Entretien avec Frédéric Josenhans, directeur général Marketing et Développement des Marques Hôtellerie Accor Hospitality

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Publié le 18/05/10 - Mis à jour le 17/03/22

Au sein du groupe Accor, Frédéric Josenhans est depuis des années un spécialiste de l’innovation hôtelière et du marketing. Il a été notamment chargé de piloter le repositionnement et les innovations dans les enseignes milieu de gamme. Après avoir été directeur opérationnel Région Nord de la France pour les enseignes Sofitel et Novotel, puis Directeur des chaînes Sofitel Demeure et Libertel, il prend la direction du marketing global de Novotel jusqu’à l’année dernière où sa responsabilité s’élargit désormais à l’approche marketing pour l’ensemble des marques hôtelières du groupe Accor.

La crise économique a-t-elle renforcée le pouvoir de réassurance des marques hôtelières ?

L’optimisation de la recette et donc le Revenue Management sont de formidables outils, qui ont montré leur efficacité, y compris en période de crise, mais le Revenue Management peut être brutal quand il n’est pas encadré. Nous avons une démarche Accor qui fait que la marque choisit son client, ses profils cibles et qu’elle en déduit une stratégie de pricing. Le Revenue Management arrive pour la mettre en musique, mais la partition a été écrite par le marketing. Le choix des canaux de distribution, le recours à des partenaires est devenu si complexes que nous avons besoin des experts que sont les Revenue Managers, mais chacun a appris à parler avec les autres, d’où la suite de formation au RM menée dans les hôtels, auprès des directeurs généraux, et dans toutes les marques.Si l’on regarde le RevPAR Index, il apparaît clairement que les marques fortes ont eu de meilleures performances, car elles ont été capables de faire la différence dans une situation plus difficile. La crise a repositionné encore plus le client au centre du débat, alors qu’on a tendance peut être à se relâcher dans l’euphorie. Le fait est que, même en pleine crise, nous n’avons pas cessé d’innover, avec le lancement d’All Seasons, dont le rythme s’accélère avec une cinquantaine d’ouvertures par an, ou celui de notre programme de fidélisation AI Club. Nous avons continué d’investir dans les rénovations et soutenu les campagnes de communication et de marketing. Nous n’avons pas mis en sommeil des offres, qui sont des engagements vis-à-vis du client comme le “Contrat 15 mn” chez Ibis et le “Satisfait ou invité” chez Novotel, alors qu’on aurait pu être tenté de limiter la ressource humaine.Avez-vous adapté des produits hôteliers à la crise en attendant de leur redonner le plein de leur offre une fois la situation améliorée ?L’hôtellerie économique est par nature mieux armée pour résister à la crise et nous avons une offre All Inclusive chez All Seasons qui a été particulièrement bien perçue par la clientèle, mais elle n’a pas été conçue comme un produit de crise. Elle reste dans les gènes de la marque. Chaque marque connaît son propre rythme avec des moments d’accélération et de ralentissement. C’est naturel. Le danger, que nous avons voulu éviter, est d’arriver à un point de rupture où plus rien de ne se passe parce que l’on ne se donne plus les moyens d'innover eet de répondre aux attentes des clients.La perception du produit ou des services hôteliers est-elle très différente depuis le début de cette crise ?Nous avons mené une étude pour Mercure pour percevoir les changements notables dans le comportement du client avant ou après la crise. Le premier enseignement est que les basiques, sur lesquels on communiquait encore il n’y a pas si longtemps (qualité de la literie, confort, oreiller, services…) font partie de l’attente naturelle et indispensable à toute marque hôtelière. Ce n’est plus un élément différenciant de qualité. En revanche une déception sur ces basiques est sanctionnée sévèrement. Nous n’avons plus le droit à l’erreur sur l’essentiel de notre prestation. En revanche, la crise a donné beaucoup plus d’importance à la qualité de la relation client.Est-ce dire que tous les produits hôteliers vont se ressembler de plus en plus comme on peut le constater en termes de décoration contemporaine ou d’équipements ?Quelle que soit la marque les besoins essentiels du client s’expriment de la même façon. Cela vaut pour le wifi, un bon lit ou la télévision à écran plat. La réponse de la marque est différente selon sa catégorie, mais on ne peut descendre en dessous d’un seuil qui est jugé désormais comme une faute grave par le client. Le wifi est indispensable dans tous les hôtels. Il peut être basique dans l’hôtellerie économique pour recueillir ses mails. Il doit être à haut débit et d’une sécurité irréprochable chez Sofitel pour récupérer de gros volumes de données en toute confidentialité. La gratuité n’est pas réclamée quand la qualité de la connexion correspond à l’exigence du client. Autre exemple, l’écran plat est naturel pour toutes les enseignes mais la taille doit elle être maximum partout ? Il faut respecter l’équilibre de la chambre… et son business model. Il y a une amélioration générale de l’offre hôtelière, ce qui veut dire une fois encore que ce n’est plus un véritable argument différenciant pour communiquer et fidéliser une clientèle.Doit-on renoncer à faire preuve de véritable innovation dans l’offre hôtelière ?C’est avant tout une adaptation à notre environnement de vie plus général. Il y a une plus grande accessibilité à ce qui paraissait du domaine du luxe il y a seulement quelques années. Prenez le nombre d’accessoires dans une voiture, désormais standard, qui n’était qu’en option et à un prix important, il y a quelques années. C’est un peu le cas pour l’hôtellerie qui ne peut être en retard sur l’équipement des foyers, mais on peut faire encore preuve d’innovation. Nous mettons la touche finale à la nouvelle chambre Novotel et c’est un bon exercice par rapport à l’attente des clients. Nous avons travaillé sur l’amélioration des fondamentaux : qualité des matériaux, espace de la salle de bains tournée vers le bien-être, rainshower, éclairage étudié pour les femmes... Nous préférons garder une certaine neutralité sur ces éléments forts pour que leur cycle de vie soit plus long. En revanche nous aurons la possibilité, tous les deux ans, de faire des changements plus cosmétiques : sur des couleurs, des accessoires, qui vont donner le sentiment que la décoration évolue plus vite en s’adaptant à l’air du temps.Peut-on arriver à établir une relation plus affective avec le client qui ne soit pas de l’ordre de l’intérêt, comme le programme de fidélisation, mais de l’ordre de l’adhésion à une image, comme c’est le cas pour les marques de voiture …Pour chacune de nos marques nous avons gagné un noyau d’addicts, des fidèles entre les fidèles qui ne sont pas forcément très nombreux, mais qui sont de gros consommateurs et donc très intéressants. Ils sont fidèles non pas seulement en raison du produit - on en revient aux attentes basiques à satisfaire de toute à l’heure -, mais parce qu’ils sentent que l’on a compris leur mode de vie et que l’ensemble des éléments constitutifs de la marque y répond. Ils peuvent plus naturellement s’y associer. Comment comptez-vous traduire notamment le besoin d’une relation client renforcée ?Le client a du mal à accepter de n’être qu’un numéro de clé. Cela passe par une relation simple et naturelle dans un hôtel économique. Cela doit aller jusqu’à la reconnaissance personnelle d’un client régulier Sofitel partout dans le réseau et la connaissance de chaque détail de séjour. C’est là où l’expertise hôtelière d’un groupe comme Accor, qui joue sur une palette très diversifiée de marques, peut faire la différence. Ce que le client attend désormais, ce n’est plus seulement une qualité naturelle de service, mais un «commitment Client» et des preuves de cet engagement. Dans les marques standardisées, le produit apporte une première réponse sécurisante, mais on sait que ce n’est plus suffisant. C’est le travail de fond qui est mené chez Novotel en ce moment avec le projet Nextup, un prolongement des politiques de RH, de formation qualifiante et de parcours de carrière existante par le passé. Nous voulons développer un esprit Novotel et ne pas chercher à orienter uniquement un discours particulier en direction des hommes d’affaires ou des familles avec enfants en week-end. Ce sont ces clients qui doivent se reconnaître dans l’offre Novotel. Dans nos marques non standardisées, c’est encore plus délicat et cela passe forcément par une implication plus forte du personnel. Une étude récente d’Ipsos montre que nous y parvenons plutôt bien par rapport à nos concurrents. Quand le personnel chez Best Western est jugé Friendly, et chez Holiday Inn, il est Professionnal, chez Mercure, on le trouve Friendly & Professionnal.Justement, la campagne Super Héros, vantant la qualité et l’expertise du personnel de Mercure a-t-elle produit les résultats escomptés ?La campagne a été bien perçue par les clients et a permis de renforcer la relation humaine sur Mercure, en particulier en Europe. Dans les pays émergents, en particulier en Asie, la notion de relation clients-collaborateurs n'est pas comparable et la communication a été plus compliquée à mettre en oeuvre. La nouvelle plate-forme de communication Mercure va continuer de capitaliser sur la force de nos collaborateurs, mais aussi exprimer davantage la force d'un réseau Mercure et de son implantation dans de nombreuses destinations. La relance de Mercure - et les investissements qui doivent l’accompagner-, sur un réseau de quelque 800 hôtels, pose t-elle le problème du timing de la communication pour ne pas coller une promesse sur une fausse réalité…? Le réseau Mercure est aujourd’hui plus homogène, et nous allons accélérer encore sa transformation avec une industrialisation du back office de la rénovation des chambres. Nous cherchons à optimiser tous les coûts techniques, notamment en France, pour que les propriétaires n’aient pas à réinventer à chaque fois un processus. En faisant faire des économies sur ce que ne voit pas le client, les «conveniences» en termes de réseaux, de branchements, … on peut consacrer davantage de budget à ce qui est visible. En matière de communication, la méthode anglo-saxonne est davantage fondée sur le buzz et des campagnes sur l’intention, dès le démarrage du programme. Mais attention au retour de bâton quand le produit déçoit parce qu’il n’est pas encore à la hauteur de la promesse. La force d’une marque est son engagement et nous préférons communiquer quand la réalité est prête sur le terrain. Pour hotelF1 le timing était bon, nous avons lancé la com quand le processus était engagé avec très forte rapidité dans le déploiement, au rythme de 3 hôtels rénovés par semaine. Aujourd’hui, il est temps de réaffirmer ce qui fait la force de l’enseigne : être la moins chère du marché avec un produit qui a évolué avec son temps. D’où la campagne qui vient d’être lancée.Je reviens à cette relation privilégiée à établir avec le client, comment comptez-vous la mettre en oeuvre ?Quand le département marketing Accor travaille avec une enseigne, la règle est de s’intéresser à toutes les étapes du parcours client. Le produit hôtelier n’est que l’un des éléments qui composent les valeurs de la marque. On s’intéresse au cheminement de la réservation jusqu’au départ de l’hôtel et même encore après. Il y a des moments plus «anxiogènes» dans ce parcours et c’est notre réponse qui fera la différence. Les mails ou SMS de confirmation de réservation, l’arrivée à l’hôtel, l’arrivée dans la chambre font partie encore de ces étapes où le client a besoin d’une forme de réassurance. La chambre doit être facile et simple à s’approprier … le design, les éléments de conforts, la connectivité… arrivent ce moment là. Le check-out est un autre moment angoissant où l’on se demande toujours s’il va prendre 5 mn ou 15 mn... La technologie et l’expérience Accor sont précieuses pour toutes ces étapes pour établir le lien en permanence. Nous consacrons beaucoup d’effort en formation RH, sur les notions de servuction dans l’hôtel, qui sont des éléments que maîtrisent bien le groupe.Et le lien n’est pas rompu pour autant après le départ de l’hôtel…Le programme de fidélisation joue son rôle et tout l’intérêt d’une marque est de garder le contact établi. Nous avons aujourd’hui des outils de Guest satisfaction survey qui sont de véritables outils de guerre MKG, car ils nous permettent de connaître en temps réel la qualité perçu par le client et ce sur un nombre très importants de questionnaires. Nous avons adopté l’outil Olakala qui est une étude qualitative permanente pour piloter les changements et les réponses à y apporter.Pourra-t-on parler bientôt d’une communauté de fidèles à une marque hôtelière ?Nous nous sommes aperçus qu’il est possible de développer une relation encore plus proche avec la marque, en s’appropriant ce qui ce qui en fait un élément fort. Le succès de la vente de MyBed dans la boutique en ligne So by Sofitel nous conduit à élargir le dispositif. Demain, il devra être possible de se procurer sur une plate-forme retravaillée, la tête de lit Novotel, la lampe All Seasons, des oreillers … autant de choses qui établissent comme une passerelle affective avec l’enseigne, dont on emporte un élément chez soi.On parle de plus en plus de valeurs associées à une enseigne, est-ce simplement un discours de marketeur ?Depuis un certain temps déjà, nous avons construit une communication qui est moins axée sur le produit, comme autrefois, que sur une dimension attitudinale, qui joue sur les ressorts psychologiques du client. La marque doit lui parler. Il est vrai que l’hôtellerie a encore du mal à le faire, alors que c’est la règle dans d’autres univers, et particulièrement celui de la voiture. Mais aujourd’hui lorsque l’on crée une offre, un produit, une communication, un programme RH…, le marketing cherche à s’accrocher aux éléments définis comme l’ADN de la marque. Nous avons fait ce travail avec Novotel, dont les valeurs sont construites autour de 5 mots: easiest, well-being, well connected, ecofriendly et best services… La campagne Novotel «Designed for Natural living» s’est inscrite dans cette démarche et c’est ce qui a fait la force de la marque, au-delà des composants matériels. Il faudra sans doute être plus engagé dans le parti pris et s’y tenir.Est-ce applicable à toutes les catégories hôtelières ?Pour Ibis, nous avons un autre parti pris qui est celui de la simplicité et de la proximité. Le repositionnement de Sofitel était une occasion d’affirmer sa définition du luxe à la française «Life is Magnifique». On se construit sur des valeurs et moins sur un produit, c’est un changement assez radical, une vraie évolution qui tient davantage compte des comportements que des offres en s’agrippant à des valeurs simples. Dans notre vision marketing, nous cherchons d’abord à définir une ambition et des valeurs, et de les traduire dans le produit et sa communication. Le marketing n’est pas tout, j’en ai bien conscience, mais il est désormais l’une des composantes majeures du produit hôtelier.Dans les années de crise où il était important de sauver le chiffre d’affaires, le Revenue Management n’a-t-il pas été l’enfant chéri des dirigeants hôteliers à la place du marketing ?

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