• C’est dans une famille modeste, au cœur d’un village vosgien de 5000 âmes, que Philippe Leboeuf a grandi. Des origines qu’il revendique, tout comme le fait de ne pas être passé par une grande école. • Et c’est avec une certaine espièglerie qu’il affiche ce qu’il présente fièrement comme son seul diplôme : le Prix national de l’Autodidacte que lui a décerné le Harvard Business School Club de France en 2004. • Aujourd’hui directeur du Mandarin Oriental Paris, qui ouvrira d’ici quelques mois, il a gravi les marches une à une, jusqu’à occuper les plus haut postes au sein des groupes hôteliers prestigieux.
Les études de Philippe Leboeuf se résument à un brevet technique de tourisme et d’hôtellerie obtenu à Strasbourg. Et il a bien failli ne pas le décrocher. «Ce lycée hôtelier exigeait une très bonne moyenne générale que mes notes catastrophiques en anglais m’empêchaient d’obtenir ». Fort de sa principale ambition, celle de « réussir dans la vie», Philippe Leboeuf ne se décourage pas. Il dégaine ce qui restera tout au long de sa carrière son arme préférée : le travail. Il achète "L’anglais en 90 leçons", et apprend le livre par cœur. «Je n’avais pas le choix : je ne voulais pas rentrer dans ma "campagne" ! Et peu à peu, mes notes sont remontées». Il finit même sa troisième année «honorablement».Philippe Leboeuf en quelques dates... -1978 : brevet de technicien du tourisme et de l’hôtellerie à Strasbourg -1984 : départ pour les Etats-Unis après le service militaire -1989-1991 : Directeur adjoint du Carlyle Hotel à New York -1991-1995 : Directeur du Westbury Hotel à New York -1995-2002 : Directeur général du Crillon puis du Groupe des Hôtels Concorde -2002-2005 : Directeur général délégué de Louvre Hôtels -2006-2007 : Vice président des opérations de Rosewood Hotels à Dallas -2007-2010 : Directeur général du Claridge’s à Londres -Depuis 2010 : Directeur général du Mandarin Oriental ParisReste alors à trouver un premier poste. Et c’est un ami de ses parents, chef à l’OCDE, qui le lui décroche au Concorde Lafayette. Mais là encore, il frôle le renvoi. Son manque de maîtrise de l’anglais le pénalise. Et du haut de ses 17 ans et demi, il gère difficilement le «choc culturel». «Débarquant de ma campagne profonde, j’atterrissais dans un grand hôtel parisien qui marchait très fort. Ma prestance, mes tenues, ma façon de m’exprimer… Il a fallu que j’adapte tout». Mais là encore, l’ambitieux jeune homme prouve sa détermination. Il se porte candidat pour un poste de nuit dont personne ne veut. «Cela m’a permis de toucher à tout : la main courante, la caisse, la réception…». Philippe Leboeuf travaille donc dur et intègre vite. A 20 ans, il se retrouve attaché de direction, «mais j’avais interdiction de dire mon âge», se souvient-il.Puis arrive le moment de partir à l’armée. Fidèle à lui-même, il décide de viser un poste inaccessible sans être "fils de" ou sans sortir de l’Ecole d’aviation civile : steward dans des avions présidentiels. Impossible ? Pas pour Philippe Leboeuf, qui termine major de sa promotion au concours et peut choisir son affectation. Il faut dire que les évaluations en tout genre sont sa spécialité. «C’est le plus simple puisqu’il n’y a qu’à travailler!». Durant son année de service militaire, le jeune Vosgien découvre Los Angeles, la Polynésie, l’Afrique… Et attrape le virus des voyages. Plutôt que de reprendre sa place à Paris, conscient qu’il a encore des progrès à faire en anglais, il enfile son sac à dos, et s’envole pour New-York. Il y restera 11 ans. «Très vite, j’ai donné des cours de français, car malgré le secours de mon précieux livre "Les Etats Unis pour 10 dollars par jour", j’ai vite compris que mes économies allaient fondre comme neige au soleil !» Et lorsqu’il parvient à obtenir des papiers, c’est vers l’hôtellerie qu’il se tourne à nouveau. «J’ai été employé comme réceptionniste. J’ai dû tout reprendre à zéro”, soupire-t-il avec une pointe de lassitude rétrospective. Mais il remonte ses manches et se fait une place. «Grâce à une femme qui m’a pressenti pour être gouvernant, ce qui était très rare à l’époque, j’ai découvert l’hébergement. Et je m’y suis beaucoup plu». En 4 ans, il devient directeur de l’hébergement. Et un matin, il reçoit une lettre d’un chasseur de tête, lui annonçant qu’il est pressenti pour un emploi au Carlyle Hotel. «C’est moi qui distribuais le courrier, et je savais que mes 4 collègues avaient reçu la même ! Alors j’ai appelé le chasseur de tête, et je l’ai félicité pour sa stratégie. Envoyer la même lettre à des dizaines de candidats…». Un culot qui paye puisqu’il est retenu. «Je n’avais même pas réellement conscience de la chance d’avoir été pris dans le seul palace de New-York de l’époque». Ce qui ne l’empêche pas de prendre plaisir à gérer la restauration et l’événementiel, a croiser les plus grandes célébrités, … Deux ans plus tard, il devient directeur du Westbury. Avant d’être contacté par le Crillon de Paris pour devenir son directeur général. «J’avais enfin le titre ! J’étais reconnu». Le self-made man ne boude pas son plaisir. Quelques années plus tard, on lui suggère de passer au siège du groupe Concorde, ce qu’il accepte pour en décrypter la face Corporate. Il participe à la fusion entre Concorde Hôtels et Envergure. «Une aventure très intéressante» qu’il termine naturellement avec le poste nouvellement créé de Directeur général délégué de Louvre Hôtels. Le rachat du groupe le conduit à le quitter. «Je n’ai pas de trou dans mon CV car j’étais administrateur de Leading Hotels of the World, mais cela n’occupait pas toutes mes journées. Ce changement de rythme a été compliqué pour moi qui ne tient pas en place. Mais je voulais rejoindre l’opérationnel. Les "vampires corporate", les "sièges éjectables", les licenciements alors que les résultats sont bons… Cet univers ne me convenait plus», avoue-t-il. «Mais ces expériences dans différents sièges m’ont permis d’être meilleur à l’opérationnel. Les conseils d’administration, avec leur vocabulaire si particulier, ne m’impressionnent plus!», s’amuse-t-il. «Au moment de mon départ, Louvre Hôtels a proposé de me financer un MBA». Lui préfère 3 CESAs, à HEC. Il fait son entrée dans l’univers des grandes écoles. «Il faut reconnaitre que même si j’aime dire que j’ai Bac-1 et que je m’en suis sorti sans faire d’études, par trois fois dans ma carrière, j’ai retrouvé les bancs d’écoles. Et ces formations en finance et en management m’ont énormément aidé. Je n’aurais pas décroché un certains nombre de postes sans cela».Une fois ses CESAs en poche, Philippe Leboeuf reprend la route des Etats-Unis. Sa récente formation lui a permis de postuler à Dallas, chez Rosewood Hotels, au poste de vice président des Opérations. Mais il ne restera pas longtemps. Très vite, l’Europe lui manque. Il retrouve donc le vieux continent au Claridge’s de Londres. Et trois ans s’écoulent avant que l’envie de regagner la France ne se fasse sentir. «J’avais déjà pas mal bourlingué… Et je ressentais le besoin de poser mes valises», explique-t-il. Et justement à cette époque, Mandarin Oriental se prépare à ouvrir un palace à Paris. «Comme toutes les personnes qui font partie de l’équipe aujourd’hui, j’ai dû subir un test de 9 heures pour intégrer le groupe. Sans être passé par HEC, je n’y serais pas parvenu». Durant une très longue journée, le groupe Mandarin a mis Philippe Leboeuf dans la peau d’un chef d’une multinationale d’imprimerie. On lui a fourni sa boite mail, avec une centaine de courriers à éplucher, un agenda bien rempli à gérer, et on l’a placé dans des situations problématiques, afin de voir de quelle manière il les gérait. «Nous sommes tous fiers d’avoir réussi ce test. C’est un élément fédérateur pour l’équipe». L’équipe. Une notion primordiale pour lui. «On peut être le meilleur directeur général du monde, sans une bonne équipe, on n’est rien». Les regards dédaigneux envers ses employés ne sont pas faits pour lui, qui se souvient d’où il vient, et leur préfère le respect. «Je suis très calme et les rares fois où je suis sorti de mes gonds au travail, c’était lorsque l’on parlait mal au personnel». Selon Philippe Leboeuf, ses équipes ont donc leur place dans la liste des ingrédients qui ont permis sa réussite. Au même titre qu’une petite dose de chance, de bonnes rencontres, et surtout beaucoup de travail. «Travailler dur mais intelligemment», précise celui qui ne ménagera donc pas ses efforts, pour faire du Mandarin Oriental un palace de référence à Paris.