Chronique francophone 14, un tourisme calédonien confronté à une succession de crises

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Publié le 28/06/24 - Mis à jour le 28/06/24

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Les émeutes en Nouvelle-Calédonie des dernières semaines ont remis en lumière l’actualité des territoires français du Pacifique. Il faut avouer qu’ils semblent souvent bien éloignés des péripéties d’une métropole qui entretient des relations distendues avec ces terres pourtant stratégiques. (Brice Duthion)

Le Pacifique Sud, une région confrontée à « la tyrannie des distances », recouvre plus du tiers de la surface terrestre, semble si lointain que peu de Français sont capables d’en discerner les trois grandes aires géographiques : la Mélanésie (dont la Nouvelle-Calédonie), la Micronésie et la Polynésie, la plus célébrée (à laquelle sont rattachés évidemment la Polynésie française mais aussi Wallis-et-Futuna).

La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis et Futuna représentent une population d’environ 550 000 concitoyens, une goutte d’eau dans une région et un Océan devenu depuis trente ans le moteur de la croissance mondiale et qui compte pour des deux-tiers du PIB mondial. 

La francophonie dans le Pacifique est incarnée par ces trois territoires, ces trois collectivités d’outre-mer française de l’hémisphère sud qui véhiculent certaines images de paradis terrestre. Ces territoires que Paul Gauguin décrivait dans son carnet intime, Noa Noa : Voyage de Tahiti, au moment d’un retour en France comme une « terre hospitalière, terre délicieuse, patrie de liberté et de beauté ! ».

La France est le seul pays de l’UE qui compte des territoires dans l’Océan Pacifique. Élargie à l’Indopacifique, cette présence confère à la France la seconde zone économique exclusive (ZEE) mondiale (10,2 millions de km2), dont 60 % environ dans le Pacifique, majoritairement autour de la Polynésie française. Une présence militaire permanente française y est également notable.

Une réalité locale complexe remise en lumière avec brutalité

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Dans le cadre de l’accord de Nouméa de 1998, dix ans après l’accord de Matignon approuvé par le référendum du 6 novembre 1988, trois référendums ont été tenus en Nouvelle Calédonie sur la pleine souveraineté et l’indépendance de l’île en novembre 2018, octobre 2020 et décembre 2021.

Les tensions communautaires déclenchées par le projet législatif de « dégel du corps électoral » ont ruiné une partie de l’économie locale. Les coûts des dommages sont estimés à plusieurs centaines de millions d’euros, peut-être un milliard.

La Nouvelle-Calédonie est un archipel en trois provinces (Nord, îles Loyauté et Sud) à l’histoire politique et économique fragmentée et aux réalités touristiques assez différentes. Devenue territoire français en 1853 sous Napoléon III, la Nouvelle-Calédonie connait depuis plusieurs années une période récession, liée aux incertitudes du processus institutionnel, mais également à une vague de départs sans précédent (20.000 habitants de moins en cinq ans, sur une population de 270.000), qui grève la consommation intérieure et à un retournement brutal du marché du nickel (qui représente 20 % de l’emploi privé et 90% des exportations de l’archipel).

Sortir du « tout nickel »

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Le contexte calédonien avant les dernières émeutes était déjà incertain. Les cours très fluctuants et baissiers du nickel sur les marchés internationaux (un quart des réserves mondiales) ont débouché sur l’annonce ces derniers mois de la fin du financement de nouvelles usines métallurgiques sur le territoire calédonien. Confronté de plus à une intense concurrence des producteurs asiatiques, le prix du minerai a dévissé de plus de 45% en 2023, causant des pertes record pour les groupes exploitant les trois usines de l’archipel.

La production a chuté de 32% au premier trimestre 2024 et l’un des groupes présents a enregistré une chute de ses ventes de 50%.

En 2024, d’autres difficultés sont identifiées en dehors de la cristallisation des tensions politiques et institutionnelles, notamment une situation préoccupante des finances publiques, un secteur primaire qui a alterné des conditions météorologiques très contrastés liées au phénomène El Niño (épisodes successifs de pluviométrie exceptionnelle puis de sècheresse) et des prix à la consommation en moyenne 31 % plus élevés en Nouvelle-Calédonie qu’en métropole selon une étude de l’INSEE parue en 2023. Cette étude tient compte des modes de vie propres à chacun des territoires.

Ainsi, comme le révèle un article des Échos de septembre 2023, les écarts de prix toucheraient les produits alimentaires (+78 %), le logement (+30 %) et les services d’hôtellerie - restauration (+77 %). D’autres critères montrent la fragilité de l’économie calédonienne : le taux de chômage des jeunes (15-25 ans) s’élève à 36% (contre 22% dans la France entière) et 17% des foyers calédoniens vivraient sous le seuil de pauvreté (soit 53.000 personnes, dont un tiers d’enfants de moins de 14 ans). Enfin, un projet de taxe sur le carburant pensé pour renflouer le gestionnaire du système électrique calédonien Enercal, en déficit chronique, a été abandonné.

Le territoire sortait avec difficulté des conséquences de la crise sanitaire

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Cet épisode de violents conflits arrive après une période éprouvante pour l’ensemble des acteurs touristiques et singulièrement ceux de l’hospitalité néo-calédonienne. Le territoire a été durement touchés par la Covid et la difficile reprise des liaisons aériennes avec les marchés hexagonaux, mais aussi avec des pays les plus proches comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui commençaient à revenir depuis deux ans.

Le contexte semblait redevenir plus favorable depuis quelques mois. L’État annonçait en novembre 2023 que la Nouvelle-Calédonie avait signé un « Contrat de marque mondiale », dans la logique des contrats de destination pilotés par Atout France, dans le but notamment de présenter « une offre mieux structurée et plus visible sur le plan international ».

L’un des objectifs principaux porte sur la relance du tourisme international et de croisières, pour sortir d’un modèle économique trop longtemps resté dépendant de ses deux industries, le nickel et le tourisme, structurellement lié à la métropole. Cela reprend d’ailleurs une antienne des milieux économiques calédoniens. Pour sortir du « tout nickel », le Medef de Nouvelle-Calédonie a préconisé en 2018 de favoriser d’autres filières nouvelles autour de la biodiversité, du développement durable, du tourisme et du numérique.

Le destin incertain du tourisme calédonien

Le tourisme international occupe une place importante dans l’économie locale. Il a généré plus de 28 milliards de francs Pacifique de recettes en 2023 (un peu plus de 230 millions €). Il concerne plus 5.000 emplois directs (pour quatre fois plus d’emplois indirects) et fait vivre plus de 2.000 entreprises réparties sur l’ensemble du territoire.

Avant la Covid, 100.000 touristes arrivaient sur l’île, dont 30% seulement de métropolitains, soit deux fois moins qu’en Polynésie française. Une stratégie de relance a été mise en place pour la période 2022-2024 fondée notamment sur un renforcement de la visibilité de la destination sur les marchés de proximité (Australie et Nouvelle-Zélande), quelques marchés de niche dans l’Hexagone, le soutien de la reprise du tourisme japonais, le développement de nouveaux partenariats (Vanuatu, Fidji, compagnies aériennes, etc.).

Ainsi en 2023, la Nouvelle-Calédonie a enregistré plus de 125.000 arrivées de touristes par avion. Le nombre de touristes australiens (+ 19 %) et néo-zélandais (+ 15 %) a augmenté singulièrement par rapport à 2019. Le nombre de voyageurs venant de la métropole, 44.000 environ, a légèrement augmenté par rapport à 2019, sans doute favorisé notamment par l’ouverture d’une ligne opérée par Air Calin entre l’île et Singapour, offrant une nouvelle voie d’accès depuis l’Europe.

Un coup dur en plein lancement d'une campagne de promotion

A court terme, les émeutes calédoniennes ont bloqué quelques milliers de visiteurs, peu nombreux en cette période cyclonique avec de fortes précipitations et un faible taux de départ depuis la métropole. La fermeture de l’aéroport serait plus problématique en haute saison concentrée sur quatre mois, de juillet à octobre. Le gouvernement australien a relevé sa demande de vigilance auprès de ses ressortissants, leur déconseillant de se rendre à Nouméa « sauf raisons impératives ». Cette situation si elle devait perdurer constituerait un coup dur pour le tourisme calédonien.

De nombreux efforts ont été fournis par les acteurs insulaires depuis la crise pandémique. En octobre 2023, Nouvelle-Calédonie Tourisme dévoilait une campagne de promotion en mettant en avant les visages locaux pour montrer la « vraie essence » de l’archipel.  Cette mise lumière de témoignages de Calédoniens partageant leur expérience du territoire était une invitation à découvrir la Nouvelle-Calédonie d’une manière intime, profonde mais aussi d’en comprendre la diversité, à la fois humaine et naturelle.

Au Sud de l’île, une agence d’attractivité Sud Tourisme Nouvelle-Calédonie a été créée en société publique locale (SPL) pour rationaliser une stratégie touristique souvent disparate, pour promouvoir et valoriser l’ensemble de la destination touristique de la province Sud.

Et pourtant, les projets pour 2024 ne manquent pas

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Projet de ponton flottant dans le lagon de Poé

Ils concernent déjà une plateforme de commercialisation et un pass touristique. Mais aussi accompagner la professionnalisation des acteurs du tourisme avec la structuration de l’offre chez l’habitant avec la création d’un label, étoffer l’offre touristique via le développement d’infrastructures comme la construction d’un ponton flottant de 300 mètres de long à Poé ou améliorer l’hospitalité en créant un numéro vert d’information par exemple ou en déployant un wifi territorial.

Pour 2024, la stratégie calédonienne touristique repose sur plusieurs axes : poursuivre la dynamique de croissance des marchés australien et néo-zélandais, renforcer la notoriété de la Nouvelle-Calédonie sur le marché national, reconquérir un marché asiatique morose, en se concentrant plus particulièrement sur le Japon et Singapour et accompagner également la restructuration du tourisme de croisière.

La création d’un observatoire touristique attendue par les professionnels

Il s'agirait de mieux analyser les tendances dans le secteur du tourisme calédonien et ainsi mieux orienter les stratégies de développement. Le positionnement de la Nouvelle-Calédonie comme une destination durable et responsable ancrée sur des valeurs fortes et attractives représente également un objectif important. Reste à mesurer l’impact des émeutes sur ces projets.

Il est évident que les objectifs du contrat de marque (reconquérir les flux touristiques perdus ; augmenter les chiffres d’affaires des entreprises locales touristiques en poursuivant une stratégie de création de valeur ; diversifier la fréquentation internationale ; contribuer à une croissance des emplois directs…) vont être difficilement atteignables dans les prochains mois.

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A la reconquête d'un tourisme perdu

 

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