Christophe Laure, IHG Luxury & Lifestyle, Président de la Section Prestige de l’UMIH

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Publié le 26/01/25 - Mis à jour le 03/02/25

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A la tête depuis de nombreuses années du navire amiral InterContinental Paris Le Grand et supervisant sept autres établissements de la chaîne en Europe du Sud, Christophe Laure, ancien élève de l’École Hôtelière de Lausanne et de la Cornell University, est légitime pour partager son regard et son expérience sur l’évolution de l’hôtellerie de luxe. Il préside également la section Prestige du principal syndical professionnel hôtelier.

 

Face à une situation globale que l’on perçoit incertaine et chahutée, peut-on dire que le luxe vit hors du temps dans sa propre bulle ?

Je pense, en effet, que le luxe est encore un peu hors du temps, mais on sent tout de même un certain ralentissement. Je parle pour le luxe en général, si je fais un focus l’hôtellerie, notamment à Paris, elle a bénéficié d’une merveilleuse parenthèse olympique qui a un peu faussé la donne. Pour autant, on avait déjà constaté, avant les Jeux Olympiques de cet été, que l’activité luxe était plus modeste, dans une forme de décroissance.

Comment l’expliquer ?

Le secteur luxe n’est pas immunisé contre les grands mouvements. On sent une certaine fébrilité géopolitique qui pèse sur l’activité. Le marché chinois, et asiatique en général, était très porteur. Il a permis ces dix dernières années d’avoir des croissances à deux chiffres. Mais il n’est pas revenu à son niveau antérieur. Le marché du Moyen-Orient aussi est affecté par les tensions au Proche-Orient. On ressent une certaine prudence de cette clientèle.

Est-ce au point qu’il faudrait s’inquiéter ?

Non pas vraiment. Le marché du luxe est encore très dense. Les chiffres sont là pour en attester car le nombre de millionnaires et de milliardaires ne cesse de croître. J’ai parlé de ralentissement, pas de chute.

Y-a-t-il des secteurs où cela se ressent davantage ?

Sir Michael Kadoorie and his son
La légendaire Verrière de l'Intercontinental Paris Le Grand

On constate une baisse d’activité de la restauration hôtelière haut de gamme. Mais il y a une première raison à cela, c’est la multiplication de l’offre hors des hôtels avec des concepts qui jouent beaucoup sur l’expérience, l’entertainment, la décoration, l’animation. Même si on y mange très bien, ce n’est pas la priorité et cela vient puiser en partie dans notre clientèle habituelle. L’effet nouveauté et spectaculaire est, sans doute, plus sensible que la question des moyens qui touche encore peu la clientèle de luxe.

Et donc, on peut en déduire que la partie hébergement se porte bien…

Il faut reconnaître que nos prix moyens ont bien évolué et qu’en plus les ratios de rentabilité ne sont pas les mêmes que ceux de la restauration. Dépasser 1 600 euros la nuitée dans un palace n’est pas exceptionnel et atteindre 1 000 euros en Luxury, c’est déjà acquis, même si ce n’est pas un niveau permanent en raison de la gestion du Revenue Management. Ce qui aide, c’est l’impact des suites, qui représentent environ 20% de l’offre en Luxury et jusqu’à 40% dans les palaces. Cela justifie des prix moyens élevés quand la fréquentation est au rendez-vous. Le défi étant de les maintenir plus que de les atteindre de manière ponctuelle.

Est-ce que l’on ressent néanmoins des comportements d’arbitrage entre les dépenses à l’intérieur d’un budget établi ?

Très franchement, dans le luxe, la notion de plaisir est essentielle et, à ce niveau de revenu, il y a peu d’arbitrage qui réduirait le niveau de l’expérience. Nous vivons encore, pour un certain temps, un comportement de « revenge spending », même s’il est un peu bridé par rapport à la période de sortie du confinement. La demande pour les suites, pour les durées de séjour, pour réserver dans les meilleurs restaurants, pour vivre des expériences exceptionnelles est très présente. La notion de « carpe diem » est une motivation que l’on ressent.

Est-ce que cela touche toutes les générations ou est-ce un mouvement porté par les plus jeunes ?

Il est vrai que la « très belle clientèle » s’est élargie, au-delà des clientèles plus classiques, essentiellement nord-américaine et du Moyen-Orient, dont on connait bien les habitudes. Globalement les « riches » sont plus jeunes, 30, 35, 40 ans. Ce ne sont pas des héritiers et ceux-là n’ont pas les mêmes codes, liés à la tradition, à l’éducation, qui incitent à ne pas « gaspiller » la fortune. C’est une autre approche de la consommation du luxe, peut-être plus exubérante.

Comment adaptez-vous votre offre, si cela vous paraît nécessaire ?

Nous avons toujours eu la même démarche. Celle d’anticiper les besoins, les attentes ; celle d’effectuer un travail de recherche par rapport à tous les types de clients. Ce qu’ils aiment, ce qui va les surprendre et qui sera la démonstration qu’ils sont attendus et pas seulement reçus. A nous de multiplier les « découvertes » grâce aux partenariats que nous nouons avec des institutions culturelles et avec toutes les maisons de luxe. Ce sont des accès réservés à certains lieux, comme le toit de notre hôtel, des visites privées d’exposition, des rencontres exceptionnelles. A nous d’être imaginatif.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres expériences de luxe que vivent vos clients ?

Dans le monde du luxe, ce qui fait la différence, c’est l’échange avec les équipes. Ce que j’appelle l'engagement. Et cela peut durer une nuit, une semaine ou deux. Cet engagement fait que l’on a beaucoup plus d’opportunités de provoquer des émotions pendant le séjour en général, et qu’elles peuvent rester plus longtemps dans la mémoire, dans les souvenirs, que la belle montre achetée il y a deux ans ou que les sacs qui s’alignent dans le dressing. Je n’ai plus les chiffres exacts en tête mais une étude d’il y a quelques années montrait que sur les centaines de milliards de dollars que génèrent les activités du luxe, « l’expérience », à savoir les vols en Première classe, les beaux voyages, les grands restaurants, l’hôtellerie de luxe, totalisait cinq à six fois plus de chiffre d’affaires que les biens « matériels », bijoux, sacs, haute couture…

Vous vous adressez pourtant à la même clientèle, mais vous activeriez des sensibilités différentes …
Nous sommes une fabrique de souvenirs, que certains vont garder toute leur vie. Et on voit bien que les grands groupes de luxe, à travers leurs marques et leurs propositions, travaillent dans notre sens, sur la continuité de l'expérience du client au-delà de l'achat des objets, vers d'autres expériences plus immatérielles, et en particulier l’hôtellerie.

Dès lors, vous sentez-vous un peu à part dans l’univers hôtelier, quand il s’agit de traiter des questions liées à l’exploitation, à la règlementation ?

dv

Par rapport à nos confrères de plus petites structures, les hôtels de luxe disposent souvent de ressources complémentaires grâce à leurs propriétaires et actionnaires. Chaque segment fait face à des défis et des préoccupations différentes.
En tant que représentants de l’Umih prestige, nous sommes focalisés sur une infime partie des dossiers traités par le syndicat. Cela pourrait être perçu comme malvenu et desservir les autres segments que nous venions appuyer des revendications sur des problématiques d'exploitation ou de règlementation qui nous affectent moins que d’autres catégories hôtelières.  

Si nos réalités diffèrent, nous partageons un même secteur et un même objectif. Quand on prend le prisme du client, quelle que soit la catégorie, l’important est de tenir la promesse qui est faite. Les marques que nous défendons sont toutes associées à une promesse. Cette promesse est plus élevée dans le luxe et le très grand luxe, mais la démarche est la même. Le client veut en avoir pour son argent. Donc l'engagement doit être le même.

Avez-vous néanmoins au sein du Comité Prestige des dossiers qui vous soient particuliers ?

Il y en a un auquel nous prêtons particulièrement attention. C'est la formation, le transfert du savoir-être et des savoir-faire. C’est fondamental pour bien assumer notre métier dans le luxe mais aussi parce que nous avons une responsabilité vis-à-vis des jeunes qui sortent des écoles hôtelières. Aujourd'hui, on peut nous considérer comme une certaine vitrine prestigieuse de notre secteur. Il faut donc s’assurer de bien prendre en main les jeunes générations, de développer leurs compétences, de les faire évoluerà l'étranger. 

Je constate avec une grande satisfaction l’évolution des formations dans les écoles hôtelières en France. Quand j’ai commencé mon cursus professionnel, j’ai passé mon CAP, mon BTH, un cursus très traditionnel dans de bonnes écoles. La référence de l’époque, dans les années 80 en France, était le lycée hôtelier de Strasbourg. Mais quand on voulait envisager une carrière internationale, il fallait être admis à Lausanne ou à Glion. Aujourd'hui le cursus académique des écoles hôtelières françaises est extrêmement bon. Il a beaucoup évolué et est monté en niveau. Et c’est d’autant plus satisfaisant qu’il y a davantage d'hôtels de luxe en France qu'en Suisse. Nous avons donc cette responsabilité de maintenir le niveau de qualité des formations supérieures et même de le développer, de défendre l'apprentissage. S'il y a pour nous un dossier prioritaire, c'est celui-ci.

Si l’on se projette sur les mois, années à venir, y-a-t-il de bonnes raisons d’être confiant dans le succès de l’hôtellerie de luxe ?

Churchill disait : « Je suis un optimiste. Cela ne semble pas très utile d'être quelque chose d'autre. ». Oui, je pense que notre avenir est plutôt prometteur. Il y a des signes favorables pour confirmer ce sentiment : une reprise du MICE sur et en provenance du marché nord-américain, les effets positifs escomptés du post-olympisme, dont ont bénéficié globalement tous les pays et les villes d’accueil quand l’image projetée a été de qualité. Le fait que l'été 2024 préolympique n’ait pas été très dynamique justifie que l’on peut s’attendre à une nette amélioration sur cette base décevante. Je n’esquive pas la menace des difficultés importantes que peuvent générer les conflits actuels, mais j'espère quand même que la diplomatie va en résoudre une partie.

L’économie se porte plutôt bien dans certaines parties du monde. Les affaires reprennent et l’argent circule. Au-delà même du nombre de millionnaires qui augmente, c’est toute la population mondiale qui augmente et manifeste encore son envie de voyager. De nouveaux pays émetteurs s’ouvrent à nous, comme l’Inde, dont on a accueilli de plus en plus de visiteurs cette année.

 

Union des Métiers de l'Industrie de l'Hôtellerie (UMIH)

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