A l'approche du remboursement des prêts "COVID" contractés par les professionnels européens de l'hôtellerie-restauration, un bilan s'impose. Avec 240 milliards d'euros dépensés entre mars 2020 et l'été 2021, la France se présente comme ayant été le pays le plus généreux en Europe mais tous les hôteliers français ont-il pu tirer profit des dispositifs d'aides, et dans quelle mesure ? Carole Gorce, Directrice Comptable, Fiscale et Subventions Louvre Hotels Group, que MKG Consulting a accompagné dans le suivi de plus de 500 dispositifs de soutien financier existants ou ayant existé en Europe depuis le déclenchement de la crise COVID, partage son retour d'expérience, les difficultés rencontrées par les hôteliers, et dresse un bilan comparé en Europe.
Retrouvez l'intégralité du dossier ici : Aides COVID : Quels dispositifs de soutien à l'hôtellerie en Europe, et comment les hôteliers en ont-ils bénéficié ?.
La France semble avoir été généreuse en matière de dispositifs d’aide à l’hôtellerie et au tourisme. Vous qui avez été aux premières loges de leur mise en pratique, quel est votre retour d’expérience ?
J’aimerais tout d’abord saluer la qualité d’écoute et d’accompagnement dont nous avons pu bénéficier de la part de nos interlocuteurs administratifs, et cela à tous les échelons territoriaux. Nous, hôteliers, n’avions certainement pas l’habitude d’avoir des interlocuteurs directs dans d’aussi nombreux organes publics, allant de Bercy aux régions ou agglomérations de France et de toute l’Europe.
C’est d’autant plus appréciable que la plupart de nos partenaires ont fait preuve d’une volonté authentique et admirable de nous soutenir et de nous guider dans la constitution des dossiers administratifs, nous permettant de bénéficier des dispositifs auxquels nous avions droit. Mais si leur aide a été à ce point utile, c’est aussi parce que cela a parfois été d’une complexité byzantine…
Car depuis le début de la crise sanitaire, si de nombreux dispositifs ont été annoncés et souvent rapidement ajustés en fonction du contexte, leur mise en application à travers la parution de décrets n’a pas toujours suivi au même rythme. Ce décalage temporel explique le ressenti qu’ont parfois eu certains professionnels de phénomènes d’ « effet d’annonce » alors que les annonces ont bien été mises en œuvre, mais plus tardivement. Ce n’est pas la seule difficulté, car une fois une mesure adoptée, l’hôtelier doit se plonger dans les méandres d’une complexité administrative avec laquelle il n’est souvent pas familier.
La première difficulté pratique réside déjà tout simplement dans l'identification des dispositifs auxquels une entreprise est éligible, notamment par manque de lisibilité des décrets. C’est un premier frein pour un grand nombre d’établissements, car il faut déjà avoir les moyens et ressources nécessaires mais aussi la volonté et la capacité à les allouer à cette tâche, et savoir identifier les organismes à contacter.
Un autre frein majeur est celui des nombreuses conditions cumulatives à respecter. Tout d’abord, pour certains statuts particuliers, il est impossible de bénéficier d’aides. Tous les professionnels qui, par exemple, n’avaient pas le « bon » code NAF ou la bonne forme juridique (SEP par exemple), pour diverses raisons liées à l’historique de leur entreprise, ont parfois pu rester « en-dehors des mailles » de ce filet de protection mis en place par les pouvoirs publics à l’occasion de la crise COVID.
Ensuite, on entend parfois l’annonce d’un pourcentage de prise en charge pour découvrir ensuite, lors de la parution du décret, qu’il existe un plafond. Et parfois celui-ci est si faible par rapport à l’activité normale d’un hôtel, et encore plus d’un portefeuille comme le nôtre, que cela rend le dispositif inopérant car coûtant plus (en temps surtout) qu’il ne rapporte, de notre point de vue d’acteurs privés. C’est dommage, car des dispositifs intéressants sur le papier se sont heurtés à cette problématique pratique.
Et les difficultés ne s’arrêtent pas là : une fois qu’une entreprise a vérifié qu’elle était éligible, elle doit elle-même se perdre dans les calculs des montants d’aides auxquels elle peut prétendre, avant de faire face aux difficultés du suivi du dossier de demande. Silence prolongé de l’administration, parfois absence d’interlocuteur direct pour certaines PME (cela ne nous a heureusement pas trop concernés), et surtout instruction très longue des dossiers alors que les délais pour soumettre les dossiers (ou les redéposer lorsque refus) sont eux souvent extrêmement courts (2 à 3 semaines maximum). Enfin, last but not least, des délais très longs de versement effectif des aides… de quoi en décourager plus d’un !
Si la réaction des pouvoirs publics à la séquence COVID a donc été assez admirablement réactive et souvent pertinente, sa mise en exécution, en France particulièrement (car ce n’est pas le cas ailleurs en Europe), n’a pas été au même niveau de performance. Si je devais résumer ces derniers mois, ce serait donc sans doute par la célèbre formule "tout vient à point à qui sait attendre."
Justement, vous qui avez des établissements dans de nombreux pays d’Europe, quelles différences avez-vu pu observer entre les différents dispositifs ?
Je vous répondrai par un chiffre très simple : nous avons touché de la part des gouvernements autant d’aides en France et en Allemagne alors que notre parc hôtelier est 7 fois plus important en France qu’en Allemagne. Donc la France a certes été la meilleure en termes de dispositifs et de promesses, mais l’Allemagne a été largement au-dessus pour leur mise en application et paiement.
Cette différence s’explique par 2 principaux facteurs : les conditions d’éligibilité souvent beaucoup plus restrictives en France, et/ou pour ce qui nous concerne des plafonds par entreprise beaucoup plus bas, et la nature des dispositifs eux-mêmes. Le gouvernement français a plus distribué au titre de la prise en charge des frais de personnel mis en activité partielle, même si en Europe ce sont, comme vous l’avez souligné, les Pays-Bas qui ont été les plus généreux dans ce domaine.
A l’inverse, à l’échelle de notre groupe, certains pays restent absents du paysage. C’est le cas en Europe du Sud et plus particulièrement de l’Espagne où les aides coûts fixes par chambre par exemple ont été inférieures de moitié relativement à la France, pourtant elle-même moins généreuse que l’Allemagne.
Par ailleurs, si la Pologne a mis en place des subventions au début de l’épisode épidémique pour aider les entreprises à couvrir les frais de fonctionnement ou encore des prêts de fonds de roulement, ce sont avant tout des dispositions fiscales qui ont été déployées par le gouvernement polonais pour aider les entreprises et ainsi, nous n’avons touché aucune subvention à ce jour.
Si l’on regarde le tableau global, là où l’Allemagne a fait la différence, c’est par la prise en charge par le gouvernement des coûts fixes et par l’aide à la fermeture. D’ailleurs, l’aide coûts fixes qui n’a été mise en place qu’au 4e trimestre en France représente déjà pour nous en 2021 6 fois plus que le fonds de solidarité, pourtant actif sur l’essentiel de l’année.
Aujourd'hui, le contexte s'est amélioré et la profession parle plutôt de bientôt rembourser les prêts accordés (PGE), même si le premier trimestre 2022 a été encore difficile, nécessitant de fait le maintien des différents dispositifs d'aides. Pour autant, nous pouvons donc être raisonnablement optimistes pour les mois à venir, car bien sûr nous souhaitons avant tout pouvoir tourner dès que possible cette page COVID… et revenir à notre métier d’hôteliers !