Entretien avec Alain Calmé, Président de European Camping Group depuis une dizaine d’années. European Camping Group revendique être le leader de l’hôtellerie de plein air en Europe avec l’an dernier 270 millions d’euros de chiffre d’affaires et 23 000 mobiles homes à travers l’Europe dont à peu près la moitié en France, le reste en Espagne, en Italie, en Croatie et un peu partout dans le monde.
Notre principale clientèle est à 30% française et à 30% anglaise, nous avons aussi beaucoup de clients dans tous les autres pays d’Europe que ce soit la Hollande, l’Allemagne, le Danemark, l’Irlande, la Pologne etc.
C’est pour cela que nous avons changé le nom de la société qui avant était connu sous le nom de Homair Group, Homair Vacances qui est en fait la société historique de notre groupe basé à Aix en Provence. A force de reprendre les concurrents dans les différents pays d’Europe, nous nous étions dit que ça ne correspondait plus à notre activité. Désormais, le groupe s’appelle European Camping Group, chacune des marques du groupe à sa propre autonomie et aujourd’hui, nous gérons 5 marques à travers l’Europe.
Comme tous les professionnels du tourisme et de l’hébergement, vous avez été impactés par la crise liée au Covid-19. Pourriez-vous partager avec nous les répercussions que ça a eu sur le groupe ?
Les répercussions sont multiples et extrêmement fortes. Nous sommes très fiers d’avoir pu anticiper l’épidémie, d’avoir mis en place les mesures de télétravail extrêmement vite car nous avions senti que les choses devenaient graves. Nous avons joué en priorité la sécurité de nos salariés mais je dois dire qu’ensuite, les semaines qui ont suivi ont dépassé en impact tout ce que nous aurions pu imaginer au mois de février ou même mi-mars. Nous n’avons pas rouvert début avril comme c’était la tradition. Encore aujourd’hui, nous sommes partiellement fermés. Le tourisme franco-français est en train de récupérer, je ne pense pas que nous atteindrons les 100% des niveaux de commercialisation que nous avions eu l’an dernier mais nous ne serons pas dramatiquement éloignés. Il y a seulement un an ou deux, j’aurais trouvé ça dramatique mais nous avons changé de monde. Les circonstances du monde après Covid-19, nous allons dire que quelque part le franco-français sauve un peu la mise par contre les français hésitent à rester en France. La Hollande qui est un pays traditionnel de tourisme et d’hôtellerie de plein air, les sondages montrent qu’à peu près la moitié des hollandais qui avait l’habitude d’aller à l’étranger - par exemple en France tous les ans, - seulement ces gens-là envisagent de prendre des vacances à l’étranger cette année.
Nous avons un rebond des ventes qui est très fort depuis quelques semaines mais qui ne compense pas tous les mois de fermeture. Le 8 et 9 Mars nous avions vendu 0 et d’autres parts nous avions enregistré des annulations massives.
Pour les anglais ce n’est toujours pas très clair, la frontière n’est toujours pas rouverte.
Les irlandais pour des raisons opposées aux anglais ont également les frontières fermées mais ils ont très bien géré la crise du Covid-19, ils ont tout de suite fermé leur frontière, ils ont eu très peu de malades car ils n’ont pas du tout envie que leurs concitoyens attrapent la maladie sur le continent.
En termes de destinations, nous voyons que c’est vraiment la France qui quelque part s’en tire le « moins mal » de toutes les destinations européennes parce que la France est un pays source en même temps que d’être une destination pour les français. Je pense qu’en tant que citoyen nous avons beaucoup de critiques à émettre sur la manière dont la crise a été gérée. Si nous comparons avec d’autres pays, la France ne s’en sort pas si mal parmi les grands pays destinations. L’Italie en particulier à une image encore aujourd’hui très marquée, c’est un peu injuste car leur situation d’un point de vue sanitaire est assez proche de la France mais nous le voyons bien parce que c’est par eux que la maladie est arrivée en Europe. Nous voyons parmi nos clients allemands que la baisse des ventes pour l’Italie est beaucoup plus marquée que la baisse des ventes pour la France. Donc quelque part la France s’en sort mieux que les pays voisins, nous nous en sortons mieux que l’Espagne aussi dont la situation est compliquée. Je pense que quelque part la réputation de la France s’est plutôt bien sortie de cette crise.
En termes de business pour le groupe, que représente la destination France par rapport à vos autres offres puisque vous êtes présents sur plusieurs pays européens ?
C’est un peu plus de la moitié, ça doit faire environ 60% de notre chiffre d’affaires.
Vous avez annoncé la naissance d’une toute nouvelle marque que vous aviez j’imagine prévue il y a de nombreux mois. Comment se passe ce lancement pour cette marque qui est orientée développement durable ?
C’est compliqué Marvilla Parks l’intention était de regrouper les campings qui sont nos campings. Au sein du groupe et au sein de Homair Vacances en particulier - le groupe historique - nous avons des campings qui nous appartiennent ou qui sont gérés par nous et des campings partenaires -pour rappeler le modèle partenaire c’est quand un opérateur de mobile home met ses mobiles homes chez un camping indépendant -, nous louons 20, 30 ou 100 parcelles à cet indépendant, nous y mettons nos mobiles homes, nos équipes de ménage et d’accueil mais nous sommes chez un indépendant qui reçoit nos clients comme si c’était les siens et lui va gérer tout ce qui est piscine, « paysagement », animation etc.
Nous sommes sur un modèle mixte qui est d’ailleurs une caractéristique originale parmi tous les acteurs importants en Europe. Par contre nous nous sommes dit il y a un an que nous avions passé la taille critique par le nombre de campings que nous opérions nous même, c’est dommage de ne pas les mettre en valeur par une marque et c’est dommage de ne pas se poser les vraies questions à cette occasion-là sur ce que les clients attendent et souhaitent. Nous avons fait tout ce travail depuis 1 an, nous avons beaucoup réfléchi à l’été dernier, à l’automne, nous avons trouvé des axes forts autour du « paysagement » et des grandes lignes concernant la disposition des mobiles homes autour de l’animation. Et puis nous devions avoir un superbe lancement commercial ce printemps qui a quand même été très impacté par l’épidémie et qui nous a obligé à se refocaliser sur les urgences.
Nous avons de toute façon réalisé les investissements que nous avions prévus de faire avant que l’épidémie ne démarre, nous avons donné une nouvelle identité visuelle à nos campings avec l’objectif de donner une identité à chacun de nos campings en plus de la marque Marvilla Parks. Chacun de nos campings à une identité qui est liée à son terroir, liées à la région ou à la ville. Il existe des décorations inspirées des années 30 qui est une époque du voyage rêvée dans laquelle tout le monde se retrouve quelles que soient les classes sociales, quels que soient les pays d’origines. Ce projet a suscité un grand enthousiasme de nos équipes. Aujourd’hui, nous commençons à le présenter à nos clients même si c’est encore tout récent, les premiers retours sont très favorables mais encore trop partiels pour pouvoir tirer des leçons. Au niveau marketing par contre, nous avons fait quelques communiqués de presse mais nous n’avons pas beaucoup poussé sur les réseaux sociaux, sur les médias etc. parce qu’en ces temps de crise, nous avons consacré nos ressources aux marques déjà connues de nos clients.
Homair a surinvesti depuis plusieurs mois, nos marques étrangères également chacune sur leur marché et nous avons focalisé sur les choses qui permettaient vraiment à nos marques commerciales de performer.
Je pense que les clients le remarquent. Du point de vue de nos équipes, c’était très mobilisant de donner une vraie entité et une vraie fierté aux gens qui travaillent là-dessus. Cela les a aidés aussi à passer à travers le Covid-19. Ce projet d’autres perspectives qu’une année dure.
En parlant de projection, vous l’avez dit vous-même les affaires reprennent. Comment cela se traduit-il pour vous en termes de chiffres, comme perspectives pour la saison qui arrive ?
Cela montre que les gens ont toujours envie de prendre des vacances en hôtellerie de plein air et que notre formule est particulièrement pertinente. En ces temps de vigilance sanitaire c’est un plus car la distanciation est naturelle dans un camping, il n’y a pas de couloirs ou d’allées, nous sommes en plein air. Chaque unité d’habitation est séparée du voisin et cela marche très bien.
Évidemment, nous comparons à des semaines ou l’an dernier à cette époque-ci début juillet nous avions pratiquement fini de vendre la saison. Le camping se réserve en avance, il y assez peu de volume sur le last minute, nous en faisons comme tout le monde dans le tourisme mais l’essentiel quand nous arrivons début juillet c’est pratiquement vendu partout et les clients le savent car il y a peu de nos clients qui attendent le last minute pour réserver notamment sur les plus belles destinations, sur les plus beaux mobiles homes.
C’est facile de faire plus de 100% lorsque nous comparons à des semaines qui étaient moins remplies mais ça ne compensera pas toutes ces semaines où le business a été bloqué, où il n’y a pas eu de ventes, où il y a eu beaucoup d’annulations.
Nous pensons que pour le groupe, nous allons faire un chiffre d’affaires d’environ -50% par rapport à l’année précédente.
Évidemment, nous sommes plus impactés que d’autres parce que nous sommes plus internationaux. Sur la destination France, je pense que nous allons être - parce que j’apportais beaucoup de clients étrangers en France -environ à -60%.
Et sur la destination France, qu’avez-vous mis en œuvre au sein du groupe pour essayer de préserver un maximum sa santé financière et sa pérennité ?
Nous avons essayé de réagir comme tout un chacun, nous nous sommes tournés vers nos banques, nous leur avons demandé des PGE (Prêt garanti par l'État), nous avons demandé notamment des reports sur les leasings des mobiles homes. Nous discutons avec beaucoup de propriétaires de campings avec lesquels nous sommes en relation d’affaire, que ce soit des propriétaires indépendants ou par exemple les propriétaires fonciers des campings dont nous sommes opérateurs. Nous avons des discussions assez fructueuses avec tout cet environnement, je trouve que tout le monde joue bien le jeu, il y a eu bien évidemment des exceptions, il y a toujours des gens qui ne veulent rien entendre et qui disent « Moi, le Coronavirus ne m’intéresse pas, un contrat est un contrat, il faut payer ». Heureusement ce n’est pas la majorité, la plupart des gens comprennent que c’est un écosystème, que nous avons besoin de nous serrer les coudes pour passer la saison. Il y a eu la première phase de choc bien sûr, mais le moment difficile sera cet hiver pour l’ensemble du tourisme et pour le camping en particulier parce que nous avons un business saisonnier. Nous fermons à partir de Septembre et donc il n’y aura plus aucune rentrée d’argent dans les campings, de mi-septembre jusque février quand les premiers appels de fonds de clients commencent à être matériellement importants. Cet hiver sera donc très dur, nous pensons que nous allons passer ce moment car nous avons beaucoup travaillé, nous avons fait les prévisions de trésoreries mais c’est relativement juste donc il faut que nous soyons extrêmement vigilants, il faut vraiment que nous ayons le soutien de tous nos partenaires pour y arriver.
Et de la même façon, nous avons souhaité aussi soutenir nos propres fournisseurs, notamment au tout début quand nous étions complétement dans le brouillard, nous avons ralenti les paiements avec nos fournisseurs mais nous les avons honorés. Plus ils sont petits et fragiles, plus nous essayons d’être proches d’eux et de leur verser les sommes pour qu’ils s’en sortent.
Je pense que tout le monde va perdre dans cette crise, toute la filière du tourisme au sens large, tout l’écosystème mais en se serrant les coudes nous pourrons aussi tous survivre.
Comment envisagez-vous le produit camping à moyen voire à long terme à l’aune de la crise que nous sommes toujours en train de traverser et dont nous n’avons pas encore la visibilité sur bout ? Envisagez-vous des mutations ? Si oui, lesquels ?
Nous ferons le bilan à la sortie de l’été mais je pense quand même que cette crise a validé la puissance du concept de l’hôtellerie de plein air et en particulier du mobile home, de la tente avec terrasse et équipements intérieurs ou du chalet parce que cette soif de plein air des gens, nous la voyons déjà depuis 15 ans. En période d’épidémie elle a été renforcée. C’est une période où les gens ont peur des transports en commun, de l’avion etc.
En camping, la très grande majorité de nos clients vient en voiture.
Je pense que nous allons tous rester très marqués par cette crise qui a beaucoup tiré sur toutes nos équipes, qui sont épuisées et extrêmement stressées, qui me disent que les clients qui arrivent au camping sont eux aussi épuisés et stressés. Puis nous allons continuer à faire évoluer nos campings vers plus de confort et en essayant de garder la convivialité. Je pense que chacun a besoin de se retrouver dans cette convivialité après avoir vécu une année stressante.


