Plusieurs sujets s’entrechoquent depuis quelques mois autour des vertus ou des méfaits de la location saisonnière. Pour certains élus locaux, c’est un fléau qui soustrait au marché locatif traditionnel des milliers, voire centaines de milliers, d’appartements de centre-ville, créant nuisances et pénuries. Pour d’autres, au contraire, et notamment dans les stations de montagne et certaines du littoral, c’est la base même de l’offre d’hébergement touristique, représentant plus de la moitié, voire les deux-tiers du parc à destination des voyageurs.
D’un côté, les édiles de grandes municipalités poussent les parlementaires à limiter l’intérêt de la location saisonnière en rabotant les périodes de location et les avantages fiscaux accordés aux propriétaires. Ils agissent au nom de la lutte contre le surtourisme, pour la protection des locataires longue durée et pour la justice fiscale.
De l’autre côté, les élus des territoires touristiques ruraux et littoraux multiplient les mises en garde et pressent aussi fortement leurs parlementaires de préserver le stock de logements disponibles à la location et la mise en marché de lits touristiques qui autrement resteraient désespérément froids.
Résumé de manière un peu caricaturale, c’est un match Hildalgo/Saint-Malo versus ANMSM, Anem et Anett qui se joue autour du Sénat et de l’Assemblée nationale, avec l’AToP, les syndicats hôteliers et ceux de la location meublée qui s’activent fortement en coulisse.
Et comme si cela ne suffisait pas au trouble des stations touristiques, la menace d’une application stricte de la loi DPE sur les passoires thermiques apporte une tension supplémentaire. De fait, si la loi sur la Performance Énergétique des Bâtiments (DPE) est appliquée rigoureusement, exigeant une mise aux normes rapide des logements en montagne pour pouvoir les mettre en location, cela entraînerait à court terme des coûts supplémentaires pour les propriétaires qui pourraient renoncer à louer leur bien ou en augmenter les tarifs pour les locataires.
Un délai de 5 ans supplémentaire pour traiter les passoires thermiques en montagne
Les élus de montagne, avec leurs collègues des autres associations territoriales, ont sollicité le report des échéances. De ce côté, les parlementaires semblent les avoir entendus en modifiant le calendrier pour le rendre plus réaliste avec un délai de dix ans au lieu de cinq sur la classe D. En revanche, la montagne attend toujours la prise en compte des spécificités de son immobilier d'altitude hérité des grands développements des années 1970. Par ailleurs, les élus dénoncent un plan Avenir Montagne 2, instauré par Jean Castex en sortie de crise Covid, regrettant qu’il ne pas soit fléché vers la réhabilitation des hébergements touristiques.
Chaque semaine apporte son lot de nouvelles décisions, contentant les uns, énervant les autres. Le ministère de la Transition écologique a bien voulu réviser son décret avec la correction du mode de calcul de l’indice thermique des petites surfaces. Mais c’est largement insuffisant clament les élus des territoires de montagne.
Le Sénat propose sa version remaniée d'une loi de régulation de la location meublée
Une première proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale a été repassée au peigne fin par les élus du Sénat qui ont adopté le nouveau texte à la quasi-unanimité. Il devrait désormais servir de base aux nouvelles pratiques de location saisonnière, sous réserve de modifications de dernière minute apportée par la Commission Mixte Paritaire impliquant à nouveau les élus de l’Assemblée nationale.
Se voulant un texte d’équilibre entre la volonté des grandes villes de s’attaquer à la surabondance des locations saisonnières et celle des stations plus rurales qui veulent les protéger, la proposition de loi soulève déjà des protestations de toutes parts.
Les sénateurs ont abordé deux sujets majeurs, la régulation de la pratique de la location saisonnière en volume et en durée ; et l’uniformisation de la fiscalité entre les différentes formes de location.
Symboliquement l’intitulé du texte de loi a changé, car il ne s’agit plus de régler le problème du logement en France mais plutôt de « renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale ».
Une véritable boite à outils pour les élus locaux
La première série de mesures se veut une "boite à outils" de régulation des meublés de tourisme à destination des élus locaux :
- D’abord pour qu’ils mettent en place systématiquement la déclaration d’enregistrement des logements en location, avec un pouvoir de suspension des numéros de déclaration en cas de fausse déclaration ou lorsque le meublé est visé par un arrêté de péril ou est un logement social.
- Ensuite qu’ils puissent décider de quotas d'autorisations temporaires de changement d'usage, et déterminer des zones où les constructions nouvelles de logements sont dédiées à l'usage de résidence principale.
Les sénateurs ont aussi étendu le périmètre des communes pouvant mettre en œuvre le régime d'autorisation préalable au changement d'usage.
De plus, le propriétaire du meublé touristique doit attester d’un niveau de sécurité incendie et électrique minimal.
L’option est laissée aux élus locaux d’abaisser à 90 jours par an le plafond de location d’une résidence principale en tant que meublé touristique. C’est déjà une volonté manifestée à Paris par la Maire, Anne Hidalgo.
Baisse drastique des avantages fiscaux mais pas pour les meublés classés
Le deuxième volet fiscal vise à limiter drastiquement l’ancienne niche fiscale pour les investisseurs et à harmoniser les abattements (30% au lieu de 50% pour les particuliers et 71% pour les loueurs professionnels) et les plafonds quel que soit le mode de location, dès lors qu’un propriétaire met son bien meublé à disposition de clients touristiques ou non.
En revanche, la proposition de loi maintient des avantages supplémentaires pour les meublés classés, pour encourager la montée en gamme, et dans certaines communes situées dans des zones peu denses ou en montagne, pour encourager la mise en marché de meublés utiles à la dynamisation touristique. L’abattement de 50% est préservé avec un plafond de 77 700 euros de revenus annuels.
Les hôteliers déboutés et dépités mais déterminés à poursuivre leur combat
Le texte définitif n’est toujours pas adopté par les deux chambres mais suscite déjà de réactions épidermiques. Les syndicats de la location saisonnière dénoncent toutes les mesures restrictives, voulant absolument démontrer qu’il ne résout pas le problème du logement en France. En revanche, la loi pourrait affaiblir la capacité française à accueillir les touristes français et étrangers.
De son côté l’AToP et les syndicats hôteliers protestent contre le maintien des niches fiscales, quels que soient leurs pourcentages au titre de la distorsion de concurrence. Déboutés de leur recours par le Conseil d’État, ils n’ont pas renoncé à poursuivre le combat sur le fond.