Antoine Dubois, SVP Marketing Global Strategy chez Accor partage son expérience et sa vision du secteur en ce temps de déconfinement. Une discussion avec Vanguélis Panayotis, CEO MKG Consulting.
Peux-tu nous raconter ce moment où le monde a basculé et a changé de paradigme ? Que s’est-il passé dans votre tête et quelles sont les questions que vous vous êtes posées ?
Nous avons eu une phase de communication totalement imprévue sur ce premier semestre de l’année. Quand nous avons commencé l’année en Janvier, tu te doutes bien que nous n’avions pas du tout prévu le plan de communication qui a vraiment eu lieu ces dernières semaines.
Dès le moment où vous avez pu percevoir ce phénomène dans vos hôtels en Chine, vous vous êtes dit que vous alliez rentrer dans une gestion de crise ?
Les équipes en Chine se sont mises immédiatement en situation de crise. Je pense qu’il y a eu un moment de choc, à se demander ce qu’il allait nous arriver. Et puis très vite, Sébastien Bazin a pris la parole, l’univers corporate a pris la parole et le terrain a pris la parole.
Nous avons eu un rôle à jouer pendant toute cette période et nous nous disions : « Comment utilisé cette crise au meilleur escient ? ». Nous avons à faire à des marques vivantes. Ce n’est pas parce que nos hôtels étaient fermés, que nous ne pouvions montrer que ces marques avaient un rôle à jouer.
Je pense que le rôle d’une marque est de savoir prendre la parole et de savoir exister. Dans notre univers de l’hospitalité, il y a le « hard » que nous connaissons tous (autour du design et des bâtiments) mais c’est l’humain qui a émergé pendant cette crise. Nous avons vu nos chefs et notre direction prêts à communiquer et compatissants.
Chacune de nos marques ont une passion. Nous avons simplement gardé cette passion de Sofitel pour l’art à la française, de Pullman autour du fitness, de Novotel autour du bien-être pour les activer à travers les réseaux sociaux. Ce qui a été nouveau, c’était les événements en directs. Nous avons proposé énormément de live afin que les internautes passent du temps avec nos marques, avec notre staff et avec les joueurs du PSG pour ALL.
Au début, tu as eu Sébastien Bazin qui a su occuper l’espace médiatique, mais derrière vous avez créé des contenus adaptés.
Tout à fait, Sébastien Bazin est l’incarnation du groupe et ses prises de paroles d’un point de vue corporate et sociétale ont bien évidemment aidé Accor.
Nous avons une chanson que nous avons beaucoup aimée pendant cette période, c’est une chanson des Bee Gees « Staying Alive. » C’était un peu notre nom de code. Nous nous sommes dit : « voilà toutes nos marques ont des passions et des positionnements, ce ne sont pas seulement du design et des lieux mais aussi des gens qui travaillent au quotidien pour créer cette expérience et cette atmosphère. » Donc comment nous pouvons valoriser l’ensemble ? Ce qui était important pendant cette période, c’est la fréquence. C’était vraiment des rendez-vous quotidiens avec Sofitel, Pullman et ALL avec les équipes de Yann di Tullio.
Le but était de pouvoir avoir un rôle à jouer alors que les internautes ne pouvaient pas voyager. Nous leur avons donc donner envie de voyager. Nous avons été bluffé par les résultats, c’est-à-dire que pour tout ce que nous avons pu faire autour de la plateforme ALL, il y a eu plus de 25 millions de vues et 74 millions de reach.
Je pense que si nous avions fait notre campagne « normale », nous n’aurions pas eu ces résultats. Encore une fois, garder la passion de la marque et bien s’adapter à la situation ne veut pas dire que le business va mieux aujourd’hui mais en termes d’engagement client, nous avons dépassé ce que nous pouvions espérer.
J’ai retenu deux moments assez forts : le moment où il y a eu « ALL Safe » et celui où vous avez mis en avant le voyage avec « Love Travel ». Peux-tu nous raconter comment se sont passés ces deux moments ?
Autour de mi-avril, les premiers plans ont commencé à arriver dans différents pays. Ce que nous appelons chez nous la phase « Recovery ». C’est une phase ou les hôtels se remettent en route et l’expérience hôtelière recommence.
Nous savions que nous étions attendus sur toutes les mesures sanitaires et de distanciation. Je pense que Franck Gervais a dû en parler avec toi récemment. Ce qui était le plus important, c’était de créer un label fort et compréhensible d’un point de vue consommateur. Nous le voyons en ce moment que c’est un élément de réassurance et de communication pour l’ensemble de nos hôtels. Dès qu’un hôtel rouvre et qu’il est labellisé « ALL Safe », tu peux le voir communiquer sur les réseaux sociaux. Nous sommes face à des acheteurs qui veulent savoir ce que nous mettons en place dans nos établissements avant d’y envoyer leurs employés ou d’organiser des événements.
Mais en en communication grand public, nous ne voulions pas mettre l’accent autour des conditions sanitaires. Il y avait un insight consommateurs qui était plus fort à l’époque, mais qui est toujours d’actualité en fonction des zones du monde et que nous avons tous rêvé pendant que nous étions confinés : c’était de pouvoir voyager. Nous avons vu plein de vidéos assez amusantes sur les réseaux sociaux, sur YouTube ou encore à la télévision. Des gens s’amusaient à s’imaginer en train de faire de la plongée sous-marine dans leur baignoire ou en train de faire du golf comme s’ils étaient sur un 18 trous. C’est de cet insight qu’est venu la campagne que nous appelons « Love Travel ».
Le premier pays où nous avons lancé cette campagne, c’est l’Australie il y a trois semaines. C’est à ce moment où Jean Guilhem Lamberti qui est le Directeur Création de Accor et ses équipes ont travaillé pour sortir cette campagne en une semaine (actuellement diffusée en Australie, en Asie du Sud Est et très prochainement en Amérique du Sud). Il faut effectivement faire en sorte que cela tombe au bon moment dans le pays où tu diffuses cette campagne. Par exemple, l’Angleterre n’était pas le meilleur endroit pour la sortir il y a deux semaines.
Comment vois-tu l’après ? Allons-nous continuer à communiquer comme nous le faisions avant ? Le monde va-t-il revenir dans son comportement naturel ?
Il y aura toujours des campagnes tactiques avec un référentiel prix. Cela fait partie du métier de l’hôtellerie de savoir comment attirer la demande. Mais en ce moment, il n’y a pas de demandes et nous ne savons pas quand cette forte demande va revenir. Donc nous nous devons d’être très réactif. Nous avons Creative Studio au sein du groupe qui nous permet d’être réactif à la semaine ou sur les deux semaines qui suivent un insight. Chaque quinzaine nous regardons quel est le goût du consommateur dans telle ou telle région du monde et que faut-il lui dire à tel moment ?
Nous allons toujours être dans l’inspiration avec dans les six mois qui viennent, une petite touche de réassurance dans tout ce que nous allons faire. La campagne « Love Travel » est vraiment sur l’ensemble du groupe mais nous avons également fait des films pour Sofitel et Pullman. Nous devons faire respecter des règles, mais en termes de communication B2C, je pense que les gouvernements et d’autres marques le feront mieux que nous. Notre rôle est d’inspirer et de pousser à l’expérience.
ALL est le lancement d’une nouvelle approche. Mais d’un point de vue purement communication, cette crise est-elle le momentum parfait pour créer une relation, donner des valeurs à vos marques et créer du brand awareness ?
C’est le bon moment pour prendre des risques. Nous n’avons rien à perdre à communiquer, innover et chercher nouveaux formats ou de nouvelles idées créatives. Du moment que tu ne renies pas ton héritage ou la façon dont est positionné ta marque. Tu n’as rien à perdre aujourd’hui. Tu ne sais pas de ce que demain sera fait. Tes hôtels sont là et vont rouvrir. La marque est présente et elle ne peut être que plus forte en ressortant de cette crise.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Tout est par terre. Nous tentons de nouvelles choses. Je suis content de deux choses. Premièrement, d’avoir lancé ALL juste avant. Nous ne savions pas qu’il y aurait cette crise mais le fait d’avoir lancé ALL nous a donné une vraie plateforme de communication auprès de nos membres. Elle nous a permis d’amplifier sa résonnance, sa visibilité et surtout l’engagement que nous pouvons avoir face à nos clients fidèles. Et la deuxième chose, le fait d’avoir un Creative Studio interne. Cette ressource est notre point fort pour les mois qui arrivent.
Penses-tu que les consommateurs vont consommer de la même façon ?
Il y a énormément de questions sur les conditions sanitaires. Il faut donner du détail. Les gens sont assez scrupuleux lorsqu’ils arrivent dans nos établissements. Est-ce que cela va durer ? Je pense que oui, au moins jusque-là fin de l’année.
Le futur, je n’en sais rien. Nous avons annoncé des marques lifestyles et la presse disait « Mon dieu, lorsque ça va rouvrir, elles vont galérer ». Aujourd’hui ces marques comme Mama Shelter ou comme JO&JOE sont des chaines qui se remplissent le plus vite. Elles ont justement une base de clients locaux et fidèles qui génère du flux au sein de l’hôtel.
Il y a également la notion de staycation qui a émergé et monte petit à petit. Les gens souhaitent être capable de prendre un Vendredi ou un Lundi pour aller à 100km de chez eux, parce qu’ils ont passé trop de temps dans leur petit appartement et souhaitent se détendre. Nous devons tous travailler pour apporter une réponse à cette demande assez spécifique. Nous ne parlons pas d’une nuit à un endroit, mais de trois nuits pour être chez soi en quittant son « chez soi ».
Nous cherchons à vivre une expérience différente de celle que nous vivons au quotidien. Finalement le nombre de km n’est plus le fond du sujet. À côté, il y a un autre thème que nous verrons émerger, c’est comment arriver à réorienter les usages des services et équipements qui étaient prévus essentiellement pour les voyageurs qui venaient de loin. Comment les remet-on avec la clientèle locale ou de proximité ?
Il va falloir revoir la façon dont nous communiquons. Nous n’attirons pas pour un short break à 200km de Paris, Lyon, Bordeaux ou ailleurs de la même façon que nous communiquons aujourd’hui. Il va y avoir une autre phase de communication qui va être tournée là-dessus et c’est lié aussi à toutes les logiques de RSE qui se mettent en place et les attentes du consommateur. Comment consommer plus malin et plus responsable ?
L’autre élément, c’est la fin du voyage low-cost. Voyager ne va pas couter si cher dans les mois qui viennent. Donc qu’est-ce qui va pousser les consommateurs à séjourner pas très loin de chez eux ?
Dernier point avec le JO&JOE Hossegor par exemple, où il y a énormément de gens qui sont en télétravail. La cible de jeune adulte aujourd’hui n’a pas forcément beaucoup de famille et peuvent se le permettre. Donc il y a une nouvelle cible et une nouvelle tendance à travailler.
Pour conclure, il faut rester optimiste par rapport à ce qu’il va arriver. Il y a encore plein de choses à inventer dans l’univers de l’hôtellerie. Nous annonçons très prochainement l’arrivée de la marque TRIBE à Paris Batignolles et nous en avons déjà plus de 50 qui sont signés. Il y a clairement de nouveaux concepts qui vont arriver sur le marché et qui vont secouer tout notre univers.



