste pour en franchir la porte”. Il passera trois mois à l’accueil du Fitness, se partageant entre le service à la clientèle et la commercialisation. “Un stage est avant tout ce que l’on en fait. Je passais beaucoup de temps à discuter avec les autres salariés à la cafétéria pour comprendre les rouages de l’hôtel. J’ai fait aussi pas mal d’extras pour découvrir les autres services. Je suis encore ému au souvenir de la véritable ébullition qui se produit dans les coulisses pour satisfaire les demandes folles des clients les plus exigeants et notamment ceux du Moyen-Orient”.-1993 : stage au Carlton InterContinental à Cannes -1994 : stage au Crillon Paris -1994 : Diplômé de l'Ecole supérieure de commerce de Clermont-Ferrand -1995 : réceptionniste puis assistant de Direction au R&C de Castel-Novel à Brive et au R&C du Pralong à Courchevel -1999 : réceptionniste à l’hôtel du Cap Eden Roc, groupe Oetker Antibes -2000 : responsable des ventes France à l’hôtel Meurice, groupe Dorchester Paris -2001 : directeur général du R&C Château Puy-Robert à Montignac (24) et à l’Hôtel Crystal à Courchevel -2002 : directeur adjoint de l’hôtel Montalembert, groupe GLA Paris -2005 : directeur général de l’hôtel Bel-Ami, groupe Bessé Signature ParisEn deuxième année d’ESC, il tente d’entrer dans le second hôtel mythique de ses rêves, Le Crillon à Paris, qui venait juste d’achever une profonde rénovation. “Cette fois, j’ai été accepté au service marketing & commercial. Le directeur général, Hervé Houdré et la directrice commerciale, Alice Gentils, ne m’ont pas confiné dans un «stage photocopieuse», mais ont accepté de me confier de vraies missions. J’ai circulé dans les services, observé l’exploitation, fait des extras dès que cétait possible. Il faut toujours chercher à enrichir son stage au maximum”.Jeune diplômé, plutôt que d'aller vers le groupe international qui lui offre un poste à Roissy, il choisit ce petit groupe de Relais & Châteaux corrézien dirigé par les époux Parveaux. “J’avais plus de chance d’acquérir une culture hôtelière dans une petite structure. Dans la vie, il faut aussi assumer ses coups de cœur. Albert et Christine Parveaux m’ont promis de m’apprendre le métier si je me donnais corps et âme. Je me souviens encore de cette phrase d’Albert Parveaux sur les marches de Castel-Novel, qui a marqué ma vision de l’hôtellerie : Je ne ferai pas de toi un hôtelier mais un seigneur qui accueille ses hôtes dans sa demeure”. Pendant trois ans et demi, il se forme à toutes les subtilités du métier, se partageant entre l’hôtel du Pralong à Courchevel l’hiver et Castel Novel le reste de l’année. “J’ai appris le yield auprès de Christine Parveaux et la gestion opérationnelle auprès d’Albert Parveaux, supervisant des mariages jusqu’à tard dans la nuit pour être ensuite à 7 heures du matin à la réception. C’est intense mais très formateur”, se souvient Vincent.Mais il veut revivre l’ébullition des grands hôtels. Tous ont déjà reçu son CV et c’est la défaillance en dernière minute d’un réceptionniste à l’Hôtel du Cap Eden Roc à Antibes qui lui ouvre la porte de ce refuge mythique de la jet set. “Je suis arrivé la veille du festival de Cannes et j’ai passé tout l’été comme réceptionniste & caissier. Une formidable expérience qui m’a aussi permis de rencontrer mon épouse. Jean-Claude Irondelle aurait voulu me garder mais je voulais connaître une expérience parisienne. Nous partons donc avec ma future épouse sans vraiment de point de chute à Paris, mais un passage à l’Eden Roc ouvre des portes”. Pour Vincent ce sera celles du Meurice, en ouverture après plus de deux ans de travaux, et pour son épouse celles du Scribe. Responsable commercial sur le marché français, “les challenges ne manquaient pas pour reconquérir le devant de la scène parisienne face à la concurrence”. Jusqu’à ce dîner à Paris avec les époux Parveaux qui proposent à Vincent et son épouse de diriger le Château de Puy-Robert en Dordogne et l’hôtel Crystal à Courchevel. “La direction du Meurice m’a poussé à accepter le challenge et nous avons même avancé la date de notre mariage pour être disponibles… et c’est là que nous avons réalisé la charge que cela représente pour un jeune couple. Ce fut un heureux cauchemar”, raconte aujourd’hui Vincent Tissier. En un peu plus d’une année entre la Dordogne et Courchevel, il est passé par tous les épisodes du management des équipes, les affres des décisions continuelles et de la disponibilité permanente pour le client. “Il faut savoir dire stop et c’est ce que nous avons fait en assurant la passation avec nos successeurs”.Le contexte de leur retour à Paris à l’automne 2001 n’est pas le plus florissant, mais une nouvelle rencontre se produit avec Grace Leo-Andrieu, à la tête d’un petit groupe qui gère et commercialise plusieurs hôtels. Une place de directeur adjoint au Montalembert lui est proposée sur la Rive Gauche. Tout ce qu’il faut pour parfaire la connaissance du métier. “C’était un petit bijou dont il fallait conforter le positionnement pointu. J’ai travaillé étroitement avec les directeurs qui se sont succédé et avec le siège pour participer aux opérations marketing et à la commercialisation, notamment sur le marché américain. Quand l’hôtel a été vendu au groupe espagnol Majestic, après plus de 4 ans comme N°2 j’étais prêt à passer au stade supérieur. Le groupe GLA m’a fait confiance et j’ai pris le poste de directeur général du Bel-Ami qui venait de se libérer à quelques pas du Montalembert”. Nouveau challenge après les travaux dans l’hôtel, passé en 4* avec une image design boutique qu’il fallait défendre. “Mes expériences passées pouvaient se conjuguer, garder la proximité avec le client qui est propre aux Relais & Châteaux et insuffler un esprit moderne parisien très ancré dans le quartier Saint-Germain”. Initiateur du prix littéraire Bel-Ami, programmateur de jazz avec ses équipes pour animer les soirées Bazz et à l’initiative d’expositions d’art, Vincent Tissier joue la carte St-Germain pour donner une âme au terme un peu galvaudé de boutique-hôtel. Il a assuré la transition du management avec la reprise en direct par la famille propriétaire, le groupe Bessé Signature, qui lui ouvre de nouveaux horizons. “J’ai participé aux côtés de Mme Jousse à la stratégie marketing du groupe qui veut définir sa propre identité, jouer la synergie et élargir encore son périmètre. C’est plutôt stimulant de défendre son bilan directement auprès du propriétaire et de voir les perspectives s’élargir avec l’arrivée annoncée de nouveaux établissements”. De nouveaux challenges avec un groupe en expansion avant, peut-être, un retour aux Palaces…Vincent Tissier en quelques dates...