Louis Claes partage son expérience et sa vision du secteur en ce temps de déconfinement. Une discussion avec Vanguélis Panayotis, CEO MKG Consulting.
Vous avez un concept qui est très intéressant en Belgique. Notamment un premier établissement à Anvers qui s’appelle Yust, vous avez gagné un prix aux Worldwide Hospitality Awards l’année dernière. Un produit innovant et reconnu en tant que tel par la profession.
Pouvez-vous nous présenter en détail les subtilités de votre concept et comment Yust vit à Anvers ?
Dans le bâtiment, pour commencer, nous avons 75 appartements, des lofts avec télévision et cuisine. Les clients peuvent rentrer avec leur valise et tout est à leur disposition, ils n’ont besoin de rien en plus. Ce sont souvent des contrats d’un mois à un an. Ce sont souvent des expatriés, des gens qui déménagent, toute sorte de clientèle qui a besoin de passer un moment incertain dans leur vie ou ils n’ont pas d’endroit fixe pour vivre.
Au premier étage, nous avons les dortoirs où nous logeons les groupes jusqu’à huit dans une chambre. Ils partagent un dortoir et une salle de bain. Nous avons les chambres d’hôtels classiques que vous connaissez pour deux personnes mais aussi des suites, des chambres de luxe, des chambres ou nous pouvons accepter des personnes B to B, des personnes âgées comme des personnes à plus haut budget.
Ce qui est très important pour notre histoire c’est que nous avons un très rez-de-chaussée, 1.200m2 qui sont en partie, environ 300m2, privatifs, uniquement pour les habitants et pour les gens de l’hôtel et une grande partie 500m2 de restaurant et évènements. Nous avons un event manager qui est à plein temps et qui stimule l’atmosphère, le contact social, qui organise des évènements, des vernissages, des apéros. Dans l’offre du « long stay », nous avons des appartements hauts de gammes. Nous pouvons très facilement nous adapter s’il y a moins de demandes dans le « long stay » que dans les appartements à court terme d’un mois à un an mais nous pouvons changer l’affectation et l’ajouter à l’offre de prix. C’est quelque chose que nous avons fait depuis le début, nous avons construit 60 appartements « Long stay » et 10 chambres d’hôtels avec dortoir, nous avons remarqué que hôtel a eu beaucoup de succès, les gens ont beaucoup aimé le produit. Petit à petit, nous avons commencé à augmenter notre offre dans le domaine de l’hôtellerie, nous voyons beaucoup plus de gens rester une nuit ou deux nuits ou trois nuits et c’est comme cela que nous avons augmenté.
Et le 15 mars, avant le confinement, nous avions, je dirais 35 à 40 habitants long terme et 35 à 40 chambres d’hôtel libres.
La majorité des hôtels à Anvers sont fermés, il y a 50 hôtels, je crois que 35 ont fermé, donc plus de 70% ont fermé. Nous avons longtemps hésité et réfléchi sur le fait de rester ouvert ou fermé. Nous avions nos « long stay » avec 40 personnes qui logeaient ici en longue durée. Nous étions resté ouvert en tant que minorité des 30%. Nous avons eu 55 personnes qui logeaient en mars, c’est descendus à 45 personnes au mois d’avril mais ça a bien repris car au mois de mai, nous avons eu 55 personnes qui logeaient, au mois de juin 50 personnes qui logent donc nous voyons qu’il y a une énorme résilience, les gens continuent à venir.
Merci Louis, nous avons bien compris le concept, d’ailleurs nous avons pu voir au travers des images à quoi cela ressemblait.
Souvent nous nous posons la question justement sur ces concepts hybrides ; avant le lock down, quel était votre mix clientèle, comment cela s’articulait entre les résidents « long stay » « short stay » et locaux ?
Cela fait un an que nous sommes ouverts, nous avons très longuement réfléchi sur comment nous pouvions définir notre client parfait, nous avons des gens dans les dortoirs qui ont entre 18 et 25 ans, nous avons aussi des personnes dans des « long stay » qui dépensent beaucoup d’argent. Notre bottom line en anglais c’est « anyone who’s young by heart » donc n’importe quelle personne qui a une âme un peu plus jeune et qui est prête à rencontrer du monde et qui voyage, qui bouge ou qui fait partie d’une communauté fait partie de notre concept.
Votre marketing mix c’est le mindset des gens, c’est d’avoir un esprit jeune au quotidien, d’avoir envie de vivre et de partager des expériences ?
Tout à fait, un esprit jeune, un esprit qui veut faire partie d’une communauté, qui veut avoir des contacts avec d’autres personnes, qui veut apprendre sur les autres.
Un restaurant pouvait avoir jusque 80 personnes, 10% des gens de l’hôtel pouvait y manger, 90% viennent de l’extérieur, c’est vraiment le but d’interagir entre les « long stay » et les jeunes de l’hôtel, avec la liberté de ne pas arriver dans un hôtel Hilton qui est plutôt corporate.
Vous n’avez pas fabriqué ce concept pour la période de lock down et de Covid-19 que nous avons vécu maintenant mais malheureusement c’est quand même arrivé. Quelles sont les leçons que tu tires de cette crise ? Finalement vous avez pu faire un stress test de la résilience de votre concept ?
Oui, nous avons vu beaucoup nos concurrents hôteliers fermer l’un après l’autre des mesures dramatiques qui étaient vraiment prises très rapidement.
Nous devions rester ouverts pour le long stay. Il n’y avait pas une grane ambiance dans le bâtiment, plus d’événements, le restaurant fermé. Nous gardions le lobby ouvert 5 à 6 heures par jour, suffisamment pour des clients qui ne pouvaient plus « handle the situation at home », vivre avec leurs enfants âgés de 18/19 ans et qui me disaient « S’il vous plait, pouvez-vous me trouver une chambre mon fils ou ma fille qui est dans sa puberté, on voudrait le loger chez vous ».
J’ai aussi eu des gens dont les fils ou les parents travaillaient dans le domaine hospitalier, qui étaient en contact avec les personnes Covid et qui ont passé le confinement chez nous.
Nous avions eu une petite baisse en avril dans les appartements « long stay » mais en fait c’est resté stable pendant toute la période et nous pouvons vraiment dire aujourd’hui que la possibilité de pouvoir changer entre le « long stay » et hôtel et de pouvoir s’adapter très rapidement à la demande nous a fait survivre cette période beaucoup mieux qu’un hôtelier.
Sans trahir de secret, peux-tu nous donner un petit peu d’insight sur la répartition du chiffre d’affaires entre disons une activité qui ressemble à de l’hôtellerie ou très court séjour, une deux trois nuits, des choses un peu plus longue, une partie F&B ? Quels sont les grands équilibres en temps normal ?
Je dirais qu’environ 40% de notre chiffre d’affaire est fait dans le domaine de l’hôtellerie, probablement 30 à 35% dans la restauration et 20 à 25% dans la partie « long stay ». Mais c’est un choix que nous avons fait car nous voyons qu’il y a beaucoup de demandes dans le domaine de l’hôtellerie, il y a beaucoup de clients qui recherchent une expérience Yust dans son court terme. L’offre et la demande se mettent en place. Mais très rapidement quand le confinement démarre, la situation change très rapidement et le « long stay » prend la relève, nous avons aussi fait du « take away », 95% de notre chiffre d’affaire est grâce au « long stay ». Nous réalisons que nous sommes heureux d’avoir un système hybride car nous survivrions difficilement sinon.
Il est vrai que tout le monde parle de l’hybride ces dernières années mais nous nous demandions si c’est vraiment c’est un bon concept, nous voyons là que mieux vaut être flexible et agile et avoir des actifs qui sont hybrides et qui peuvent jongler sur des flux de revenus qui sont un petit peu différents, c’est une belle démonstration que nous avons pu voir. Quel est votre plan de développement ? J’ai cru entendre vers Bruxelles ou autres, quel est le « pipeline » des concepts Yust ?
Nous ouvrons à Bruxelles en 2022, nous sommes actuellement en train de construire, nous espérions ouvrir fin 2021 mais vu la situation actuelle cela sera compliqué.
Après pour ne pas vous donner trop de détails, l’ambition est plutôt large, nous aimerions en ouvrir davantage mais nous sommes allés dans une direction avant le Covid-19 et maintenant nous remettons tout sur table, nous voulons toujours grandir nous devons voir où car je pense la crise du Covid-19 doit faire l’objet d’une étude plus approfondie. C’est toujours très compliqué de faire comprendre à des banquiers ou des investisseurs que nous n’étions pas un concept hôtelier, il faut vraiment comprendre qu’il s’agit d’un concept hybride.
La plupart des investisseurs et banquiers nous disaient « On vous compare avec un simple hôtel » donc souvent plus risqué en termes d’investissement. Maintenant nous sommes très fiers de pouvoir prouver aux banquiers et investisseurs le contraire, nous avons presque envie de leur dire « Regardez comment on arrive à vivre avec notre concept hôtelier ».
Vous qui avez travaillé sur une page blanche au début et ensuite avez créé ce concept hybride parce que vous vouliez avant tout répondre à de nouvelles attentes et nouveaux modes de consommation. Comment pensez-vous que le Covid 19 va amener des changements durables dans les attentes des clients et dans la manière dont les personnes vont voyager que ce soit en courte ou longue durée ? A date sans avoir de boule de cristal sentez-vous que les petits éléments qui vont peut-être rester et qui nous viennent de cette crise du Covid-19 ?
Souvent les gens préfèrent avoir leur chez soi, même pour quelques jours par semaines voire quelques jours par mois, il y a des compagnies qui louent un appartement par mois en « long stay », il y a plusieurs personnes de l’entreprise qui viennent, ce n’est pas toujours la même personne qui va loger. Cela va s’accentuer suite au Covid 19. Les clients vont rechercher leur bulle dans laquelle ils savent que personnes d’autre n’a été. Ça va être un challenge de voir comment le client réagit à tous ces changements.
Notre métier est avant tout la socialisation et c’est bien pour cela que vous avez des parties communes, un restaurant, de l’animation de l’Event Management aux seins des parties communes donc il est vrai que ce sujet de la socialisation est important que nous le retrouvions.
À court terme, nous ne savons toujours pas ce qu’il va se passer probablement peut-être que nous aurons un vaccin et que cela sera un peu plus lisible, nous allons revenir petit à petit à la normale. Pensez-vous que les clients corporate vont aussi changer leurs habitudes parce que c’est vrai que nous ne savons pas demain dans quel contexte nous allons être ? Combien représente le mix clientèle chez vous entre le loisir et le corporate ?
Le client corporate ne recherche plus l’hôtel classique, nous devons plus faire la part des choses « leisure corporate », les nouveaux corporate plus jeune ne s’intéressent plus à cela mais c’est justement ce que chez nous, nous remarquons pré ou post Covid, les corporates veulent faire partie du leisure, des événements, de l’ambiance.
”At the hotel, at home” au bureau, je crois que cela a beaucoup changé, les gens viennent travailler au soleil ou en bas dans le lobby et ce qui est très important c’est que nous avons maximisé les parties communes là où beaucoup d’hôteliers ont maximisé les chambres. Cela porte ces fruits.
Même sans plastique PVC pour isoler les guests, nous arrivons à réussi maintenir les capacités car nous avons beaucoup d’espace. Nous sommes à 80% de capacité de ce que nous avions avant dans le restaurant.
Pour le moment, nous ne remarquons qu’uniquement les avantages.
Louis, merci beaucoup d’avoir partagé votre avis et de nous avoir exposé pour de vrai le stress test hybride en cas de crise. Je pense assez intéressant.
Bon vent et bon courage pour les prochains projets et j’espère que vous allez rapidement trouver un mapping après la Belgique, peut-être un peu en Europe, j’imagine que c’est l’ambition que vous portez. Merci beaucoup et à très bientôt pour suivre un peu l’histoire de Yust.