
[UPDATE le 21/06] Jeudi 20 juin 2024, une assignation a été notifiée à la société Airbnb Ireland par Maître Bellaïche, du cabinet d’avocats Goldwin, à la demande de 26 hôteliers français. Cette action en justice pour concurrence déloyale a été présentée par Eric Abihssira, vice-président confédéral de l’UMIH et hôtelier-restaurateur à Nice, ainsi que Véronique Siegel, présidente de l’UMIH Hôtellerie et hôtelière à Kaysersberg et à Strasbourg.
Les hôteliers accusent Airbnb de plusieurs manquements à la réglementation en vigueur :
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Non-respect des obligations administratives : Airbnb ne fournirait pas de numéro d’enregistrement pour les communes concernées et ne supprimerait pas les annonces dépassant les 120 jours pour les résidences principales. De plus, la plateforme ne collecterait, ne déclarerait et ne payerait pas la taxe de séjour de manière adéquate.
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Manquement à l'obligation de surveillance : En tant qu’éditeur de contenu, Airbnb aurait l’obligation de veiller à l’absence de contenu illicite sur son site, ce qui ne serait pas fait selon les hôteliers.
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Responsabilité des annonces illicites : Les hôteliers reprochent à Airbnb de permettre la publication d’annonces en violation des réglementations applicables, notamment le code du tourisme, de la construction et de l’habitation, ainsi que le code de l’urbanisme.
Ces manquements créeraient une concurrence déloyale en faveur des locations touristiques via Airbnb, au détriment des hôteliers traditionnels. Ces derniers se retrouvent en concurrence directe avec un marché locatif qui ne respecte pas les mêmes règles, causant des pertes financières et un préjudice considérable.
Les 26 hôteliers cherchent à mettre fin à cette situation préjudiciable et réclament des réparations individuelles sous forme d’indemnisations financières pour les préjudices subis. Ils espèrent que cette action conduira à une meilleure régulation de la plateforme et à une concurrence plus équitable.
L’audience publique se tiendra le 6 septembre 2024 devant le Tribunal de Commerce de Lisieux. Cette date sera cruciale pour l’avenir des relations entre les plateformes de location touristique et le secteur hôtelier traditionnel. Les résultats de cette action en justice pourraient avoir des répercussions significatives sur le secteur hôtelier en France et sur la régulation des plateformes de location touristique à l’échelle nationale.
« Nous sommes satisfait que les hôteliers se mobilisent dans cette action contre Airbnb après celle lancée par l’UMIH en 2018. Ils rappellent que notre métier est un métier de service qui nécessite une présence 24/24 pour nos clients et nous respectons des règles de sécurité strictes (incendie, hygiène, accessibilité). Dans l’hôtellerie, nous investissons pour l’avenir aussi, en formant nos jeunes, en créant des emplois et en payant nos impôts. Les plateformes ne jouent pas le jeu, au détriment des clients ! » - Eric Abihssira, vice- président confédéral de l’UMIH
« Nous ne sommes pas contre les plateformes mais les conséquences du non-respect de la loi française dépassent aujourd’hui la seule concurrence déloyale contre l’hôtellerie. La plateforme est en train de créer une dérégulation totale du marché locatif et amplifie la crise du logement que nous vivons. Les professionnels de l’hôtellerie-restauration sont en première ligne : on ne peut plus loger nos salariés, tout particulièrement les saisonniers ! » - Véronique Siegel, présidente UMIH hôtellerie« De très nombreuses décisions de justice rendues ces dernières années ont permis de révéler qu’AIRBNB avait sciemment laissé des annonces illicites sur sa plateforme, laissant croître une offre touristique illicite et faussant le jeu de la concurrence. Ce combat s’inscrira dans la lignée des nombreux combats gagnés contre la plateforme AIRBNB et les hôtes violant la loi. » - Jonathan Bellaïche, fondateur du cabinet GOLDWIN, avocat historique de la lutte contre les agissements illicites commis sur la plateforme AIRBNB
Chiffres Clés du Secteur Hôtelier et des Plateformes de Location
En France, le secteur hôtelier se distingue par les chiffres suivants :
- Nombre d'hôtels : Le pays compte un total de 17 405 établissements hôteliers, parmi lesquels 13 428 sont officiellement classés.
- Capacité d'accueil : Ces hôtels offrent au total 651 944 chambres à travers le territoire français.
- Présence sur les plateformes de location : Le nombre d'annonces disponibles sur les plateformes de location atteint 1,5 million, soulignant l'ampleur de l'offre alternative dans le secteur touristique.
- Taxe de séjour annuelle (2019) : Le montant total de la taxe de séjour reversée s'élève à 502,98 millions d’euros, représentant une source significative de financement pour les collectivités locales en charge du développement touristique.
- Impact d'Airbnb : En 2022, Airbnb a reversé 148 millions d’euros au titre de la taxe de séjour, reflétant son influence croissante dans le paysage de l'hébergement touristique en France.
- Pour un hôtelier : La marge nette avant impôts est généralement estimée entre 5% et 10%, prenant en compte les coûts fixes élevés associés à la gestion d'un établissement hôtelier.
- Pour un hôte Airbnb : En revanche, les hôtes Airbnb bénéficient d'une marge nette avant impôts bien plus élevée, oscillant entre 60% et 70%, grâce à un modèle économique basé sur la mise en location de biens immobiliers sans les coûts fixes liés à l'exploitation d'un hôtel traditionnel.
Maître Jonathan Bellaïche, du cabinet GOLDWIN, apporte des précisions :
"C'est la première fois en France, et je dirais même dans le monde, qu'une action en justice est menée par des acteurs économiques sur tout un territoire national. Bien sûr, parmi les grandes villes concernées, vous avez Nice, Strasbourg, Cannes, Avignon, Biarritz, Limoges, Mâcon. Il faut savoir que tous les hôteliers français sont impactés par des faits de concurrence déloyale de la part de la plateforme Airbnb. Dans le cadre de cette action, nous demandons un montant total de 9,2 millions de dommages et intérêts pour ces 26 hôteliers.
Il y a une obligation pour les hôtels qui proposent à la location leurs meublés de tourisme de les enregistrer dans certaines communes où le numéro d'enregistrement est obligatoire. On a pu constater que la plateforme individuelle ne figurait pas et ne laissait pas figurer sur certaines annonces le numéro d'enregistrement dans les communes où c'est obligatoire. Ces numéros d'enregistrement permettent aux collectivités de contrôler les plateformes de location.
Airbnb a été reconnu comme étant un éditeur de contenu dans le cadre d'une jurisprudence du 5 juin 2020. Un éditeur de contenu a une obligation de vigilance dans la société de l'information. Les hébergeurs de contenus ne sont responsables que s'ils ont connaissance des contenus illicites. Sur Twitter par exemple, lorsqu'il y a des propos racistes, homophobes ou xénophobes, Twitter n'est pas responsable sauf s'il est notifié et laisse sciemment ces contenus. Pour Airbnb, lorsqu'une annonce est publiée, le nombre de directives et de contrôles exercés sur le contenu éditorial de la plateforme fait qu'elle a été confirmée comme éditeur de contenu par la Cour d'appel de Paris, et non comme hébergeur. Donc, elle n'est pas irresponsable lorsque des contenus illicites sont présents sur sa plateforme.
Les hôteliers attaquent de manière indépendante. Chacun des hôteliers a constaté des faits propres, très récents. Aujourd'hui, 28 hôteliers ont constaté des délits. Lorsqu'on a demandé à Airbnb des justificatifs prouvant que les personnes avaient le droit de louer leur appartement, nous n'avons eu aucun retour.
Nous avons mené cette action avec 26 hôteliers répartis sur tout le territoire français mais rien ne dit que d'autres hôteliers ne nous rejoindront pas. Les hôteliers sont généralement des indépendants ou des groupes. Si nous devions intégrer tous les hôteliers parisiens victimes de concurrence déloyale, cela prendrait beaucoup plus de temps.
Si nous en venons à saisir les tribunaux, c'est qu'il n'y avait pas d'autres options. Airbnb a toujours contesté les réglementations contraignantes, au niveau français et européen, notamment sur le changement d'usage.
C'est une question économique et politique. Les répercussions économiques varient en fonction des zones en France. Certaines collectivités, en fonction de leur orientation politique, peuvent voir la réglementation comme antilibérale. Il y a un problème majeur de logement en France, notamment à cause de l'augmentation des taux d'intérêt.
Les collectivités doivent prendre en compte les intérêts des habitants. Le phénomène de concurrence déloyale a un impact identitaire et culturel sur les villes. Le tourisme existe parce qu'il y a une culture et une identité. Si les habitants désertent, il n'y aura plus de tourisme. Il y a une prise de conscience politique. Si on continue dans cette voie, il n'y aura plus rien pour servir le tourisme."
Eric Abihssira, Vice-Président Confédéral de l’UMIH, aborde la problématique du logement en France :
"Aujourd'hui, nous avons un problème de logement, notamment pour les saisonniers. Par exemple, en métropole, sur une saison de plus en plus longue, cela touche les actifs et crée un véritable problème.
La petite ville de Villefranche-sur-Mer voit disparaître ses fonctionnaires et son tissu économique en raison de la demande croissante sur Airbnb. Ce phénomène attire principalement des investisseurs qui ont massivement investi, et non plus seulement des particuliers louant leurs logements pour arrondir leurs fins de mois ou partir en vacances.
Aujourd'hui, nous constatons qu'en métropole, un tiers des locations sur Airbnb concerne des investisseurs. À Nice, par exemple, la location moyenne est de 208 jours par an, dont deux tiers sont des sous-locations. Véronique Siegel, présidente UMIH hôtellerie, explique que l'on ne veut pas faire du tourisme de masse. Cela explique aussi la réaction des maires qui s'emparent désormais du dossier, ce qui n'était pas le cas les années précédentes.
Le problème de logement en France nuit également à l'attractivité de nos métiers. Nous ne sommes pas capables de proposer une offre de logement décente à nos collaborateurs, ce qui impacte fortement notre secteur. Cela a un impact social majeur, exacerbant la disproportion entre logements pour actifs et logements touristiques, qui rapportent des revenus plus conséquents.
Il y a encore quinze ans, les propriétaires préféraient louer à des étudiants. Aujourd'hui, ils privilégient les locations touristiques, en raison de la montée exponentielle et astronomique de ce marché au cours des trois dernières années. Sur Paris, selon l'Observatoire, il y a 38 900 logements meublés touristiques.
Pour illustrer la typologie des hébergements, nous parlons de T1, T2, c’est-à-dire de logements qui, pour Airbnb, représentent 13 000 logements mais équivalent à 26 100 lits d'hôtel. Cela démontre l'ampleur du phénomène.
Autour de moi, sur une trentaine de logements Airbnb, beaucoup ne sont pas enregistrés. Cela crée une concurrence déloyale face à un hôtel de 60 chambres, qui respecte les règles. Il est essentiel de prendre en compte ces proportions pour comprendre les défis auxquels nous faisons face. Je souhaitais vous apporter ces précisions pour mieux appréhender la situation actuelle et ses enjeux pour notre secteur."
Déclaration de Airbnb à la suite de l'assignation
o Enregistrement - Airbnb a créé un champ dédié au numéro d’enregistrement. Ce champ est obligatoire pour les hôtes dans toutes les villes ayant mis en place l’enregistrement obligatoire, soit environ 300 actuellement. La plateforme continuera à déployer ce dispositif dans toutes les villes qui voteront l'enregistrement.
o Communication de données - Conformément à la loi française, Airbnb transmet également aux villes qui ont mis en place l’enregistrement et qui en font la demande, une fois par an, des données détaillées sur l'activité de tous ses utilisateurs (noms, adresses, revenus des hôtes sur la plateforme, etc.). Airbnb transmet également des données liées à la taxe de séjour à toutes les villes, deux fois par an.
o Plafonnement à 120 jours - Dès 2019, Airbnb a mis en place le blocage automatique des calendriers à 120 nuits annuelles pour les résidences principales dans les villes où l'enregistrement est obligatoire. C'est désormais le cas dans environ 300 communes françaises.
o Collecte et reversement automatique de la taxe de séjour - La plateforme collecte et reverse aux municipalités deux fois par an la taxe de séjour pour le compte des hôtes, permettant de générer de nouvelles sources de revenus pour les territoires tout en facilitant le travail des villes. Fin 2023, Airbnb a reversé plus de 187 millions d’euros de taxe de séjour aux communes françaises pour le compte des hôtes.


Union des Métiers de l'Industrie de l'Hôtellerie (UMIH)
Administration / Collectivités
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