Maud Bailly, membre du Comité exécutif de la division Luxe & Lifestyle du Groupe Accor

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Publié le 26/01/25 - Mis à jour le 10/02/25

Maud Bailly Accor

Diplômée de l’Ecole Nationale d’Administration et l’Ecole Normale Supérieure, Maud Bailly débute sa carrière dans la Fonction publique pour alterner assez régulièrement entre les grandes entreprises et les cabinets ministériels. Elle rejoint le groupe Accor en 2017 comme Chief Digital Officer et membre du Comité exécutif. En 2020, elle pilote l’activité du Groupe en France et Europe du Sud et depuis janvier 2023, elle assume le développement des marques Sofitel, MGallery & Emblems.

Comment se porte le marché du luxe, de votre point d’observation privilégié ?

Cela fait bientôt 8 ans que je suis dans le groupe Accor, à une époque d’années fastes. On parlait d’industrie bénie avec de faibles taux de croissance du parc, autour de 2% annuels, quand la croissance économique était de 5% l’an. Cet effet ciseaux jouait en notre faveur, renforcé par l’essor des classes moyennes et un plus grand appétit pour les voyages.

Ce secteur en pleine expansion, illustrée par la dynamique des prix et le développement, a été violemment secoué par la crise sanitaire du Covid, dont les effets se sont fait ressentir jusqu'en 2022.

À l'époque, j’avais la charge de l'Europe du Sud, un des plus gros piliers du groupe avec 1 900 hôtels et même en cette période nous avons continué à ouvrir un hôtel tous les 4 jours. Il fallait tenir et on a tenu, en dépit de la fermeture des frontières et de l’explosion des réunions Teams et Zoom.

 

Et le rebond s’est manifesté…

Il a été si fort qu’on a parlé de « Revenge Spending ». On s'est rendu compte que les gens pouvaient renoncer, notamment dans le luxe, a un sac ou un rouge à lèvres, mais pas un voyage. De plus, ce qui est intéressant, c'est que finalement, la dynamique expérientielle et la dimension voyage ont été les grandes conséquences positives post Covid. L’effet d'enfermement a souligné, accentué le fait que les gens n'avaient pas tant envie de posséder que de vivre.

Et cela a rejoint une tendance assez générationnelle qui privilégie l’usage à la possession et, plus que jamais, l'expérience, le vécu, le ressenti, l'émotion à la possession.

Pour en revenir à l’état actuel du marché du luxe, on voit aujourd'hui que les secteurs traditionnels du retail de luxe souffrent de ralentissement, en partie par l’absence de la clientèle chinoise, mais aussi par le contexte géopolitique instable, les guerres aux portes de l'Europe, l'instabilité au Moyen-Orient ou encore les élections américaines cette année. Tout est source d'attentisme.

C’est moins le cas pour le secteur de l'expérienciel luxe qui reste très dynamique. Pour le groupe Accor, et sa division Luxe et Lifestyle, nous nous attendons à une année très dynamique, sur une lancée très positive.

Pour la division hôtelière que je pilote, cela représente un PNL monde de 215 hôtels, voire 240 hôtels en rajoutant le PNL de la Chine, sous enseigne Sofitel, Sofitel Legend, M Gallery et bientôt Emblems. Tous les voyants sont au vert, malgré une année 2024 plus difficile que 2023.

Sofitel Legend The Mozart Prague
Sofitel Legend The Mozart Prague

N’y a-t-il pas un paradoxe par rapport à une situation internationale perturbée ?

Nous vivons dans un monde de paradoxes. Les taux d’intérêt sont élevés, le contexte est plutôt inflationniste. On peut affirmer que les conditions de financement sont plus dures et pourtant, mon pipeline est de 30% supérieur sur mes marques par rapport à la même période en 2023. Nous avons prévu d’ouvrir près de 80 nouveaux établissements dans les 3 années à venir, dont 30 nouveaux Sofitel et 3 Sofitel Legend sublimes à Prague, Jaïpur et Gizeh, face aux Pyramides, ainsi que 48 M Gallery et Emblems, la grande sœur de M Gallery.

Cette marque est d’ailleurs emblématique de la santé du marché du luxe car c’est un concept plutôt boutique hôtel qui privilégie les villas et des suites très exclusives, très intimistes. Sept hôtels sont déjà signés et une quinzaine entre dans le pipeline.

En fait, c'est une année qui semble plus volatile et donc plus complexe à appréhender macro économiquement et géopolitiquement. Pour autant l'appétence des investisseurs ne faiblit pas et celle des clients non plus, mesurée en termes de taux d'occupation et de prix moyens.

Évidemment, les Jeux Olympiques ont apporté une large participation à des résultats contrastés pré et post olympiques. La fragilité du début de saison a été – sera - compensée par un effet doublement positif : le boost ponctuel des JOP et la manière dont ils ont été gérés, saluée par le monde entier. Même si la France est déjà la première destination touristique mondiale, son blason a été largement redoré. On constate pour Noël une explosion des demandes de clientèles qu'on voyait moins à Paris, notamment asiatiques.

Le luxe semble résister à toute morosité.


Peut-on dire que les valeurs de ce secteur de l'hospitalité de luxe ont évolué face à tous ces bouleversements récents ? Que reste-t-il des fondamentaux d'une offre de luxe ?

Si j’observe les comportements de clientèle pour les quatre marques de mon portefeuille, les valeurs classiques n’ont pas tellement évolué : service impeccable, fluidité, personnalisation, beauté à la fois des matières et des lieux. La crise sanitaire a sublimé deux dimensions supplémentaires au-delà des valeurs standards de la promesse client : la première, c'est l'authenticité ; et la seconde est la durabilité.

L'authenticité entre dans une logique de connexion à l'environnement local que nous traduisons par le design des établissements, la référence au patrimoine local, avec la culture locale, à la restauration locale, aux produits locaux.

 

N’est-ce pas un peu du « local washing » ?

J’en reviens à cette dimension paradoxale. Chaque Sofitel que nous allons ou venons d’ouvrir, comme Mexico, Le Caire, Sydney ou Cotonou répond aux mêmes standards avec des marqueurs identitaires très forts : la croissanterie, les rituels de bougies, une évidente French touch, mais le local y applique une forte empreinte à travers l’offre de restauration, tapas catalans, le meilleur kebab du Caire …

L’authenticité doit se retrouver aussi dans les rapports humains, qui est une demande plus forte post-Covid. Nous encourageons le personnel à un service au cœur généreux, sans être enfermé dans des codes rigides du luxe. Le vrai luxe, c'est faire sentir à un client que l’on va tout faire pour qu'il se sente bien. On va tout faire pour relever, au détour d'une conversation, une préférence, un événement à fêter, une attention nécessaire. Nous avons bâti des formations dédiées à l'intelligence du cœur, à l'intelligence émotionnelle comme socle de la relation client.

 

Et comment traduisez-vous la seconde dimension de durabilité ?

Il ne faut pas se voiler la face, l'industrie de l'hôtellerie est un secteur de prédation : des ressources, des territoires, des humains. Sous l’impulsion de Sébastien Bazin, nous avons décidé à l'échelle du groupe et à l'échelle de nos marques de traduire la dimension durable dans les Capex et des feuilles de route très volontaristes, soutenues par des bonus pour les collaborateurs. A ce jour 50% du réseau est éco-certifié. Le chiffre va monter à 70% à la fin de l’année et l’objectif de 100% sera atteint d'ici fin 2025 sans attendre la moindre régulation.

Je n’oublie pas la dimension RSE, notamment pour soutenir la cause des femmes et favoriser la diversité. Quand 43% des directeurs d’hôtels en Europe du Sud sont des femmes. Le chiffre n’est plus que de 26% dans le luxe. Il faut lutter contre les résistances qui persistent même si je pense que je suis l’une des meilleures élèves du groupe. Comme si on avait du mal à réconcilier féminité et direction d'un PNL de luxe dans l'hôtellerie.

 

Et que peut apporter l’IA dans le luxe ?

Nous travaillons sur des établissements pilotes à Dubaï pour intégrer l’intelligence artificielle, notamment avec des outils comme Fullsoon pour réduire le gaspillage alimentaire. L’investissement RSE est gagnant-gagnant : économies sur les matières, les ressources et respect de l’environnement. Ces outils d’IA nous aident énormément au pilotage de notre empreinte carbone, main dans la main avec les propriétaires, pour améliorer l'efficacité énergique des nouveaux bâtiments et renforcer celle des bâtiments actuels.

Guyang.Art Center Chine
Emblems Guyang.Art Center Chine

L’hôtellerie de luxe peut-elle souffrir de la concurrence de nouvelles offres, comme les clubs, le coliving, les résidences, les locations entre particuliers ?

Ce qui m’a le plus frappée en période post-Covid c’est la montée du pourcentage de clients Loisirs par rapport au Business. Il était équilibré 50/50 avant et on dépasse désormais les 65% de Loisirs dans nos marques. C’est la conséquence de la poussée du « bleisure » qui mixe les deux motivations. Cela vient aussi du nombre de clients qui voyagent ensemble, les couples à deux sont complétés par des tribus de 4, 6, 10 personnes. Cette nouvelle demande recherche des espaces, des villas, des maisons mais sans en avoir les contraintes. Cette nouvelle convivialité est prise en compte dans le cadre de nos rénovations et des nouvelles constructions. Au Sofitel Dubaï The Palm, il y a plus de suites avec 3 à 4 chambres et des villas pouvant accueillir jusqu’à 5 personnes.

 

Les nouveaux développements vont donc en tenir compte…

Les rénovations et les constructions incluent davantage de grands espaces ou carrément se positionnent sur le créneau des « branded residences », pour Sofitel à Ryad ou M Gallery au Mexique. Nous intégrons la concurrence des Airbnb et autres pour finalement se réinventer.

 

A propos de réinvention, quelle est l’inspiration derrière la revitalisation de la marque Sofitel ?

Sir Michael Kadoorie and his son

Nous avons pas mal de partenariats déjà actifs ou qui vont arriver avec des maisons, qui associent la générosité du cœur et une culture bien ancrée. J’ai observé beaucoup de marques de luxe qui avaient en commun dans leur ADN l'excellence et le souci de la transmission. L’une des premières à avoir joué le jeu de la collaboration est Bernardaud. Après une rencontre avec son président, Michel Bernardaud, nous avons créé ensemble une petite lithophanie qui est associée au rituel des bougies tous les soirs quand les bougies sont allumées par les collaborateurs dans le hall ou dans les espaces publics. Une manière de réenchanter les hôtels comme le faisaient les allumeurs de réverbères, en hommage à la Ville Lumière.

Pour en revenir à Bernardaud, nous avons partagé ces notions de transmission des savoir-faire, en se réinventant régulièrement, sans jamais renier sa culture, en privilégiant la formation des collaborateurs.

Nous collaborons aussi avec l’Officine Universelle Buly, un créateur de cosmétiques et de parfums qui a pignon sur rue depuis 1801 dans la plus grande tradition française.

Le groupe Accor vient de racheter Daloyau, il y a certainement des passerelles à trouver avec cette grande maison qui a inventé le macaron et même - on ne le sait pas forcément - le gâteau Opéra. Le lancement de la « haute croissanterie » cette année va au-delà de nos espérances et on adorerait voir leur patte sur l’un de nos marqueurs, le croissant.

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