
La dernière parution du magazine bimestriel d'Hospitality-ON analyse le marché de l'hospitalité de luxe, porté par une clientèle qui ne cesse de grandir, stimulé par une volonté des CSP+ de s'offrir des moments de plaisir, transformé par les pratiques des nouvelles générations et les comportements des plus anciennes, évoluant vers de nouvelles offres et de nouveaux modèles que nous passons en revue. Plongée dans un univers expérienciel mais exigeant.
Les crises ont tendance à accentuer les écarts entre les extrêmes. Quand les revenus les plus modestes devaient faire face à la montée de l’inflation, ceux des plus aisés ont connu une belle accélération. Les différents observatoires ne sont pas tous d’accord sur les chiffres qui tentent de cerner ce marché exceptionnel. Mais qu’importe le détail, ils se rejoignent sur quelques certitudes : le nombre des riches est en progression constante et leur patrimoine disponible cumule des centaines de milliards de dollars.
Il y a donc de quoi alimenter de nouvelles offres de services et orienter les investisseurs vers de nouveaux développements immobiliers très haut de gamme, qui se concrétisent largement dans l’hospitalité. Si la richesse est vieille comme le monde, elle s’adapte naturellement à l’environnement des affaires de chaque époque. La création des fortunes change d’origine et de rythme, et elle induit de nouveaux comportements auxquels les industries du luxe doivent aussi s’adapter.
Près des trois quarts des riches et très riches sont des entrepreneurs(neuses) qui ont réussi dans les affaires, tandis qu’ils ne sont que 20% à avoir hérité d’une fortune qu’ils ont fait fructifier et quelque 5% à n’être que des rentiers très prospères. Cela explique en bonne partie que le monde du luxe n’est pas, ne peut pas être figé. Loin d’être conservateur, c’est un univers où l’on peut expérimenter de nouvelles formules, anticiper de nouvelles tendances, oser de nouvelles approches.
Dans ce paysage changeant, les métropoles internationales tiennent toujours le haut du pavé, notamment car elles permettent – permettaient – seules de mixer business & pleasure, les affaires, les loisirs et le shopping. Mais la technologie casse progressivement ce schéma en ouvrant davantage de destinations à la fréquentation assidue de la clientèle fortunée.
« Les acheteurs modernes, en particulier les entrepreneurs nomades, sont de plus en plus mobiles. Ils peuvent travailler depuis n’importe où dans le monde, ce qui signifie qu’ils ne sont plus liés à un seul lieu de résidence »
Thibault de Saint-Vincent, président de Barnes
Face à une clientèle en expansion, maîtresse de son destin et de ses choix encore plus que les autres strates de la population, exigeante par nature et/ou par statut, l’univers du luxe se doit d’être imaginatif, à l’écoute, rigoureux et intraitable sur le niveau des prestations. La légitimité ne s’y décrète pas, elle se construit et s’entretient sur la durée, tout en laissant l’opportunité à de nouveaux acteurs de faire irruption et d’y gagner leurs galons.
L’horizon du luxe, clairement dégagé ces dernières décennies, s’assombrit un peu ces derniers temps : les crises géopolitiques et financières finissent par impacter certaines populations, notamment en Chine et au Moyen-Orient. Le ralentissement des dépenses est perceptible mais pas au point d’inquiéter les spécialistes qui se disent confiants sur les relais de croissance.
Chapitre 1 - Le marché des riches ne connait (toujours) pas la crise

Le marché du luxe dans toutes ses facettes repose sur la capacité de ses clients à dépenser ou investir dans des biens et services qui vont répondre à leurs aspirations de possession, d’égo, de statut social mais aussi de plaisir, d’émotion, d’expérience. La bonne nouvelle, partagée par tous les observateurs attentifs de cette population privilégiée, est qu’elle continue de grandir, voire de prospérer, justifiant tout l’intérêt que leur portent les prestataires et notamment les acteurs de l’hospitalité.
Si elles ne représentent qu’un pourcentage très faible de la population mondiale, les personnes riches ont un poids économique déterminant, une influence persistante sur l’évolution de l’offre en vertu de leur forte contribution au PIB Mondial et notamment celui du tourisme haut de gamme.
Même – surtout - chez les riches, la segmentation est importante car elle influence les évolutions de leur comportement, leur niveau d’exigence et, dès lors, la nature de l’offre proposée. Derrière quelques acronymes comme HNWI ou UHNWI se cachent une réalité fragmentée placée sous le microscope des spécialistes du luxe.
Les High Net Worth Individuals (HNWI), qui affichent entre un et cinq millions de dollars de patrimoine, se chiffrent en dizaines de millions et leur poids économique à plus de 180 trillions de dollars. Quand Wealth-X, filiale d’Altrata, en identifie 34,3 millions dans son World Ultra Wealth Report, l’Union des Banques Suisses en a identifié plus d’une cinquantaine de millions dans une vingtaine de pays, dont près de la moitié dans les seuls Etats-Unis.
Pour la banque suisse, Chine en abrite plus de 6 millions et la France arrive à la 3e place du podium avec près de 3 millions de très riches. Le Top 10 des nations HNWI est complété dans l’ordre par le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada, l’Italie, la Corée du Sud et les Pays-Bas. Plus bas dans la liste, l’Espagne, la Suisse, l’Inde, Taiwan, Hong Kong, la Belgique, la Suède et le Brésil justifient que les marques de luxe s’y implantent.
Les Ultra Net Worth Individuals (UHNWI) forment une crème de la crème beaucoup plus précieuse, avec chacun un patrimoine disponible évalué entre 5 et 30 millions de dollars. Ils ne sont que 300 000 à 400 000 – selon les rapports - à travers le monde mais pèsent à eux seuls le quart de la fortune des HNWI.
« Les riches continuent de voyager et ils sont de plus en plus nombreux. Ce ne sont pas des héritiers pour la plupart mais des business men (women) – des générations X aux Millenials - qui ont bâti leur fortune et qui sont en train de faire évoluer l’univers du luxe. Si la nuitée à 1 000 $ n’est pas encore la norme, elle est de moins en moins une exception dans notre univers de marques ».
Vicki Poulus, directrice des marques Luxe IHG, lors de la Lodging Conference de Phoenix, Arizona
La cerise sur ce gâteau est une pierre précieuse à quelque 3 000 facettes, autant de milliardaires en dollars que l’on va retrouver dispersés en Amérique du Nord, en Europe et en Asie-Pacifique, quand ils ne voyagent pas à travers tous les continents.
Et le nombre des riches et ultra riches est en constante augmentation à un rythme annuel mesuré entre 3% et 5%. Selon l’UBS, les individuels fortunés seront plus de 85 millions en 2027, de quoi alimenter tous les plans de développement des marques et entreprises du luxe.
Les estimations et prévisions chiffrées varient selon les analyses, mais une certitude est partagée par tous : leur multiplication semble de plus en plus rapide. Pour Knight Frank, les ultra-riches sont encore plus dans l’accélération avec un bond de près de 30% dans les cinq ans à venir, notamment grâce à l’Asie et au Moyen-Orient.
Chapitre 2 - Les attentes de la clientèle de luxe changent avec les générations

Autant de riches, autant de façon d’apprécier et de consommer « luxe ». La reconnaissance sociale et le traitement « VIP » qui l’accompagne restent assez largement la règle. Les hôtels de luxe, palaces urbains ou resorts exotiques, constituent encore et toujours la très vaste majorité de l’offre d’hospitalité identifiée très upscale. Entre chic conservateur et audace plus contemporaine, l’éventail des propositions de design et des offres de services est large certes mais procède à peu près du même fonctionnement traditionnel auquel sont adaptées les grands noms de l’hôtellerie de luxe.
Mais les temps changent et les tendances du voyage de luxe connaissent et ont connu des évolutions plus « radicales » en quelques années qu’au cours des décennies passées. Chaque année, Virtuoso, le réseau des agences de voyages traitant les clients luxe, en association avec le site Globetrender, analyse, à travers le Virtuoso’s 2024 Brand & Travel Tracker Survey, les attentes de leurs clients pour faire ressortir les tendances qui redéfiniront le paysage du voyage de luxe en 2025 et au-delà.
Sur les sept tendances de fond identifiées, certaines ont plus ou moins de résonnance sur l’offre d’hébergement de luxe. Leur simple évocation montre déjà que le luxe est loin d’être un univers figé même si les mouvements qui le traversent sont plus lents à se mettre en place. Les nouvelles générations vont s’occuper d’accélérer le rythme.
Les tribus intergénérationnelles se répandent dans le monde
Cette première tendance les concerne. Baptisée XZ Beta Travel, elle traduit une réalité 2025, jusqu’à sept générations peuvent voyager ensemble depuis les grands parents « Matures » jusqu’aux « Beta Babies », les bébés issus des parents de la Génération Z, auxquels ont ajoute par ordre d’ancienneté, les « boomers », les Generation X, les Millennials et la génération Alpha, les moins de 15 ans en 2025.
La seule génération Z va compter 2 milliards de personnes en 2025 et selon le cabinet McKinsey, elle constitue un groupe de consommateurs croissant qui peut représenter jusqu’à un tiers du marché du voyage de luxe, généralement âgés de moins de 40 ans et de plus en plus originaires d’Asie. Elle représentera un pouvoir d’achat collectif de quelque 240 milliards de dollars, dont l’inspiration de voyages provient souvent de TikTok. Ils ne seront pas très nombreux à être parents, mais les hôtels vont pourtant s’adapter à ceux qui le seront comme l’a fait la chaîne Shangri-La Hong Kong Island qui leur a réservé un étage dédié, ou le Sonnwies, dans les Dolomites italiennes, avec son aire de jeux et un zoo miniature.
Les plus riches deviennent impulsifs avec leur F**k-It Lists

En sortie de confinement, le « revenge travel » a fait office de sas de décompression en déployant sa bucket list et ses souhaits de destination à assouvir. En 2025 et au-delà, les voyageurs qui en ont les moyens adoptent une F**k-It List, des aventures spontanées et libératrices qui priorisent l’expérience intense du moment présent.
Qu’importe la dépense, faisons-nous plaisirs affichent les millionnaires en louant des yachts, en remplissant les Premières classes ou en s’offrant un jet privé. Et sur place, pas de détente tranquille mais du souvenir marquant : plonger avec les requins, parcourir les canyons du Zion National Park dans l’Utah, survoler le désert namibien en montgolfière, danser au premier rang du Burning Man. Entre expédition proche d’une mission d’Indiana Jones, expérience de survie au Tonga ou road trip au Panama, c’est l’expérience extrême et surtout unique qui plait au voyageur. L’hébergement en fait partie ou apaise le héros à son retour.
Dis-moi ce que tu ressens, je te dirais comment voyager
Le voyage comme divertissement, au sens pascalien du terme, sert aux nouveaux consommateurs du luxe à sortir de leur routine. Les activités doivent permettre de se déconnecter du stress professionnel ou personnel, mais encore faut-il qu’elles touchent la bonne fibre. Pour découvrir les véritables motivations de leurs clients, les concepteurs de voyages développent le Mood Boarding dans les consultations avant le voyage.
Le philosophe Alain de Botton rappelle qu’en voyage on emmène sa propre personne avec soi et qu’elle doit trouver la finalité du voyage, substituer l’envie au besoin en créant des expériences qui nourrissent émotionnellement.
L’hospitalité haut de gamme a une formidable carte à jouer dans la réalisation de ces aspirations et le traitement individualisé des envies de ses clients.
« L'une des tendances que nous avons remarquées est le désir de ralentir. Nos clients regardent les destinations de manière plus approfondie qu'auparavant. Il y a un allongement de l'expérience et une volonté de s'engager avec la culture, de s'impliquer dans une cause, avec un accent sur la durabilité, la communauté ou la conservation. Il y a un attachement émotionnel plus fort, partout où ils sentent qu'ils auront des interactions plus authentiques avec la destination, là où cela les touchera plus profondément. »
Cathy Holler, President of Momenti Travel, Virtuoso Adviser in Canada
Le sexe dit faible prend son destin en main
L’essor des voyages indépendants chez les femmes devrait se poursuivre, avec un nombre croissant de tous âges choisissant des voyages en solo, voire aventureux. Ces Wander Women, divorcées, séparées ou veuves, constituent les trois-quarts des voyageurs en solo qui pensent à elles après une vie consacrée à la famille.
AmaWaterways a supprimé les suppléments pour les voyageurs en solo sur certaines croisières fluviales européennes en 2024, tandis que le réseau suisse A Small World a lancé la Solo Cruise Company, ciblant les femmes de 55 ans et plus.
Les prestataires de luxe peuvent exploiter cette niche en mettant l’accent sur les connexions personnelles, des expériences uniques et les besoins spécifiques des femmes.
Repousser les effets de la vieillesse

Le tourisme de bien-être est l’un des segments du luxe promis au plus bel avenir (voir article page XX). Le Global Wellness Institute l’estime mondialement à près de 2 000 milliards de dollars en 2027, avec une forte tendance à la recherche de plans de santé personnalisés et plus seulement des soins de beauté.
Le Silver Bullet Wellness s’associe davantage à la retraite personnelle qu’à la cure de remise en forme. Les voyageurs de luxe recherchent désormais des transformations intensives et personnalisées de leur esprit et de leur corps. Lutter contre le déclin cognitif ou l’insomnie, prolonger sa vie, suivre une thérapie pour la ménopause ou expérimenter la guérison quantique, on est loin des massages, des bains d’algues et des masques d’argile.
Les autres tendances identifiées par Globetrender sont plus marginales. La tendance Memoirs in Motion consiste pour les voyageurs de luxe à engager des équipes de tournage professionnelles pour documenter leurs voyages, transformant leurs vacances en expériences cinématographiques et en héritages personnels.
Cette nouvelle tendance permet aux clients de devenir les stars de leurs propres documentaires, reflétant la demande croissante pour des récits personnalisés et la préservation des souvenirs.
La tendance Racketeering reflète la popularité croissante des sports de raquette tels que le tennis, le pickleball et le padel pendant les vacances, encouragée par le film de 2024 Challengers, et qui se traduit par des séjours thématiques autour des sports de raquette. Les resorts du monde entier capitalisent sur cette tendance en ajoutant des courts de pointe, des cliniques et des tournois.
A suivre pour les abonnés Hospitality-ON
Chapitre 3 : L'offre classique reste dynamique et les stratégies de développement s'affirment
Chapitre 4 : Nouveaux modèles économiques et nouvelles approches de l'hospitalité de luxe




