Experte du marché hôtelier depuis plus de vingt ans, Sylvie Bergeret accompagne des investisseurs à travers des études d’implantation, de faisabilité ou de repositionnement. Le département Études travaille également étroitement avec les territoires pour élaborer des schémas de développement hôtelier. A ce double titre, elle a une vision très précise de l’état des lieux et de la situation des différents acteurs, qu’elle partage avec nous.
Compte tenu des conditions actuelles, quelle est votre vision de l’investissement hôtelier ?
Je dirais que le marché est plutôt favorable, si l’on considère un aspect essentiel qui est celui des niveaux de transactions. On voit que l'hôtellerie est la seule classe d'actifs qui s'en sort bien aujourd'hui. Toutes les autres classes sont en assez grande difficulté.
Vous parlez essentiellement des commerces et des bureaux…
Effectivement dans le commerce de détail on parle encore de plusieurs liquidations d’enseignes et si le marché dans les centres commerciaux tient encore à peu près la route, tout le reste s’écroule. La situation est encore plus négative sur le marché de l’immobilier de bureaux. Finalement, dans ce contexte l'hôtellerie fait un petit peu figure de bulle, notamment parce qu'elle a montré sa résilience après la sortie de crise, alors qu'au départ tout le monde a pensé qu’il n’y aurait plus personne dans les hôtels.
Est-ce que cela a suscité de nouvelles vocations d’investisseurs ?
Ceux qui connaissaient déjà l'hôtellerie sont restés et ceux qui ne connaissaient pas bien le secteur se sont dit « ça vaut peut-être le coup le coup d'y aller ». Sur les dernières périodes, il y a de plus en plus d'acteurs qui étaient, au départ, spécialisés plutôt dans l'immobilier de bureaux ou commercial, qui ont cherché à se désengager pour aller vers l'hôtellerie. Quand, au pire moment de la crise, les valeurs sur le bureau se dépréciaient de 40%, on a rarement dépassé 10-15% dans l’hôtellerie. De plus, ces nouveaux acteurs ont découvert la notion de fonds de commerce associée à l’hôtellerie qui est une seconde option pour créer de la valeur en plus des murs. Cela a orienté la nature des transactions sur les actifs qui privilégient le lien murs et fonds.
C’est votre appréciation sur le marché français, est-ce qu’on retrouve une situation similaire ailleurs en Europe par exemple ?
Oui à quelques nuances près, la situation est sensiblement la même dans les principaux pays européens.
Face à ce sursaut des investisseurs, l’offre est-elle aussi comparable ?
Nous arrivons dans un changement de cycle avec pas mal d’hôtels qui ont été construits dans les années 80 par le propriétaire exploitant ou par des investisseurs-franchisés qui ont la tentation de céder leurs établissements. Soit parce qu’il n’y a pas de seconde génération pour reprendre l’exploitation, soit parce qu’il y a la tentation de valoriser le patrimoine.
Pour autant, cela reste un marché de vendeurs qui ne bradent pas leurs biens. D’autant, que des investisseurs-opérateurs sont à l’affut des hôtels dégradés pour les redynamiser, investir dans de lourdes rénovations et leur donner une seconde vie. Ils sont assez nombreux sur ce créneau car il est plus facile aujourd’hui de partir de l’existant que de créer une nouvelle offre.
Effectivement, on vient d’aborder le marché des transactions sur des actifs existants, un marché important pour faire circuler les biens et inciter les investisseurs à en créer de nouveaux pour alimenter ce marché. Mais qu’en est-il de la promotion immobilière sur de nouveaux projets ?
Sur ce terrain, la situation est plus compliquée. Le marché de la promotion est pratiquement à l'arrêt. Les seuls projets qui sortent aujourd'hui ont été engagés avant la crise ou sont des projets très marquants qui bénéficient d’une conjonction exceptionnelle, en matière d’emplacement et de montage financier. Face à un marché de la transaction actif, les nouveaux investisseurs ne sont pas prêts à s’engager maintenant sur la création d’un d’hôtel qui ouvrira, au mieux dans trois ans, voire quatre ou cinq sur un prix qu’ils ne connaissent pas, sans connaître les conditions du marché ? D’autant que, même si cela s’améliore plutôt, les coûts de construction continuent de grimper et donc les promoteurs proposent aux futurs acquéreurs des prix variables.
Dans ces conditions, est-ce qu’il y a une catégorie d’investisseurs qui a davantage de moyens et qui pourraient profiter de la situation difficile des promoteurs ?
Plus qu’une question de personnes ou de nature d’investisseurs qui auraient davantage de disponibilités que les autres, c’est vraiment une question d’opportunité. Il y a encore quelques projets « incontournables », avec une localisation en cœur de ville sur lesquels les investisseurs et les opérateurs arrivent à se projeter et monter un business plan favorable. Encore faut-il surmonter la disponibilité foncière, les nouvelles contraintes règlementaires sur le bâti pour éviter l'artificialisation des sols et autres. Et encore une fois, les investisseurs sont sollicités par des projets plus accessibles, notamment la conversion de bâtiments existants.
On a pu voir effectivement une place plus importante dans le pipeline des groupes hôteliers accordée à la conversion plutôt qu’à la création. Est-ce une réponse évidente à la difficulté de faire sortir des projets neufs ?
C’est une réponse actuelle et opportuniste, mais ce n’est pas non plus le Graal du développement hôtelier. Pour convertir des bâtiments de bureaux en hôtels, il faut aussi qu’ils soient bien placés, que la disposition des espaces ne complique pas la conversion, que les autorités locales autorisent les conversions. Et puis, il faut prendre en compte le fait que c’est souvent l’existence même de ces bureaux, quand ils sont occupés, qui justifie la présence d’un hôtel pour accueillir la clientèle affaires. En caricaturant un peu, quel intérêt y aurait-il à convertir des tours de La Défense en hôtels s’il n’y a plus de clients pour les fréquenter ?
Vous avez évoqué les autorisations accordées par les autorités locales. D’une manière générale, est-ce qu’il y a une dynamique du côté des territoires pour développer leurs capacités d’accueil hôteliers et que font-ils pour le permettre si c’est encore le cas ?
Il y a plusieurs réponses à cette question. Oui, il y a encore des dirigeants locaux qui veulent dynamiser leur ville, leur métropole. On n’est plus dans la même situation qu’il y a quelques années où même des villes moyennes voulaient avoir leur 5 étoiles ou leur 4 étoiles. Les exigences sont devenues plus raisonnables et surtout les demandes ont évolué. Avant le Covid, il était davantage question de prestige et de réputation vis-à-vis d’une clientèle extérieure. Depuis, les municipalités qui poussent un projet hôtelier veulent qu’il s’inscrive dans la vie du quartier, qu’il participe à son animation avec de la restauration ouverte sur l’extérieur, voire des équipements qui dynamisent la vie de quartier. Cette notion de pied d'immeuble animé est très très importante pour les élus locaux.
Ces municipalités sont-elles prêtes à libérer ce foncier qui fait défaut, à lancer la création de nouveaux quartiers ?
Alors je dirai oui dans une certaine mesure mais avec plusieurs contraintes. On a évoqué déjà les nouvelles règlementations sur l’artificialisation des sols, mais il faut rajouter que les villes ne sont pas propriétaires de tout leur foncier. Elles dépendent largement de propriétaires privés et du bon vouloir des aménageurs. Elles doivent trouver un équilibre qui n’est pas toujours facile.
Est-ce qu’il y a encore des plans d’urbanisme comme celui de Paris d’il y a quelques années, Phase 1, 2 et 3 de Réinventer Paris avec la mise à disposition de terrains publics ?
Si on prend cet exemple de Paris, d’abord on arrive à la fin de cet épisode Réinventer Paris, et le bilan est plus mitigé. Certes, il y a eu de nouvelles réalisations en hébergement originaux, comme le complexe Morland avec le SO et The People. Mais, il y a eu aussi pas mal de sites gagnés par des promoteurs-investisseurs qui restent en friche. Je ne citerai pas de nom mais un certain nombre de projets hôteliers gagnés il y a cinq ans n’ont toujours pas démarré. Soit parce que le promoteur n’a plus les moyens de financer, soit parce qu’il n’a aucune garantie sur le niveau de loyer qu’il pourra escompter pour rentabiliser le projet.
Est-ce qu’il y a d’autres actions de la part des territoires pour relancer l’offre hôtelière ?
On constate pas mal de propositions de réhabilitation ou de revalorisation de bâtiments dont les villes sont propriétaires en centre-ville. Mais ce sont souvent des bâtiments assez complexes à convertir, un hôpital, une poste, un tribunal, une prison. Ce sont des projets qui vont naturellement coûter assez cher et il faut trouver la bonne combinaison entre l’investisseur et l’opérateur. Du coup, il n’y a pas tant de projets qui vont sortir.
On a beaucoup évoqué le rôle des promoteurs pour relancer les chantiers, est-ce qu’ils ont à ce point perdu leur motivation ?
Alors pas vraiment, on les sent au contraire prêts à relancer la machine. La plupart ont des projets dans les cartons avec les opérateurs pour les exploiter, mais ils ne peuvent se lancer sans avoir la certitude que la VEFA (Vente en état de futur achèvement – NDLR) va fonctionner pour qu’ils trouvent la sortie. C’est essentiel qu’une foncière prenne le relais en rachetant le bâtiment. En tant que cabinet de conseil, je peux vous assurer que nous travaillons sur de beaux projets qui tiennent bien la route, mais qui ne trouvent pas le relais du financement. Les investisseurs nous le disent clairement : pourquoi prendre le risque sur un projet à moyen, long terme quand je peux financer une conversion qui me donne un hôtel en exploitation plus rapidement ou racheter des hôtels déjà opérationnels.
Est-ce que ces dernières années, les projets hôteliers nouveaux, ceux qui voient encore le jour, ont beaucoup changé ? De nouvelles formes d’hébergement séduisent-elles davantage les investisseurs ?
Plus généralement on ressent une nouvelle dynamique de l’offre. Ce n’est pas tellement de nouveaux modes d’exploitation qui restent assez basiques, mais une nouvelle dynamique des services. La restauration a pris une place plus importante car elle fait partie de cette nouvelle offre. On parle pas mal du succès du co-living mais ce n’est jamais qu’une forme améliorée de la résidence hôtelière. Ce qui est vrai, c’est la prise de conscience qu’il faut élargir les niches. C’est la base des hôtels hybrides qui offrent des tailles de chambres différentes, pour des types de séjour différents. Les hôtels typiquement d’affaires veulent aussi offrir des services pour la clientèle loisirs, et inversement. La mixité est davantage présente dans les projets, mais je dirais que c’est une question de pragmatisme plus qu’un effet de mode. La mixité c’est aussi d’aller chercher plus largement sa clientèle dans son environnement immédiat.
Sur la plupart des marchés et c’est particulièrement vrai en France, les hôtels cherchent de plus en plus à s’adapter à leur environnement. L’hôtel n’est plus une île, c’est un lieu de vie du quartier.
Il y a aussi une dimension qui prend davantage de place, c’est la RSE. L’intégration du développement durable, de la responsabilité sociale vis-à-vis des clients, des salariés et de la communauté locale est très présente sous toutes ses formes.
Dans les nouveaux développements on a beaucoup misé sur la nouvelle clientèle jeune et donc les nouveaux modèles d’auberges de jeunesse. Est-ce encore le cas ?
C’est vrai qu’il y avait la volonté de séduire cette clientèle pour la faire entrer dans le monde de l’hébergement marchand. J’aurais tendance à dire aujourd’hui que le produit a un peu fait pschitt. On va citer les Generator, Meininger, Christopher Inn ou The People, qui finalement s’adressent à une clientèle de plus en plus variée, des jeunes, des familles, des groupes, des voyageurs d’affaires, les visiteurs de salons … Encore une fois, on en revient à du pragmatisme d’exploitation. Donc je pense que c'est plutôt une adaptation au marché.
Quels pourraient être les éléments qui dynamiseraient une reprise de la construction au-delà des transactions sur les actifs existants ?
On parle bien d’une baisse des taux d’intérêts qui pourrait être un signe positif pour faciliter les financements de nouveaux projets, mais ce n’est pas suffisant. La dynamique du marché hôtelier alimenté par la reprise du tourisme et des voyages d’affaires est aussi une condition favorable. Mais il y a forcément un décalage. Il faut de la visibilité aux investisseurs qui, en ce moment, sont particulièrement sélectifs.