Selon diverses sources, Airbnb envisagerait d’investir dans Oyo le groupe hôtelier indien dont l’offre a explosé en 2018. La firme américaine qui prépare son entrée en bourse en 2019, multiplie les partenariats dans de nombreux projets comme par exemple niido™ powered by Airbnb des espaces de co-living teintés de location collaborative. Les destinations européennes sont de plus en plus nombreuses à se dresser face au géant. Tour d’horizon des ripostes législatives.
Airbnb : le petit poucet de la Valley a bien grandi
Fondé en 2007 à San Francisco, Airbnb est devenu, en moins de 10 ans, un géant, si ce n’est Le géant de l’hébergement, voire du tourisme. Plus de 6 millions d’annonces revendiquées (6 millions de listings selon un communiqué de presse de l’entreprise daté du lundi 4 mars 2019), cela place le site au même niveau que Marriott International qui dépasse le million de chambres ; en termes de capitalisation le site dépasse une OTA comme Expedia. Sans même être entré en bourse. Un géant : tout simplement. Et qui n’a pas fini de grandir : en début d’année le site a racheté Gaest(.)com, une startup danoise spécialisée dans la location de lieux de coworking. Et le site a d’ores et déjà lancé sa partie « expérience » pour les activités touristiques, ou encore sa partie « événements », toute récente en France, pour tout ce qui concerne le tourisme d’affaire et les séminaires. Une partie « transport » est en prévision. D’où un géant du tourisme et pas simplement de l’hébergement. Mais c’est cette activité qui reste le core business et qui a fait la réussite de l’entreprise. Il faut dire que le principe d’origine est simple : le propriétaire d’un appartement, met une annonce sur la plateforme et propose ce logement à la location, le lien se fait directement entre le propriétaire et le client, Airbnb n’est qu’un lieu de rencontre, une « marketplace ». Avec comme business model ingénieux de ne pas charger exclusivement le propriétaire, mais aussi le locataire, contrairement à par exemple un site comme Booking, où la commission est à la charge de l’hôtelier. D’ailleurs ce côté « collaboratif », échange de bons services, se retrouve régulièrement dans la communication de l’entreprise, qui n’a de cesse de parler de « communauté Airbnb » et non de clients, entre autres exemples.
Airbnb pèse lourd en Europe. Si ce sont les Etats-Unis qui ont vu naître l’entreprise, c’est bien en Europe que la firme a trouvé son marché, c’est là où se concentrent les annonces. Avec, selon la communication, Paris et Londres comme premières villes en nombre d’annonces sur la plateforme.Selon les outils (Inside Airbnb ou AirDnA), par exemple pour Londres, cela donne pour Inside Airbnb, 77 096 logements présents sur le site. AirDnA donne 60 858 offres d’hébergements disponibles. Avec en cumul, depuis le début de l’arrivée d’Airbnb à Londres, la création en tout de 243 402 annonces. Pour Paris, les chiffres sont respectivement de 59 881 offres d’hébergements disponibles selon Inside Airbnb et en tout 194 772 annonces créées. Dans leur grande majorité, ces annonces sont des appartements disponibles dans leur entièreté, plus grands que le studio. Les offres pour une chambre dans un appartement occupé en même temps sont effectivement très minoritaires : à peine 14 % des offres. Ces chiffres ne varient que très peu en Europe, peu importe la destination.
Pour donner un ordre de grandeur, l’INSEE donne dans ses chiffres « tourisme en 2019 », tout juste publiés, 82 444 chambres d’hôtels dans les hébergements dits de tourisme, tous classements confondus. Une offre quasi similaire donc entre l’hébergement hôtelier et l’hébergement via les meublés de tourisme en court séjour, disponible surtout via Airbnb (même si d’autres offres plateforme existent, Home Away, Windu etc.). Grâce à sa flexibilité, quelques clics suffisent pour inscrire un appartement là où les hôteliers mettent plus de temps à construire une offre l’offre est en plein boom. Depuis 20 ans, le nombre de chambres d’hôtels en France varie peu, entre 600 000 et 650 000, sans jamais atteindre les 700 000. En face, la croissance d’Airbnb est forte et très rapide. Bruxelles par exemple : en 2014 AirDnA donne 2 880 annonces créées et 4 ans plus tard ce chiffre est de 20 408. Pour rappel : Airbnb est arrivé en Europe en 2011. Le chiffre a été multiplié par 7.
La réponse des mairies européennes
Les mairies européennes ont donc réagi. En France : l’Etat fixe une limite de 120 jours de location dans les villes de 200 000 habitants et plus que les mairies peuvent choisir d’appliquer ou non. Au Royaume Uni, c’est aussi au niveau de la mairie que le problème est pris à bras le corps. En Espagne, c’est au niveau des régions puis de la mairie. Il y a toujours cette importance de la proximité : le territoire concerné réagit.
Les mesures prises se ressemblent, peu importe la ville ou le pays. L’acmé de cette réaction reste la plainte déposée par la Mairie de Paris directement contre Airbnb en ce début 2019. Comme expliqué ci-dessus : deux moyens de contrôle ont été choisis, la régulation du nombre de jours de location autorisés et la mise en place d’un enregistrement. Ce sont en fait les deux seules pistes qui ont été explorées par les pouvoirs publics, dans le cadre d’une location d’un logement déclaré comme logement principal tout du moins.
Ces limites sont souvent définies par le droit national, comme en France. Il faudrait donc rajouter toutes les villes françaises. Au Royaume-Uni, la limite de 90 jours s’applique aussi pour Liverpool par exemple.
Le second outil de régulation est le numéro d’enregistrement. Qu’il soit récupéré suite à une demande auprès de la mairie, un dépôt de dossier, qu’il puisse s’obtenir en quelques clics sur Internet. Pour ce versant de la législation, c’est sans doute Bruxelles qui s’est le plus avancée, le dossier à déposer en mairie est assez lourd, avec des contrôles, notamment de sécurité, à faire exécuter. Pour Paris, le numéro d’enregistrement se récupère en quelques clics via un site internet. A Lisbonne, le numéro est demandé au niveau de l’Etat et pas de la mairie, il faut rentrer dans le RNAL, le registre national du tourisme. A Rome, il faut communiquer l’adresse et la nature du logement après le 31ème jour de location, ce qui revient de facto à en enregistrement. A Madrid c’est sur un site de la mairie qu’il faut s’enregistrer. A Barcelone de même : numéro d’enregistrement à demander en mairie. Avec des originalités pour le cas Catalan : la mairie a aidé à mettre en place une plateforme de délation, permettant aux voisins, aux propriétaires, de dénoncer les appartements sur Airbnb pour que la mairie puisse opérer des contrôles. Et la liste continue : Vienne, Budapest, Berlin. En fait ces deux mesures sont d’ordre réglementaire, c’est une manière de contrôler alors que les mairies auraient pu penser à d’autres formes : contrôle fiscal, loi de l’urbanisme. Certaines l’ont d’ailleurs fait : à Madrid, des zones ont été délimitées et, en fonction de la zone, il est plus ou moins facile d’obtenir le numéro permettant de louer l’appartement en toute légalité. Semi originalité donc, car la réglementation par le numéro persiste. D’ailleurs en France, les communes doivent avoir 25 % de logements contrôlés par les bailleurs sociaux. Il aurait été possible de déterminer un taux d’appartements disponibles pour le tourisme, un nombre maximum de chambres ou de lits sur un espace donné. S’inspirer du modèle madrilène donc. Ou tout simplement taxer plus fortement les revenus de ce type de location, une « taxe de séjour » différente de celle appliquée aux hôtels par exemple.
D’ailleurs ce modèle ne se limite pas à l’Europe : à San Francisco il faut demander un certificat, à New York il est impossible de louer l’appartement pour plus de 30 jours consécutifs.
Le numéro d’enregistrement de Bruxelles n’est pas celui de Paris. Cela affine la carte en plus de catégories, il y a d’abord les villes qui n’ont pas encore mis en place de réglementation. Marseille par exemple, qui pourrait, selon le cadre national, mettre en place une limite de 120 jours et qui ne le fait pas. Prague aussi n’a aucune réglementation en place pour contrôler l’activité des hôtes ou de la plateforme. Vient ensuite une seconde catégorie, de réglementation moyenne : grand nombre de jours, avec ou sans numéro d’enregistrement, souvent ce dernier est facilement obtenu. C’est par exemple Londres : une simple limite de 90 jours. Ou encore Paris : 120 jours maximum, et s’enregistrer auprès de la mairie ne prend que quelques clics. Et enfin évidemment la catégorie la plus dure : interdiction ou réglementation très stricte. C’est Palma de Majorque, ou le dossier long et fastidieux à Bruxelles, ou encore Amsterdam qui limite à 30 jours.
Un autre facteur de tri pourrait être une différenciation selon que la réglementation concerne la plateforme ou les hôtes. C’est-à-dire : obliger la plateforme à rendre, entre autres, le numéro d’enregistrement obligatoire pour s’inscrire sur le site, ou plutôt poursuivre les hôtes qui ne se sont pas enregistrés. C’est-à-dire voir Airbnb comme un acteur à part entière et pas simplement un lieu d’échanges de services entre celui qui a les clefs et celui qui cherche un hébergement. En fait, les mairies jouent sur les deux tableaux : la mairie de Barcelone porte plainte contre Airbnb et poursuit les hôtes et la mairie de Paris fait de même. En France, c’est la loi Elan qui permet de poursuivre l’entreprise du web sous prétexte qu’elle ne rend pas obligatoire le numéro d’enregistrement. Ces attaques directes contre la plateforme, et pas seulement contre les hôtes, ont eu des effets mitigés. A Barcelone, la plateforme a plié et oblige à mettre le numéro. A Paris, pour le moment, l’Hôtel de Ville, n’a pas gagné une seule bataille judiciaire. D’abord contre la plateforme, le 5 mars 2019, au prétexte que mettre un appartement sur Airbnb n’est pas une preuve suffisante pour démontrer de manière sûre que l’appartement a, effectivement, été loué par des touristes. Puis contre les hôtes, le 10 février 2019, car les hôtes attaqués ont pu suspendre le versement de leurs amendes tant que l’Union Européenne ne s’est pas prononcée sur le sujet.
Faire appliquer la loi : quelle réponse de l’Union Européenne ?
C’est sans doute au niveau de l’Union Européenne que tout va se jouer. Les mairies ont pris un risque en faisant circuler un modèle unique de réglementation. Car si Airbnb arrive à prouver qu’une seule de ces règlementations, que cela soit le nombre de jours, ou le numéro d’enregistrement, contredit le droit communautaire, alors toutes les réglementations de l’Union basées sur le même modèle deviendront automatiquement caduques. Airbnb annonce déjà avoir porté plainte auprès de la Commission. En plus de la Cour de justice de l’Union Européenne, saisie, entre autres, par la Cour de cassation de Paris. La plainte d’Airbnb a été annoncée via un communiqué de presse de l’entreprise daté du 24 janvier 2019. Cette communication de l’entreprise revient notamment sur le dossier demandé par la ville de Bruxelles, jugé trop lourd, et contraire à la fameuse directive service de 2006 : le texte principal qui donne le cadre de l’activité tertiaire au sein de l’Union. Le texte explique notamment qu’à l’intérieur de l’Union la prestation d’un service ne peut pas être soumise à un régime d’autorisation, qu’elle est libre, et qu’une réglementation ne peut avoir lieu si et seulement si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. Il reste donc à prouver que de rendre obligatoire un numéro d’enregistrement sert bien l’intérêt général.
Une autre problématique explique que les mairies cherchent à s’attaquer à la plateforme plutôt qu’aux hôtes : il est bien plus simple de s’attaquer à un seul acteur plutôt qu’à une multitude. D’autant plus quand la plateforme peut d’un clic de souris rendre une case obligatoire pour l’inscription d’un appartement. Mais outre ces logiques, c’est que les villes manquent de moyens pour faire respecter les lois.
Il suffit de reprendre la conclusion du premier procès opposant la Marie de Paris à Airbnb, du 5 mars 2019 (l’audience était le 5 février). Les preuves fournies par la Mairie étaient notamment constituées d’un ensemble de captures d’écran d’annonces. Le tribunal a tranché en considérant que des captures d’annonces n’étaient pas des preuves suffisantes : il aurait fallu détailler appartement par appartement, prouver à chaque fois la réalité de l’occupation par des touristes. Utiliser ce système de contrôle est en fait un aveu d’impuissance de la mairie qui ne peut aller contrôler sur place, selon les interviews de la maire ou de son adjoint au logement, ce sont 31 agents municipaux qui sont assermentés pour contrôler les appartements (des agents du bureau de la protection des habitations, dit BPLH). Ces 31 agents font face à plus de 60 000 appartements en location sur le site.
L’autre stratégie, c’est à dire celle visant les hôtes mais pas la plateforme, permet de retrouver un combat à armes égales. Le jugement du 10 février, sur le procès entre la Mairie de Paris et une entreprise louant plusieurs appartements, ne remet pas en cause le fait que les appartements étaient loués en illégalité, cela est confirmé par le jugement, le problème vient sur le paiement de l’amende, qui est pour le moment suspendu.
A Barcelone, la mairie aurait ouvert plus de 2 000 procès contre des propriétaires, pour une ville qui compte un peu moins de 20 000 annonces selon Inside Airbnb. Soit 10 % des appartements. A Paris, les 1 000 captures d’écran ne représentent qu’un « contrôle », léger qui plus est, de 1,6% des logements disponibles sur la plateforme. L’ordre de grandeur est tout autre. Cela explique sans doute que la Mairie de Barcelone ait réussi à imposer une amende de 600 000 euros à la plateforme là où Paris n’a pas réussi.
Pour éviter de déployer de tels moyens – nécessairement coûteux – de plus en plus de mairies tentent de se mettre au 2.0 : une plateforme pour lutter contre la plateforme en somme. C’est Berlin qui pendant un temps a mis en place une page pour dénoncer anonymement les appartements « suspects » (après plusieurs procès, la ville a reculé sur toutes les régulations sur les logements principaux). Le même système a été mis en place à Munich et à Barcelone. La capitale catalane a même directement envoyé des lettres à ses habitants pour leur demande de redoubler de vigilance.
Le participatif pour pallier les dévoiements du collaboratif ?