Airbnb, un acteur toujours plus disruptif ?

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Publié le 14/06/19, mis à jour le 17/03/22

Airbnb Adventures

Le géant du homesharing tisse des partenariats ici et là, et ce bien au-delà du secteur de l’hébergement traditionnel. La plateforme s’étend, se diversifie et s’intensifie dans le monde du tourisme.

Un historique mouvementé pour une entreprise de seulement onze ans. C’est le premier constat que l’on peut faire sur cette enseigne méconnue il y a quelques années et sur toutes les lèvres aujourd’hui. Qu’elle soit adulée ou controversée, personne n’ignore l’existence de cet acteur qui a bouleversé l’univers de l’hébergement. Il y a un an il intégrait les hôteliers qu’il concurrençait la veille en leurs permettant d’être présents sur le site de réservation. Aujourd’hui, il entend toucher d’autres domaines, comme les expériences, qu’elles soient culturelles ou alternatives. Petit bilan de ce géant de l'économie collaborative.

Rappelé à l’ordre par la loi

Premier fait marquant, le décret Airbnb oblige les loueurs de meublés touristiques à acquérir un numéro d’enregistrement auprès de la mairie de certaines communes qu’ils doivent laisser apparaître sur leurs annonces depuis le 1er décembre 2017. Egalement, la location est limitée à 120 jours maximum. Des villes comme Paris, Nice, Lyon et Bordeaux ont appliqué ce décret en mettant en place un site pour déclarer la location de ces biens, ceci dans le but sous-jacent de contrôler le nombre de logements mis en location via Airbnb ou toute autre plateforme.

Ce dispositif apportera une meilleure visibilité et un meilleur pilotage de l’offre touristique de la ville. Il permettra de réguler l’explosion de la location meublée à Lyon et ses conséquences sur les équilibres sociodémographiques de la ville. Enfin, il garantira une transparence totale pour la collectivité sur ces locations. (Laurent DUC, président régional de l'UMIH)

Cela n’empêche pas que 4 annonces sur 5 soient illégales à Paris. C’est pourquoi les tribunaux ont imputé plus de deux millions d’euros d’amendes à des propriétaires de la capitale en 2018. Le Vème arrondissement serait le plus touché, où 357K € de pénalités auraient été distribuées, suivi du VIIIème à hauteur de 228K €, du IVème pour 212K € et du IIème pour 178K €. A l’opposé, trois arrondissements n’auraient pas reçu de locations illégales : le XIVème, le XIXème et le XXème. Un total de 1 000 annonces de logements qui n'ont pas été déclarés à la mairie et qui ont été identifiés ont amené la ville de Paris à attaquer en justice la firme américaine pour lui réclamer 12,5 millions d'euros, conformément à la loi Elan adoptée fin 2018.

 

Afin de contourner ces solutions quelque peu contraignantes et rébarbatives pour leurs clients, Airbnb s’est arrangé avec Century 21. Les deux acteurs ont imaginé un « Bail Century21 Airbnb-compatible » qui pourra être proposé dès la rentrée dans 852 agences du réseau de l’agence immobilière. L’idée est de faciliter l’obtention de l’aval du propriétaire, condition sine qua non pour pouvoir mettre le bien en sous-location sur la plateforme. Fondé sur un partage de revenu, ce nouveau dispositif permettra d’ouvrir plus largement la location meublée touristique en se basant sur un contrat officiel. L’agence, qui a la responsabilité de la mise en ligne de l’annonce et de toutes les démarches administratives qui s’en suivent, percevra 7 % du montant de la location. Le locataire de son côté recevra 70 % et le propriétaire 23 %.

Mais parfois la loi ne peut être contournée. Par exemple la société a dû se plier à la législation en matière de taxe de séjour. Depuis le 1er juillet 2018, Airbnb collecte la taxe de séjour non plus dans 50 mais dans 23 000 communes de France. La somme est ensuite reversée aux collectivités concernées.

Airbnb collecte la taxe de séjour sur les réservations effectués sur Airbnb dans toutes les villes qui ont instauré une taxe de séjour au réel et qui ont renseigné leurs tarifs auprès de l’Administration fiscale (DGFIP). Cette taxe est collectée au nom des hôtes et reversée en leur nom une fois par an à la commune (source : Airbnb)

Certaines poursuites contre le géant du homesharing n’aboutissent pas toujours cependant. Des hôteliers ont attaqué en justice Airbnb suite à une plainte déposée en 2017 par l’Association pour un hébergement et un tourisme professionnel (AHTOP). L’argument, qui se basait sur une concurrence déloyale au regard de la loi Hoguet sur les règles de la profession d’agent immobilier, a été rejeté par l’avocat général de la Cour de justice de l’UE (CJUE). En cause : le siège irlandais d’Airbnb s’est défendu en insistant sur le fait que son activité ne s’apparenterait pas au métier d’agent immobilier mais bien plutôt à « un service de la société de l’information » puisque la plateforme « n’exerce pas de contrôle sur les modalités essentielles ». La décision finale sera donnée par les juges de la Cour basée à Luxembourg dans les trois prochains mois.

Une stratégie d’intégration horizontale

En parallèle de son cœur d’activité, la plateforme de location saisonnière se diversifie. Elle s’est ainsi étendue aux acteurs hôteliers en 2017, avec des contrats signés avec Le Collectionneur et SiteMinder, ou encore Availpro, plateforme de distribution hôtelière en ligne détenue par Accor.

Initialement développé en tant que channel manager très puissant, Availpro donne à nos clients hôteliers l’accès à des centaines de canaux dans de nombreux pays. Au fur et à mesure que les temps changent, notre technologie évolue également pour offrir aux hôtels indépendants le meilleur des outils de distribution en ligne de demain (Antoine Buhl, CTO chez Availpro)

Notre groupe distribue des chambres sur le site Internet d’Airbnb depuis début 2017. Ils ont mis en place un système qui fonctionne bien. Ainsi, alors que le marché évolue, il est crucial de s’adapter et d’unir nos forces […] Financièrement, cela nous permet d’atteindre une cible plus large qui réserve souvent pour des séjours plus longs (Laurent Rozenbaum, Directeur du Revenu du Groupe Hôtels en Ville)

Secteur croissant dans son activité, elle cherche à attirer davantage d’hôtels, selon son plan d’action annoncé l’an dernier où elle prévoyait de s’étendre à d’autres solutions d’hébergement comme les maisons de vacances, les B&B et les boutique-hôtels. Elle impose désormais des frais de commission réduits pour les hôteliers distribués sur Airbnb, à hauteur de 12%. Une attaque frontale aux autres sites de réservation comme Expedia ou Booking.com qu’elle souhaite concurrencer.

En d’autres termes, l’entreprise américaine commence à marcher sur les plates-bandes d’à peu près tout le monde : hôteliers, plateforme de distribution hôtelière, de transport (aérien, etc.) et dernièrement, sites de réservation d’activités comme TripAdvisor en proposant une offre de produits expérientiels, à l’image de ce qui est présent sur ce dernier. En misant sur ses ressources principales à disposition, à savoir une plateforme support à l’algorithme puissant, son modèle économique s’applique absolument à tous les domaines de l’industrie du voyage. Nous pourrions presque parler d’économies de champ à ce stade. Airbnb révèle en effet une véritable intégration horizontale du marché touristique.

A titre d’exemple, la société vient d’annoncer son tout dernier produit, Airbnb Adventures. En prolongement d’Airbnb Experience inauguré en 2016, qui était une option pour « permettre aux gens de partager leurs passions et leurs talents » à leurs invités payants, Airbnb Adventures va plus loin puisqu’il s’agit de solutions globales de séjours de 2 à 10 jours concoctés de A à Z par les hôtes. Le séjour comprend donc l’hébergement, la nourriture et les activités, sur des thèmes particuliers, avec un prix de départ de 99 USD tout compris.

Airbnb Adventures est une nouvelle collection d'expériences de plusieurs jours organisées par des experts locaux qui emmènent des groupes intimes dans des lieux épiques, hors des sentiers battus, et les plonge dans des cultures et des communautés uniques. Vous pouvez maintenant profiter d'un safari de six jours aux Galápagos Slow Food Safari, découvrir les merveilles d'Oman ou camper sur une falaise du Colorado - tout ce que vous avez à faire est de vous montrer (source : Airbnb)

Des coups de com’ qui font mouche

Après la cabane d’Hagrid disponible en chambre d’hôte, la cabane de Tony Stark (Iron Man) arrive sur Airbnb pour 335 USD la nuit. L'information a été relayée par les fans pour leur plus grand plaisir. A plus grande échelle, Airbnb a organisé un jeu concours pour gagner une nuit offerte dans le musée du Louvre privatisé à l'occasion des 30 ans de la pyramide de Pei. 182 000 clients d’Airbnb auraient participé. Les gagnants, une jeune étudiante en histoire de l’art, Daniela, et son partenaire, ont profité de l’expérience insolite le 30 avril. Outre une occasion de remettre la société californienne sous les projecteurs, il s’agissait surtout d’un teaser pour annoncer le partenariat qu'Airbnb a noué avec le Louvre, qui, comme le rappel un communiqué, « s'étend au-delà de l'heureux gagnant du concours et de son invité » puisque « de mai à la fin de l'année, une série d'Expériences exceptionnelles au musée pourra être réservée sur la plateforme Airbnb. Ces Expériences, dont la programmation sera dévoilée dans quelques jours, permettront à tous de redécouvrir le musée le plus célèbre du monde sous un angle totalement nouveau, avec des visites exclusives et des concerts intimes ».

Gagnants concours Louvre

Mais cette opération a été très critiquée par certains. « Nous ne savons pas ce que cela a rapporté au Louvre. Ce type de partenariat n’est pas évoqué au conseil d’administration. Mais en termes d’image, pour le musée, c’est déplorable » rapporte une syndicaliste au cours d’une manifestation contre Airbnb qui s’est tenue sur le parvis du musée le 7 juin dernier. Cette opération avait pour but de « dénoncer le partenariat que le musée du Louvre a conclu avec une entreprise prédatrice », comme l’explique Jean-Baptiste Eyraud, responsable de DAL (Droit au logement), l’association organisatrice de ce rassemblement.

Plus récemment encore, Airbnb a annoncé un autre partenariat, avec la société 23andMe. Celle-ci est spécialisée sur les tests génétiques à domicile. L’idée de cette alliance est de faciliter la création de voyages généalogiques pour les clients de la plateforme, « Airbnb et 23andMe s'associent pour faciliter plus que jamais les voyages vers vos racines » scande comme un slogan la société. Une alliance très stratégique et pragmatique puisque le client de l’un pourra réserver un logement dans la ville d’où viendraient ses ancêtres sur la plateforme de l’autre. Bien plus encore, la personne aura la possibilité de trouver et de réserver des activités en lien avec le passé de ses aïeux dans cette même ville visitée. L’entreprise se rapproche ainsi d’un modèle de voyage tout intégré, en maîtrisant le séjour d’un bout à l’autre de sa production.

Heritage Travel Airbnb

Un dernier coup de marketing spectaculaire a dernièrement débarqué. Airbnb vient d’annoncer son Tour du monde en 80 jours, en référence à l’auteur de romans fantastiques français Jules Vernes, pour marquer le lancement de son nouveau produit expérientiel, Airbnb Adventures. A l’instar de l’aventure du protagoniste anglais, les « invités » parcourront 18 pays à travers 6 continents.

Les invités s'embarqueront pour un voyage épique depuis Londres. Partant le 1er septembre 2019, cette incroyable aventure cherche à satisfaire chaque centimètre de désir de voyage : des glaciers aux volcans, des montagnes au désert, des péniches aux yourtes, des montagnes aux eaux vives, comme toutes les Aventures Airbnb, ceci a été conçu pour présenter aux invités des merveilles naturelles, des cultures et des communautés qui sont difficiles à atteindre par leurs seuls moyens (source : Airbnb)

Reste à voir comment la société compte obtenir en temps record la totalité des visas nécessaires à la visite des différents états pour chacun des voyageurs, sachant que les conditions d’obtention diffèrent en fonction de la nationalité du touriste.

Mais un manque de contrôle, source d’insécurité

Jusqu'à maintenant la plateforme entretient un lien plutôt distancié avec ses hôtes. Aucune vérification des locaux n'est effectuée, aucune garantie de mise aux normes du logement pour les clients n'est apportée. La plateforme propose certes des cessions de formation à la sécurité pour les loueurs, dans lesquels interviennent hôtes et experts locaux, et donne gratuitement des détecteurs de fumé et de monoxyde de carbone, mais en l'absence d'un contrôle réglementé des logements, aucune sécurité n'est assurée. C'est ainsi qu'un drame est arrivé le mois dernier à Santiago Du Chili, en Amérique du sud. Un détecteur de gaz n'aurait pas été vérifié dans un appartement loué sur Airbnb. Celui-ci aurait dysfonctionné, causant la mort de six touristes brésiliens, en séjour dans la capitale chilienne, par intoxication au monoxyde de carbone. 

Mais le manque de vérification des installations des logements n’est pas la seule carence de la société américaine. En matière de protection de vie privée, celle-ci pêche aussi. Des touristes en Irlande en auraient fait les frais, comme le rapporte le Financial Times. Ceux-ci ont découvert « une caméra cachée dans un détecteur de fumée, qui semblait enregistrer et diffuser en direct ce qui se passait dans le logement ». Comme seule mesure, la plateforme, après avoir présenté des excuses à la famille, a retiré l’annonce du logement en question. Mais compte tenu d’un vide juridique dans son règlement, Airbnb n’a pu poursuivre l’hôte en justice puisque « l’entreprise n’avait apparemment pas de politique claire à ce sujet ». Aux Etats-Unis, la loi est claire : aucune caméra n’est autorisée dans les chambres d’hôtel. Le problème est qu’Airbnb n’est pas soumise à la législation concernant l’hébergement marchand.

Autre problème du côté loueur cette fois ci, le manque de garantie du respect du logement par les visiteurs. Plusieurs cas de dégradations graves ont été signalés à Airbnb. Il y a par exemple le cas en janvier dernier d’une riche propriété évaluée à 1,3 millions d’euros dans le quartier chic de Londres, Kensington. Sa propriétaire, qui louait son bien régulièrement et sans incident jusqu’ici, se réveilla en pleine nuit à cause du tapage nocturne engendré par une fête organisée par la locatrice des lieux. Les centaines d’invités (qui n’étaient pas prévus) auraient endommagé le logement à hauteur de 870 000 euros. Or Airbnb, qui assure l’existence d’une « Garantie Hôte », disant couvrir les « dommages matériels jusqu'à 800 000 € pour chaque hôte et chaque logement. Sans frais supplémentaire », ne va pas au-delà de ce montant. Une couverture insuffisante pour réparer les dégâts causés par cet incident. L’« Assurance Hôte » qui consiste en une « assurance responsabilité civile à hauteur de 800 000 € en cas de poursuites engagées par un tiers pour préjudice corporel ou dommage matériel » est trop limitée pour pouvoir garantir une réelle compensation et la sécurité des biens pour le loueur.

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