Entretien avec Nicolas Chatillon, co-fondateur du groupe hôtelier Les Étincelles

8 min de lecture

Publié le 06/10/23 - Mis à jour le 23/10/24

Nicolas Chatillon

Le groupe cofondé en 2018 par Nicolas Chatillon, ancien banquier, et Guerlain Chicherit, ancien sportif automobile et de ski free-ride, s’installe résolument sur les plus hautes stations avec un modèle d’investissement qui séduit les partenaires. Développé à un rythme effréné ces dernières années, il semble vouloir marquer une pause sans dévier de son parcours ambitieux. Explications de l’un des co-fondateurs.

Compte-tenu des inquiétudes qui se manifestent autour du réchauffement climatique dans les massifs montagneux, avez-vous des craintes sur l’avenir de l’hôtellerie de montagne ?

Avec mon associé, Guerlain Chicherit, nous avons toujours été très clairs en créant le groupe Les Étincelles : nous nous positionnons sur les grandes stations de ski alpin et sur le segment haut de gamme, deux choix délibérés qui garantissent une activité sur la durée. Notre modèle ne correspond effectivement pas aux implantations urbaines ou stations de moyenne montagne.

Nous avons pris en compte les mêmes études qui analysent les conséquences du réchauffement en montagne pour constater que nos implantations de prédilection ne sont pas affectées par le manque de neige sur les années à venir. Les récentes saisons nous ont donné raison avec aucun problème de neige dans nos stations, même en période de cycle à fortes variations.

Guerlain Chicherit

Compte-tenu de ces choix, qui valident votre modèle économique, votre croissance a été particulièrement rapide avec une quarantaine d’établissements en propriété et/ou sous gestion en à peine 6 années d’existence…

Notre portefeuille ne comprend pas que des hôtels et les 26 chalets de luxe que nous exploitons, dont une partie ne nous appartient pas, donnent cet effet de loupe. Pour autant, vous avez raison notre modèle clairement expliqué donne confiance aux investisseurs qui nous accompagnent. Il est fondé sur l’investissement, le plus souvent murs et fonds, dans des stations de haute altitude dont on connait la résilience de fréquentation pour les adeptes de ski qui vont concentrer leur choix sur ces destinations en période d’incertitude climatique.

Ce choix d’implantation exigeant ne limite-t-il pas vos capacités de développement ?

C’est le commentaire qu’on nous a fait lors du lancement en 2018. La réalité montre que nous n’avons pas été bridés et que les opportunités sont et seront nombreuses, compte-tenu, encore une fois, de notre modèle. Nous ne privilégions pas les constructions neuves mais bien davantage les rénovations et les réhabilitations, qui sont en plus absolument nécessaires en montagne. Beaucoup de produits sont devenus obsolètes et ils ont été moins bien construits au départ.

Je prends l’exemple d’un de nos développements en cours, l’hôtel McKinley à La Rosière, sur le front de neige. L’examen rapide du bâtiment a conduit à la décision de sa destruction pure et simple pour reconstruire un hôtel neuf sur un emplacement premium qui respecte désormais les normes environnementales. C’est un acte de salubrité écologique pour La Rosière. Je peux aussi citer l’ancien Maeva de Tignes qui va profiter d’une rénovation lourde qui transforme complètement le produit d’origine.

Cette réhabilitation permet-elle de coller plus facilement aux exigences de votre marché ?

Les établissements conçus dans les années 80-90 ont un avantage essentiel, celui d’être situés dans des emplacements exceptionnels mais ils ne correspondent plus du tout aux attentes d’une clientèle qui privilégie les espaces, aussi bien dans les chambres que dans les parties communes. C’est la base de notre développement.

Mais vous vous êtes aussi porté acquéreurs d’hôtels de luxe déjà opérationnels …

C’est effectivement le second axe d’un développement que vous pouvez juger rapide mais qui est alimenté par le rachat de portefeuilles, comme celui qui comprend le Koh-I-Noor, le Dar-I-Noor, la résidence et le Taj-I-Mah. Cela représente la moitié de notre croissance pour parvenir à l’objectif affiché d’environ 30 hôtels, 20 résidences et 100 chalets en gestion pour parler en chiffres ronds. (Pour déjà 15 hôtels, 10 résidences et 25 chalets, NDLR)

Avec ce modèle vous cherchez à maîtriser toute la chaîne de valeur …

Nous sommes en capacité de tout faire : acquérir, construire, réhabiliter, gérer, commercialiser. Nous ne sommes pas promoteur immobilier car nous ne travaillons que pour nous-mêmes, même si nous élaborons complètement le cahier des charges d’exploitation. Nous rénovons, exploitons et commercialisons des lits chauds, ceux dont ont besoin les stations.

Vos acquisitions ont déjà leur propre personnalité, comment pouvez-vous donner une identité groupe, si vous le souhaitez, à vos établissements ?

Propriétaires murs et fonds, nous maîtrisons le concept pour le faire évoluer et commencer à créer une marque. C’est le cas pour les Hôtels Voulez-Vous que nous allons déployer progressivement dans les stations. Le premier a ouvert à Tignes Le Lac en décembre 2021 et le concept va s’installer sur les hôtels Koh-I Nor (Val Thorens), Daria-I Nor (Alpe d’Huez) et Taj-l Mah (Les Arcs). Voulez Vous est un concept festif, contemporain, chic qui privilégie la convialité assortie d’expériences gastronomiques, de bien-être et de distractions aussi bien pour les familles que pour des groupes d’amis, adeptes de la pratique sportive et des grands espaces.

Voulez-Vous Hotel Tignes

Outre les fondateurs qui ont misé sur le modèle, les investisseurs vous suivent-ils facilement ?

Nous sommes accompagnés par les investisseurs traditionnels que l’on retrouve en montagne et des fonds privés comme Roundshield qui a souscrit à la levée de 400 millions d’euros en 2022. Les banques locales nous soutiennent aussi sur tous nos projets, comme la Caisse d’Épargne de Savoie. Elles croient au développement en toute connaissance de la situation.

Votre groupe est-il représentatif d’une montée en gamme inexorable pour l’hôtellerie de montagne ?

Nous avons fait le choix du luxe et Premium pour répondre à une demande qui clairement s’internationalise et se diversifie. On constate une montée en puissance de la clientèle anglaise qui s’est accélérée depuis cinq ans, une surpondération actuelle de la clientèle belge été néerlandaise, avec le retour de la clientèle allemande et espagnole. La défaillance de la clientèle russe et chinoise est en passe d’être largement compensée par des bataillons de clients américains, brésiliens et israéliens.

Cette clientèle internationale aime particulièrement nos stations et c’est une réserve de croissance importante. C’est un changement par rapport aux années précédentes où la clientèle internationale était concentrée sur 4 à 5 pays. Nous avons identifié 18 nationalités cibles à ce jour.

Hôtel Campanules à Tignes

La clientèle montante est aussi celle des nouvelles générations Y et bientôt Z, est-elle exclue de vos établissements compte tenu du modèle que vous prônez ?

Non seulement on connaît cette clientèle mais nous la recherchons aussi. Le modèle festif, qui n’est pas uniquement tourné sur la pratique sportive, fait que nous accueillons ces jeunes générations très largement dans nos restaurants et au bar. Dans le portefeuille nous avons aussi des résidences et des hôtels trois étoiles qui accueillent des jeunes. Nous exploitons aussi des chalets qui semblent chers intrinsèquement, mais qui accueillent facilement des groupes d’amis. Ramené à la part individuelle, le coût final n’est pas si élevé.

Le programme d’investissement est-il aussi dynamique que les années précédentes et méritera-t-il de changer de dimension pour gérer tous les établissements ?

Nous allons nous concentrer sur la dizaine de projets qui a été lancée en faisant ensuite une pause pour les intégrer et les exploiter en plus du parc actuel. Cela va déjà nous permettre d’atteindre une évidente taille critique sur la France qui correspond à l’organisation actuelle de l’entreprise. Nous sommes très présents sur un petit nombre de stations et l’objectif est de nous déployer davantage sur des stations que l’on aime bien comme l’Alpe d’Huez, les Deux-Alpes ou La Plagne.

Mettez-vous de côté le projet presque pharaonique de WOM, World of Mountain, annoncé en fanfare il y a 18 mois ?

Pas du tout, le premier WOM est en chantier à Tignes et là encore c’est une réhabilitation du site ancien, dont je tairai le nom, qui n’avait plus sa place. Nous n’aménageons pas un espace vierge, nous transformons une verrue en projet innovant. Nous participons à la reconfiguration du bâti avec une approche responsable et durable, qui est à la base du concept WOM. Ce grand projet, et les autres que nous avons en portefeuille, sont des réponses à des plans de développement de stations actés depuis au moins dix ans. De la décision aux premières réalisations, cela prend un peu de temps.

Notre priorité est de construire l’hôtel et suivront la résidence, l’auberge de jeunesse et les villas individuelles autour de la place centrale, grande patinoire en hiver.

Projet WOM à Tignes

Compte-tenu du succès grandissant de la montagne l’été, comptez-vous élargir la période d’exploitation à l’année ?

Nous avons quelques résidences qui sont ouvertes l’été à Tignes et Val d’Isère, mais nous sommes fondamentalement une exploitation saisonnière. Nous avons répondu à une demande de ces stations mais nous ne pouvons pas apporter le même service et cela ne colle pas avec notre modèle.

Pour aller plus loin

Chaque semaine, l’équipe HON vous apporte un regard expert sur le monde de l’hospitalité. En devenant membre, vous aurez accès à un écosystème complet : contenu exclusif, emploi, etc.

DEVENIR MEMBRE

Inscrivez-vous pour ajouter des thèmes en favoris. Inscrivez-vous pour ajouter des catégories en favoris. Inscrivez-vous pour ajouter des articles en favoris. Connectez-vous gratuitement pour voter pour la candidature.

Déjà inscrit ? Déjà inscrit ? Déjà inscrit ? Déjà inscrit ?