Alexandros Vassilikos, président de l’HOTREC depuis janvier 2023, œuvre depuis 2018 pour fédérer les hôteliers grecs dans leurs problématiques communes. Après 2 mandats au sein de l’ExCom (ou Comité Exécutif) de l’HOTREC, il a pris la décision de se présenter pour de plus grandes responsabilités. Fervent adepte de l’action, il dessine dans cet entretien les priorités de l’HOTREC pour ses membres. Hôtelier depuis 23 ans, il est partisan d’une démarche proactive sur les sujets centraux qui animent le secteur.
Quels ont été les éléments qui vous ont décidé à candidater à la présidence de l’Hotrec ?
J’ai intégré l’HOTREC en 2018 en tant que président de la chambre des hôteliers de Grèce. Je suis ainsi entré dans une très belle famille, qui m’a beaucoup inspirée, dont je me suis rapidement senti un membre à part entière. Je me suis donc logiquement présenté comme membre du Comité Exécutif dans lequel j’ai effectué deux mandats. Ce furent deux mandats très « sportifs » car en pleine période de Covid 19. Nous avons été profondément plongés dans une situation que personne n’avait anticipée. Nous nous sommes beaucoup investis durant cette période, ce qui a consolidé les liens déjà existants. Cela nous a démontré les avantages d’être ensemble durant une période aussi difficile.
D’autres présidents d’autres pays m’ont encouragé à prendre cette décision qui correspondait également à mes aspirations.
Je vois les possibilités qui s’offrent à nous au niveau national lorsque l’on s’implique pour le bien commun. C’est une échelle où il est possible de mettre en pratique des actions pour faire face aux défis que le secteur rencontre : développement durable, transition numérique pour n’en citer que quelques-uns. Ce sont deux sujets qui étaient avant le Covid des idées abstraites avec des plans à 5 -10 ans sans réelle nécessité de mise en œuvre rapide. Le Covid a accéléré toutes ces tendances et nous a fait prendre conscience que nous avons la possibilité de faire changer les choses de façon substantielle. C’est ce qui m’a poussé à vouloir agir au niveau européen.
Sortir des concepts et rentrer au fond des choses, c’est je pense un grand challenge pour le futur. Ce n’est pas simple au niveau européen mais c’est très intéressant et plaisant de travailler sur ces sujets. Il y a beaucoup de régions et de caractéristiques différentes, il est donc normal qu’il y ait des points de vue différents. On ressent toutefois au sein de l’HOTREC une volonté commune d’aller vers ces changements de manière offensive.
Je vis ça comme un challenge vivant et passionnant. Avec 2 millions de sociétés et 12 millions d’employés, nous avons la possibilité de faire une grande différence, nous en avons la responsabilité.
Constatez-vous une progression de l’importance de la prise en compte des sujets tourisme au sein de l’Union européenne post Covid 19 ?
Cela dépend des dossiers, certains ont un impact régional, d’autres sont plus spécifiques à certains pays. Les choses ne sont pas réellement différentes, durant la crise nous nous sommes beaucoup interrogés sur ce que serait le lendemain. De nombreuses hypothèses ont été émises, avec par exemple celle de la fin du tourisme de masse. Nous avons en réalité été témoins d’une très grande résilience du tourisme. Cette reprise a été baptisée Revenge Tourism. Nous avons constaté un rebond du secteur bien plus rapide qu’anticipé. Bien que cette reprise ait des caractéristiques très spécifiques, elle est très encourageante.
Les gens n’avaient pas voyagé pendant 2 ans et avaient de l’argent de côté. Nous sommes toujours dans cette tendance à voyager pour combler ce manque. Nous ne pouvons pas estimer combien de temps cela va durer. Il y a des pressions importantes sur les ménages européens. Malgré les circonstances, cette reprise nous a permis de revenir à la surface.
A moyen terme, les sujets de transition numérique, développement durable, formation et accessibilité restent les priorités. Cela n’a pas changé. Tous les scénarios qui ont été envisagés, à juste titre, ne se sont pas réalisés. Le monde a repris sa marche normale mais avec une vision bien plus stricte sur les valeurs qualitatives que l’on veut associer à l’hôtellerie, à la restauration. Je pense que tout le monde a compris que l’on ne va plus vers la quantité mais vers la qualité. Il y a une multitude d’acteurs liés au tourisme dans le monde, la grande majorité étant des petites sociétés. Elles représentent une partie cruciale de la couleur locale, de l’économie locale, notamment à travers des effets démultiplicateurs vers d’autres industries. L’industrie du tourisme représente 8% du PIB européen.
Les valeurs du tourisme sont de nouveau mises en avant. Découvrir et accepter des cultures différentes ce sont des valeurs fortes. C’est un phénomène qui remonte aux civilisations antiques, il faut jouer sur cela avec les tendances propres à notre époque.
Quels sont vos dossiers prioritaires ?
Il y a plusieurs niveaux de travail. Nous ne pouvons pas occulter les actualités et par exemple le fait qu’il y a une guerre en Europe. Cela entraine des répercutions économiques et géopolitiques. Le tourisme est une industrie fragile et il y a une actualité qui nous inquiète car il y a un impact sur les prix de l’énergie. Le secteur doit également faire face à l’inflation sur tous les produits et à une actualité bancaire potentiellement inquiétante. Même si nous n'allons pas forcément vers une crise bancaire, ce que tout le monde espère, il y a des taux d’intérêts qui sont fortement en hausse et la tendance actuelle n’est pas à leur stabilisation.
Nous devons donc tenir compte du fait que sur le P&L de nos membres, il n’y a pas une ligne qui ne soit pas en hausse. Que ce soit les coûts de personnel, de l’énergie, du F&B… Ces éléments nous obligent à nous pencher sur des chiffres. Au niveau européen, les faillites au dernier trimestre 2022 ont augmenté de 100%. Ce sont des chiffres qui doivent nous inquiéter.
L’actualité doit être combinée avec les challenges à long termes auxquels nous croyons et dans lesquels nous sommes investis. Nous devons toutefois arbitrer en fonction des actualités. Nous faisons notamment aujourd’hui face à une forte pénurie de main d’œuvre, caractéristique de la période post Covid. Les raisons de cette pénurie sont très nombreuses. L’UE a décider de faire de 2023 l’année des compétences. Au niveau de la main d’œuvre, il faut traiter le sujet sur les aspects qualitatifs et quantitatifs, ce qui n’est pas simple à combiner.
Nous travaillons également sur les sujets liés à l’écologie. Que cela soit la performance énergétique des bâtiments ou encore les emballages. Nous avons des groupes de travail très actifs et notre équipe à Bruxelles est en discussion avec des acteurs européens autour des sujets du traitement des déchets, des emballages réutilisables.
Nous travaillons bien sûr sur d’autres challenges comme les locations de courte durée. Il y a actuellement une discussion assez avancée au niveau européen et nous avons beaucoup œuvré à la faire progresser. Il nous faut prendre ce sujet à bras le corps. On voit poindre de nouvelles tendances qui peuvent potentiellement aliéner des destinations. Notre premier rôle est évidemment de protéger nos membres d’une concurrence déloyale mais, au niveau européen, cela devient de plus en plus une question sociale. Les logements de courte durée ont des répercussions sur les centres urbains ou encore les îles avec la hausse des loyers pour les locaux. Dans certaines destinations il n’y a plus de logement pour les gens qui doivent vivre sur place. Cela conduit à des stations balnéaires qui deviennent de grands parcs d’attraction, beaucoup trop pleins l’été et fermés l’hiver – complètement à l’encontre des tendances de croissance durable. Ce qui a de fortes répercussions sociales, a fortiori pour des destinations plus isolées comme les îles, et ces répercussions seront sévères dans le futur. Il est donc primordial d’avoir un dialogue à différents niveaux. Que ce soit au niveau européen, national ou local afin que chacun puisse prendre ses décisions en ayant une vision globale des problématiques. Nous le vivons dans de multiples destinations européennes. Par exemple en Grèce, il y a des îles qui commencent à rencontrer de sérieuses difficultés pour loger des professeurs. Il y a des quartiers dans des villes d’Europe où les mairies s’interrogent sur la nécessité de fermer des écoles dans le centre car les zones sont désertées par les familles.
Ces sujets ne peuvent pas passer inaperçus et vont changer la façon de vivre sur ces territoires. Cela doit être prioritaire en dehors de la concurrence déloyale instaurée avec le secteur hôtelier. Nous avons d’un côté un secteur très régulé, celui de l’hôtellerie, et de l’autre celui de la location de logement de courte durée qui manque de régulation y compris du point de vue de la protection des consommateurs.
Nous devons changer notre approche et nous moderniser dans notre façon de penser. Je fais le choix de parler énormément aux étudiants et aux jeunes car il faut aussi penser à long terme. En Grèce, nous enseignons désormais en option l’hospitalité dans les écoles. Nous avons fait un premier cycle pour le primaire, nous sommes en train de faire un cycle pour le collège. Nous y introduisons les valeurs de l’hospitalité dès les plus jeunes âges.
Il faut investir sur la génération suivante et nous devons changer notre image en tant qu’industrie et professionnels.
Les hôteliers et restaurateurs sont traditionnellement très défensifs par rapport à la technologie. J’ai pour ma part une approche totalement différente. Je pense que l’on doit aider la technologie et investir dans la technologie. Nous hôteliers n’avons jamais réellement fait de propositions dans le secteur du numérique. Nous n’avons jamais investi ensemble pour créer notre propre technologie. Il y a des écosystèmes qui existent. En Grèce nous avons créé un accélérateur pour les start-ups du tourisme et j’ai l’intention de beaucoup travailler sur ce sujet avec l’HOTREC. Il y a aujourd’hui énormément de communautés et d’écosystèmes de start-ups en Europe ciblés sur l’hôtellerie et la restauration mais ils communiquent peu entre eux. C’est une très grande différence que nous avons par rapport aux Etats-Unis. L’accélérateur de Los Angeles va parler quotidiennement avec l’accélérateur de New-York alors qu’un accélérateur à Oslo ne va pas échanger avec un accélérateur à Athènes. Il faut créer un écosystème européen qui apportera de la valeur ajoutée aux jeunes créatifs qui s'investissent dans le numérique et en même temps aux hôteliers, restaurateurs qui doivent évoluer avec les tendances actuelles
En tant qu’hôtelier et restaurateurs, nous devons également nous réinventer pour devenir plus attractifs.
Pour travailler sur toutes ses ambitions, nous pouvons compter sur nos membres. Nous serons en capacité d’annoncer en octobre prochain, à notre congrès de Bruxelles, un plan d’actions qui changera la façon dont nous abordons les problématiques. Nous serons plus offensifs et réactifs pour aller de l’avant.
De mon point de vue l’HOTREC est une plateforme extraordinaire dont le travail sort enrichi des différences entre les membres.