A la tête de 700 hôtels, tous sous enseignes Accor, AccorInvest a traversé une période délicate, alourdie par une dette considérable. Depuis quatre années, Gilles Clavié, le directeur général, conduit un chantier de transformation assez radical dont il expose les étapes et les résultats. Il annonce également un prochain changement de nom et d’identité visuelle.
A l’occasion de l’annonce de vos résultats trimestriels, vous avez insisté sur la validation de votre modèle économique. Pouvez-vous revenir sur vos choix qui impactent ce modèle ?
Nous avons effectivement fait un certain nombre de choix. D’abord celui d’être à la fois propriétaire et exploitant, et ainsi d'avoir un meilleur contrôle sur toute la chaîne de création de valeur et de diversifier nos risques. Nous avons aussi fait le choix, quatre ans en arrière, de nous reconcentrer sur l'Europe en resserrant notre portefeuille. A travers les performances récentes, on voit à quel point le marché européen est attractif pour différentes raisons.
Et enfin, nous avons aussi rationnalisé notre portefeuille sur deux segments d'expertise, le segment économique et le segment milieu de gamme sur lesquels nous souhaitons arriver à un focus total. L’historique, en tout cas depuis 25 ans, à travers toutes les crises que nous avons connues, montre que ce sont les segments les plus résistants, les plus résilients et ceux qui redémarre le plus vite en sortie de crise.
Vous avez évoqué une véritable transformation de l’entreprise AccorInvest, fortement affectée par la crise sanitaire …
C’est un chantier de quatre années de transformation qui ont permis de rétablir une situation délicate en sortie de crise. Elle a touché tant la structure du capital, avec le soutien des actionnaires, que le travail sur les échéances de nos dettes avec les partenaires financiers. Nous avons défini un plan de cession d'actifs très ambitieux qui prenait en compte tous les actifs qui ne répondent plus à la définition stratégique du groupe, évoquée précédemment. Il a pour vocation de venir réduire une dette colossale, accumulée quatre ans en arrière.
Et enfin, nous avons engagé un travail extrêmement minutieux. Hôtel par hôtel, ligne de coût par ligne de coût en nous posant à chaque fois la question : avons-nous besoin de cette charge ? Est ce qu'on peut trouver une alternative ? Est ce qu'on peut la renégocier et ainsi redéfinir une base de coûts plus faible qu'elle ne l'était avant la crise sanitaire ? Cela a été un travail colossal et le plus compliqué, de mon point de vue, a été de concilier des décisions à court terme avec une vision de long terme. Tout le travail de l'équipe de direction a été de ramener en permanence nos décisions à notre mission. Il a fallu de la conviction, une détermination de chaque jour, beaucoup de transparence.
A vous entendre, on a le sentiment d’une longue traversée un peu chaotique, dans un contexte quelque peu dramatique…
Depuis le début, nous avons eu un discours de transparence avec toutes les équipes, leur expliquer la situation, vraiment dramatique, dans laquelle nous étions. Ce discours transparent était parfois anxiogène, mais il a finalement permis de construire une certaine crédibilité en interne et au sein du groupe AccorInvest. Dès 2020, nous expliquions les actions que nous voulions entreprendre et nous revenions régulièrement vers les équipes, que je tiens à remercier, pour leur annoncer si on avait réussi ou pas, s'il fallait corriger le tir et ce qu'on allait entreprendre au fur et à mesure.
Peut-on dire que fin 2023, vous étiez sorti d’affaires ?
Les résultats étaient probants dès la fin 2023, à travers quelques chiffres : 700 hôtels pour 106 0O0 chambres, 25 000 collaborateurs, un TO à 70 % pour 110 € de prix moyen et un RevPAR à 77 € pour un portefeuille aux deux tiers dans l’hébergement économique. Cela veut dire aussi 4 milliards de chiffre d'affaires et 657 millions d'Ebitda. Fin 2023, nos 700 hôtels représentaient 8,2 milliards d'euros de valeur d’actifs. Ces chiffres conséquents montrent effectivement la solidité restaurée du groupe et la pertinence du modèle.
Mais notre transformation a été poussée encore plus loin à travers un sujet qui est très très important pour moi, c'est l’ESG. La responsabilité sociale est mise au cœur de la transformation, pour plusieurs raisons. J'ai trouvé en interne des gens très déterminés à suivre, voire devancer la réglementation. Mais au-delà d’être à ce rendez-vous, certains, comme moi, voit davantage le « Business driver » de l’ESG plus que la contrainte. Nous nous sommes effectivement orientés dans cette direction pour éviter d'avoir une transformation imposée. Nous sommes engagés sur trois axes. Le premier, c'est de respecter l'environnement et les personnes. Le second, c'est d'agir en tant que société responsable. Et puis le troisième est d'apporter une expérience hôtelière positive.
Cela passe par quelques objectifs phares. Je n’en citerai qu'un seul : la réduction des émissions de GES de 50 % par rapport à 2019 en 2030, enregistrée et validée par l’initiative Science Based Target. A ce jour, nous avons déjà atteint moins 17 % en ne faisant que de la pédagogie, de la formation et en installant un certain nombre de de petits dispositifs pas très chers mais très efficaces dans nos hôtels. Nous n'avons pas encore engagé les CAPEX nécessaires qui viendront en renfort. Cela concerne les « carbon CAPEX », qui démarreront dès l'année prochaine et qui nous mettront au rendez-vous de nos ambitions à fin 2030.
Comment les marchés ont-ils réagi à cette transformation engagée ?
La meilleure réaction est l’accueil fait à nos deux emprunts obligataires, lancés successivement en septembre et en octobre. Cette première émission est toujours un enjeu assez fort. Elle a été sursouscrite sept fois, mobilisant potentiellement plus de 4 milliards pour un montant émis de 750 millions sur cinq ans et un taux de 6,375%. C'est exceptionnel pour nous, sachant d'où l’on vient, c'est même exceptionnel pour le marché de l'avis des experts et des partenaires qui nous ont accompagnés. Trois semaines plus tard, nous sommes allés chercher à nouveau 650 millions sur sept ans à un taux de 5,5%. La conclusion de cela, c’est d’abord que les investisseurs achètent le modèle et le profil du groupe, et d’autre part qu’ils apportent une certaine crédibilité dans l'action conduite et le track record depuis quatre ans. C'est la meilleure des reconnaissances par un juge de paix qui nous remet à notre place réelle.
Nous avons évoqué des résultats déjà conséquents en 2023, quelle progression anticipez-vous sur 2024 ?
A fin septembre 2024, notre chiffre d'affaires augmente de 4 %, et notre EBITDA de 9 %. Mais surtout, la marge opérationnelle des hôtels dépasse celle que nous avions en 2019. Ce qui était tout l'enjeu de notre transformation : sortir plus fort de cette crise.
Et qu’en est-il de la gestion de votre dette ?
Depuis deux ans et demi, la réduction de la dette est le sujet majeur justifiant la cession d'actifs. Ce plan a été annoncé début 2023, à hauteur de 1,7 milliard d'euros visant évidemment tous les hôtels hors Europe, en dehors du midscale et de l'économique, et puis un certain nombre d'hôtels en Europe, plutôt en location, pour avoir une proportion beaucoup plus forte d'hôtels en pleine propriété. Nous avons appris les leçons de ces quatre années de crise. Nous sommes sortis des portefeuilles africains, australiens, japonais. Dans les jours qui viennent, nous allons sortir du portefeuille du Brésil. Nous n'avons jamais autant vendu d'actifs cette année que les trois années précédentes cumulées. Soit d'ores et déjà 250 hôtels vendus pour passer à peu près de 950 à 700. Et pour autant, notre résultat a continué de croître. Nous basculons d’une logique de leader par la taille et la quantité d'actifs à celle d’un leader par la qualité de ses actifs.
Au-delà des cessions, vous réalisez aussi des arbitrages avec échanges originaux…
Vous évoquez l’échange d'actifs entre Covivio et AccorInvest. C'est une opération qui a nécessité pratiquement deux ans et demi de discussions, de négociations, de préparation et donc de travail. Elle permettra de créer de la valeur en termes de portefeuille, d’augmenter les marges, de réduire nos coûts de loyer et donc de générer plus de cash. Elle coche toutes les cases par rapport à la stratégie que nous avons définie.
La gestion des actifs se résume-t-elle à des cessions ?
On n'a jamais cessé d'investir. On investit entre 200 et 250 millions d'euros chaque année à rénover, à développer, à repositionner nos actifs. Et on continuera sur le même rythme, sachant que nous avons beaucoup moins d'hôtels.
Comment envisagez-vous les mois, années qui viennent ?
Nous sommes dans une situation de "permacrisis". C'est presque une nouvelle normalité qu'il faut intégrer. On ne sait pas quelle sera la prochaine crise, mais on sait qu'elle va arriver tôt ou tard. Et donc il faut être flexible et savoir en permanence se remettre en cause et réagir. Ma conviction, en tout cas sur ce modèle, c'est qu’il permet de tirer le meilleur des deux mondes entre l'immobilier et l'exploitation. Ces deux mondes réagissent à des cycles qui n’ont pas les mêmes rythmes. Le second étant sur des cycles beaucoup plus courts que l'autre. Quand les opérations ont connu un moment de faiblesse, c'est l'immobilier qui nous a tenu debout. Il nous a permis de renégocier avec les banques. Et puis, quand les taux d'intérêt se sont mis à monter fortement, c'est clairement les opérations qui ont tiré profit de cette situation. Et c'est ce qui nous a permis de continuer à croître.
En termes de perspectives, les nouvelles ne sont pas forcément très bonnes sur un certain nombre d'aspects, entre le ralentissement économique de l'Allemagne ou les fermetures de sites en France. Je préfère voir aussi de bonnes nouvelles, des opportunités. On a encore quelques points de T.O. à récupérer par rapport à 2019. En s’appuyant sur les analyses de MKG, on sait qu'il nous faudra certainement 2 à 3 ans pour récupérer ces opportunités. La baisse des taux est lente, mais elle se confirme au fur et à mesure. Et ça va nous aider aussi. Côté immobilier, les Jeux Olympiques ont créé un effet d’aura, qu’on ne sait pas encore mesurer mais qui va continuer à nous porter sur les années à venir, en particulier sur la France et sur Paris.
Votre feuille de route semble assez claire…
On va continuer à regarder beaucoup nos marges et continuer à faire en sorte qu’elles puissent augmenter de façon à nous préparer à la prochaine crise. C'est de continuer d’investir, mais de plus en plus ciblé, de plus en plus discipliné, avec les retours attendus. C'est de continuer sur notre engagement ESG mais également sur le plan digital. Nous avons digitalisé tous les hôtels qui ont vocation à rester dans le groupe et nous sommes en train de faire passer tous les systèmes sur le Cloud. Tout est lié et c'est l'ensemble de ces actions qui nous permettent aujourd'hui de pouvoir dire que nous sommes en train de sortir de la situation qui était critique il y a quelques années.
Et puis, je vous réserve cette petite annonce : pour traduire le succès de cette transformation qui n'est pas encore totalement terminée, et puis parce qu'il nous faut relancer le sentiment d'appartenance au groupe, nous allons nous doter d'une nouvelle identité et changer de nom prochainement. Le compte à rebours a été partagé avec toutes les équipes et donc je vous donne rendez-vous fin avril.