Emmanuel Sauvage, Président de la commission Prestige, Tourisme et Promotion du GHR

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Publié le 29/01/25 - Mis à jour le 29/01/25

Emmanuel

Emmanuel Sauvage, 42 ans, a toujours évolué dans le secteur de l’hôtellerie de luxe. Muni d’un BTS de gestion hôtelière, il débute comme chef de réception et devient directeur, à 23 ans, au sein du groupe Les Hôtels de Paris. En 2010, on lui confie l’ouverture du 5* Burgundy, à Paris.  En 2014, il co-fonde le groupe Evok Hôtels Collection avec Romain Yzerman et l’investisseur Pierre Bastid. Evok rassemble aujourd’hui cinq adresses pensées pour devenir de véritables lieux de vie. Fort de son expérience, ses pairs du syndicat GHR l'ont choisi pour prendre la tête de la commission Prestige.

Le secteur du luxe, et notamment le l’hôtellerie de luxe, est-il épargné par le contexte anxiogène et perturbé de ces derniers mois ? Est-ce une bulle qui traverse toutes les crises ?
La situation du luxe n’est pas mauvaise, soyons réalistes. Il existe toujours un léger décalage entre l'évolution du contexte global et la manière dont réagit la clientèle du luxe. On peut quand même s’attendre à être un peu bousculé. On commence à sentir un certain ralentissement, quand même, depuis un an, par rapport au pouvoir d'achat et d'autres problématiques. Cela ne touche pas forcément les ultra riches, mais il n’y a pas qu’eux.

En sortie de Covid, au nom du « revenge travel » et autres frustrations, on avait enregistré comme une frénésie de dépenses de la clientèle fortunée, comme une envie démultipliée de s'offrir des belles choses.

Certes, mais même eux ont été rattrapés par la situation mondiale. Beaucoup de ces dépenses étaient liées à des bonus exceptionnels et ils sont moins évidents ces temps derniers. On va dire que la recherche de ce plaisir est plus modérée. On voit bien que la restauration de nos établissements de luxe est en baisse d'activité. Malgré l’inflation des coûts, le ticket moyen en restauration n'augmente pas,


Y-a-t-il de quoi être inquiet ?

Non, la situation n’est pas au point d'être inquiétante même si on constate une baisse d'activité générale. Disons qu’il y a des points d’alerte et qui ne concernent pas tous les marchés. La dynamique récente s’essouffle et le marché du luxe est plus attentiste.

Y-aurait-il de la part de la clientèle un sentiment d’indécence à dépenser dans le luxe quand on parle beaucoup de baisse du pouvoir d’achat ?

Le luxe a changé un peu de nature. On est davantage dans une approche « quiet luxe » alors que les codes des dernières années étaient plus festifs, plus « show off ». Il faut reconnaître que l’hôtellerie de luxe avait une dimension assez classique et qu’elle est en train de changer. Il y a davantage de looks qui correspondent aussi à davantage de segments et de comportements de clientèle.

Est-ce aussi une question de générations, avec des attentes et des aspirations nouvelles d’une clientèle contemporaine moins démonstrative ?

Ce n’est pas tant une question de génération que d’époque. Il n’y a pas si longtemps le vrai luxe était assez confidentiel, réservé à une petite communauté qui vivait entre soi. Il l'est beaucoup moins aujourd'hui du fait des marques de luxe qui ont largement ouvert le marché avec des produits d’appel. Transposé dans l’hôtellerie, cela veut dire que si je ne peux pas m’offrir une suite dans le palace, je peux déjà m’offrir un verre au bar. On peut plus facilement se payer un morceau de luxe et avec plus de décontraction qu’auparavant.

Est-ce qu’il ne faut pas néanmoins se sentir légitime pour entrer dans un hôtel de luxe ? Une bonne partie de la population peut s’y sentir mal à l’aise…

Les réseaux sociaux ont beaucoup changé cette approche. Ceux qui veulent se montrer à leurs communautés choisissent de beaux endroits, de beaux vêtements ou accessoires. Cela parait plus naturel et accessible. Il y a ceux que ça crispe parce que cela peut paraître artificiel et inaccessible mais cela donne aussi des envies à toute une partie d’une audience qui va sauter le pas d’un luxe plus accessible. Les réseaux sociaux ont beaucoup libéré les hésitations.

Le luxe n’y a-t-il pas perdu une partie de sa dimension rêve ?

J’en reviens à mon explication. Il y a vingt ans l’industrie du luxe était très cloisonnée, très confidentielle. Chez Hermès, il y avait 400 ouvrières qui fabriquaient la plupart des produits au-dessus de la boutique Saint-Honoré. Ils sont maintenant 4 000 employés dans le monde. On a changé de dimension. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas toujours la dimension rareté, qui fait l’authenticité du luxe. La rareté, dans notre univers de l’hospitalité, se traduit par l’expérience exceptionnelle, pas par la visibilité étendue. On peut faire cohabiter les deux. Ce n’est pas parce que la communication s’est beaucoup élargie – si je prends l’exemple de Dior – que l’exception a perdu de sa valeur.

Pour autant, la philosophie de notre groupe repose sur l’ouverture vers la ville, le quartier et l’accueil de tous les clients qui veulent franchir le pas sans forcément se payer une nuit d’hôtel.

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Réception de l'hôtel Nolinski Paris (c G.Delaubier)


Cela vous a-t-il conduit, vous hôteliers de luxe, à faire évoluer votre offre, vos services ?

Alors oui et non. Nous sommes partagés entre la nécessité de remplir les restaurants, donc de jouer sur une communication plus générationnelle, plus ouverte, et le fait de ne pas dénaturer la marque de luxe. Ce travail est extrêmement important, plus important aujourd'hui qu'hier. Et c'est vrai que l'hôtellerie a du chemin à faire dans ce domaine. Même les grands groupes ne travaillaient pas leurs marques comme le font les autres secteurs du luxe.

Est-ce déjà une question de moyens mis en œuvre ?

Ce n'est pas toujours une histoire de moyens, cela tient aussi au mode de fonctionnement dans la plupart des groupes hôteliers. J’y ai longtemps travaillé, alors je connais un peu ce fonctionnement. J’ai toujours considéré comme une hérésie d’associer les directions Ventes et Marketing. En fait, ce sont deux visions en opposition qui ont du mal à communiquer. Je me suis toujours dit ce sont deux métiers totalement différents, et que cela va au détriment du travail sur la marque.

L’hôtellerie de luxe s’associe-t-elle volontiers aux préoccupations des autres segments ou se sent-elle plus à l’aise avec les entreprises de joaillerie, de montres ou de fashion ?

La « vieille » génération évoluant dans l’hôtellerie de luxe était un peu autocentrée, avec sans doute un sentiment d’appartenir à une forme d’aristocratie. Les nouveaux DG ont beaucoup moins cette approche. Mais il est certain que l’on se sent plus proches des marques de luxe en général et qu’il y a beaucoup à en apprendre. Je les trouve beaucoup plus en avance dans la perception des comportements, dans la perception des évolutions. Les grandes maisons de luxe ont les moyens d’analyser tout cela et on peut en profiter.

Est-ce que cela conduit à une certaine remise en cause de votre fonctionnement ?

Nous avons déjà beaucoup changé, comme industrie. Mais disons que nous étions, sommes encore parfois, sur des modèles assez classiques et que la remise en cause n’a pas été aussi vite que voulue. Nous cultivions un peu une espèce d'entre soi. Mais il y a beaucoup de nouveaux acteurs qui sont arrivés. C'est un peu ça qui a bousculé la donne. Je pense à des grandes enseignes asiatiques par exemple.

Mais plus globalement les grandes maisons de luxe nous poussent. Aussi parce qu’elles s’intéressent de plus en plus à l’hospitalité. Il suffit de voir les investissements du groupe LVMH. Comme je le disais, elles nous poussent pour plein de raisons. Par le souci du détail, par l’exigence de qualité, par l’excellence du packaging. Je trouve que l'hôtellerie était très en arrière de tout ça, justement, ce n'était pas assez marketé. Notre groupe travaille avec un bureau de tendances, par exemple. Il faut aussi s'inspirer, il faut y aller.

Est-ce que vous utilisez aussi le terme d’expérience, très répandue dans l’hospitalité ?

On utilise ce mot de manière parfois excessive. Je préfère parler d’univers. Un hôtel n’est pas qu’un hôtel. Il doit être ouvert sur la vie, il doit s’y passer plein de choses. C'est un lieu mixte, même si cela dépend dans quel quartier on est. C’est cette communauté rassemblée qui vit une expérience, il faut être différenciant, il faut savoir s'adapter à chaque client. C'est plus compliqué que les codes traditionnels. J’aime à dire que nous somme des créateurs de souvenirs. Oui, c'est un peu ça.


Avez-vous les mêmes difficultés que les autres segments de l’hôtellerie à recruter ?

Notre métier est basé sur l’humain et ça devient assez compliqué. On a tous du mal à recruter, ce sont les mêmes problématiques internationales. Ce n'est pas que français ou parisien. Mais je constate que les jeunes sont très attachés à la valeur de marque, et notamment la marque employeur que nous cultivons. Alors oui, les plus jeunes peuvent avoir la bougeotte, mais, en fait, on se rend compte que dans un turn over, ce sont toujours les mêmes postes qui bougent, alors qu’il y a une grande stabilité dans les postes à responsabilité. Parce qu'ils ont trouvé leur place, et se sentent bien.

On voit apparaître ou se développer de nouvelles approches du luxe dans l’hospitalité, les appartements à service hôtelier, les branded résidences, le co-living de luxe…. Sentez-vous une partie de la clientèle traditionnelle tentée par ces nouveaux modèles ?

J’ai du mal à considérer ces modèles comme du luxe. On peut faire tout ce qu'on veut, on peut vendre tout ce qu'on veut, mais c'est une autre forme d'hébergement. Elle peut être très haut de gamme, elle peut être longue, mais la notion de service n’est pas totale même avec une conciergerie 24/24 mais qui n’est pas sur place sans personnel dédié.

En fait, en fonction des destinations, ce sont des modes complémentaires. Je pense particulièrement à la montagne et à la mer avec ses chalets ou ses villas. C’est moins vrai sur l’urbain. Et puis la notion de clientèle riche est variable. Il y a beaucoup plus de clientèles riches. Il y a donc forcément des typicités différentes.

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Chambre executive Brach Madrid (c G. Delaubier)

Nous avons créé le groupe Evok au moment de l’apogée d’Airbnb et on pouvait en avoir peur. On parlait à l’époque de la rencontre avec les Parisiens. Elle ne s’est pas vraiment produite car la plupart des appartements sont vides de ses propriétaires. Ce n’est pas la concurrence qui fait peur, tout dépend de la régulation. C’est cette problématique qui nous concerne pour avoir les mêmes charges ou les mêmes règles. La régulation est importante pour ne pas entraîner la désertification de pans entiers de la ville ou d’un quartier. C’est une question d'équilibre avec de l'offre supplémentaire, qui permet de progresser. Tout ce qui est novateur est bon pour le marché. Quand on est boosté, on est bien meilleur.

Président de la commission Prestige Tourisme et Promotion du Groupement de l’Hôtellerie et Restauration de France, quels sont les dossiers qui sont sur votre bureau ?

Nous nous préoccupons de l’influence de l’Intelligence Artificielle dans nos métiers. Il faut s’interroger sur le tourisme de demain et son fonctionnement. Cela alimente une bonne part de nos réflexions. Nous sommes aussi concernés par la place du luxe dans la société, pour éviter les cassures. Cela touche des sujets comme la RSE ou l’inclusion. D’un point de vue très pragmatique, c’est une exigence des banques pour assurer les financements.

Mais au-delà de cela, c’est une façon de cultiver de vraies valeurs, de donner du sens auquel nos salariés sont attachés. Je fais encore référence au groupe LVMH, c’est notre mission d’accompagner les artistes, la jeune garde, de lutter contre les crispations de la société. Nous avons une responsabilité face au tourisme de masse et pour lutter contre les incohérences. On veut battre des records et on parle aussi de surtourisme. Le tourisme, et le luxe y a toute sa place, a un rôle vis-à-vis de l’aménagement des territoires, pour compenser les concentrations, pour continuer à faire vivre des quartiers.

L’hôtellerie de luxe a-t-elle des arguments que n’ont pas les autres catégories ?

Le luxe, c'est quand même de fait d'être facilitateur, que le séjour soit fluide, que tout soit mis en place pour cela. Nous savons faciliter le séjour des clients et pas forcément avec de la technologie. J’ai une certaine réticence à la multiplier pour nos clients. Ils ont largement les moyens de se l’offrir à titre personnel. Il ne faut pas être en concurrence avec elle et elle a peut-être envie de s’en passer pendant le séjour.

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