S’il appartient au salarié d’établir la matérialité des faits qu’il invoque, les juges doivent quant à eux appréhender ces faits dans leur ensemble et rechercher s’ils permettent de présumer l’exigence du harcèlement allégué. En ce cas alors, il revient à l’employeur d’établir qu’ils ne caractérisent pas une situation de harcèlement.
Récemment, à travers plusieurs arrêts distincts, la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé le contour de la notion d’harcèlement moral et réparti les rôles entre le juge du fond, l’employeur et le salarié. Dans le premier arrêt, les Hauts magistrats de la Cour de cassation évoquent que les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique peuvent constituer du harcèlement moral managérial. En l’espèce, il s’agissait d’un directeur d’établissement qui soumettait ses salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre-ordres dans l’intention de diviser l’équipe. Le harcèlement se traduisait par la mise à l’écart de certains salariés, un mépris affiché à leur égard, une absence de dialogue caractérisée par une communication par l’intermédiaire d’un tableau. Cette méthode de gestion a entrainé chez un des salariés un état très dépressif.Enfin, la Haute juridiction précise dans son communiqué que l’ensemble de ces décisions constitue « les règles méthodologiques que les jugent doivent suivre dans la recherche de la preuve de l’existence d’une situation de harcèlement dans l’entreprise”.La Cour d’appel a retenu que ces agissements répétés portaient atteinte aux droits et à la dignité du salarié et altéraient sa santé. Elle a ainsi caractérisé un harcèlement moral, quand bien même le gérant de l’entreprise aurait pu prendre des dispositions en vue de le faire cesser.Dans sa décision rendue le 10 novembre 2009, la Haute Cour de justice a confirmé l'analyse de la Cour d'appel en retenant que “[…] peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elle se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel […]” (n° de pourvoi 07-45.321).Dans le second arrêt, les Hauts magistrats énoncent qu’il n’y a pas à tenir compte de l’intention de l’auteur des agissements de harcèlement moral pour que celui-ci soit constitué.En l’espèce, une salariée saisit la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire pour harcèlement moral. La Cour d’appel retient que les agissements dont elle se plaignait ne pouvaient être considérés comme des agissements répétés de harcèlement moral et s’inscrivaient dans l’exercice du pouvoir de direction de l’employeur, tant qu’il n’était pas démontré par la salariée qu’ils relevaient d’une démarche gratuite, inutile et réfléchie destinée à l’atteindre et permettant de présumer l’existence d’un harcèlement.La Cour de cassation censure cette décision. Elle considère que le harcèlement moral, tel qu'il est défini par l'article L. 1152-1 du Code du travail, est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.Dans une autre affaire, une salariée fait état de pressions et de méthodes indignes de la part de son employeur, en invoquant une modification de son secteur d'intervention rendant sa tâche plus difficile et des pressions exercées sur elle afin de provoquer son départ de l'entreprise. Au vu des éléments établis par la salariée, les juges ont constaté une dégradation des conditions de travail de la salariée, ayant conduit à une altération de sa santé. Dans sa décision rendue le 10 novembre 2009, la chambre sociale de la Cour de cassation ont considéré que la salariée, s'estimant victime de harcèlement moral, a établi les faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement alors que l’employeur n'a pas démontré que les mesures prises à l'encontre de la salariée étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (pourvoi n° 07-42793). En conséquence, les Hauts magistrats ont jugé que l'employeur a bien manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.Ainsi, la Haute juridiction retient que “le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel» (arrêt n° 08-41.497 du 10 novembre 2009).