Fabrice Collet, président et CEO B&B HOTELS, partage les défis auxquels le secteur doit se confronter ainsi que ses ambitions pour B&B HOTELS. Retrouvez ici son partage lors du Hospitality Operator Forum.
Nous vivons un moment assez merveilleux en réalité, souvenons-nous qu'en 2019, en terminant l'année nous nous sommes tous dit que c’était une année référence de l'industrie. Pensant que des années comme celle-là avec des RevPAR et une activité aussi élevée nous n’en verrions pas beaucoup. Nous n'avions pas tort car la suite n'était pas idéale. Nous sommes ensuite passés à travers le covid et aujourd'hui nous avons des RevPAR qui sont extraordinaires, au-delà de 2019. Je pense que l'ensemble de l'industrie sera en accord avec ce constat mais je parle bien sûr surtout de ma paroisse, c'est-à-dire de l’hôtellerie économique.
Nous voyons des clients qui voyagent avec beaucoup d'enthousiasme. Nous observons également que nous arrivons à passer des hausses de prix assez considérables auprès de nos clients. Il est vrai que cela ne compense pas tout à fait la hausse des coûts. Ce n’est pas faux mais quand on regarde les marges en euros, elles progressent, portées par ces hausses de prix. Personnellement je n'y croyais pas, je n'imaginais pas un instant qe nous allions passer des hausses de prix de 10, 15, 20 % et que les clients allaient suivre. Ils suivent alors qu'ils ont des problèmes de pouvoir d'achat, alors que l’on est dans un contexte économique un peu étrange. Ils suivent également parce qu’ils adorent voyager, ils adorent notre métier et qu’après une période durant laquelle ils ont été enjoints à rester chez eux, ils aspirent à voyager, ils aspirent à se réunir, à se rencontrer et ils redonnent ainsi un sens à notre métier ce qui est absolument merveilleux. Nous ne l'avons pas volé car nous sommes passés par des moments un peu difficiles, où il s’agissait de survivre.
Demain quels sont les enjeux ? Comment allons-nous réussir à créer de la valeur dans l'hôtellerie ? Comment allons-nous réussir à avancer encore, à progresser ? Quelles sont les chausses trappes à éviter ?
Chez B&B HOTELS nous nous intéressons aux États-Unis depuis quelques années. Nos actionnaires sont américains : Goldman Sachs. Cela fait un certain temps qu’ils nous incitent à nous intéresser à ce marché. Nous y allons en gardant à l’esprit que c'est le pays qui a inventé l'hôtellerie, qui a inventé l’hôtel économique et qui a inventé l’hôtel de chaîne.
Le produit Motel faisait rêver il y a 30 ans. C'était moderne, efficace, sympa avec la voiture devant l'hôtel, la chambre propre, le grand lit, la télévision. C’était fantastique. Aujourd’hui ce n'est plus ça. L’hôtellerie économique américaine ce sont des prix affichés à 99 dollars la nuit et en réalité c’est loué à la semaine pour ce tarif. C'est loué à des hôtes qui viennent de perdre leur maison et pour qui c'est la dernière étape avant ce qu'on appelle le Trailer Park, soit le champ de mobil-home.
En poussant un grand nombre de portes, j'ai vu des hôtels dans un état de décrépitude avancé, j'ai été très étonné. J’ai également été étonné par la prépondérance du key-money dans la négociation des contrats. Généralement ce qui n'a pas de prix, n'a pas de valeur. Ces pratiques traduisent que ces marques ne tiennent plus leurs promesses vis-à-vis des clients qui évitent de séjourner dans ces établissements quand ils en ont les moyens. Ces marques n'ont plus de valeur non plus pour leurs franchisés.
Nous avons réalisé une étude en interne pour constater qu’un hôtelier qui appose une marque comme Marriott sur sa devanture, sur le sol américain, va la garder en moyenne 40 à 50 ans, c’est admirable. En revanche quand on rentre dans le budget et l’éco, la fidélité est loin d’être la même. Ce constat nous a poussé à prendre la décision d’essayer d'ouvrir des hôtels aux États-Unis. Je ne veux pas masquer la réalité. Ainsi cela fait 10 ans que nous visons le marché brésilien nous avons aujourd’hui 6 hôtels et pour la première fois depuis 10 ans, nous ne perdons pas d'argent. Nous projetons d’avoir 2 000 hôtels dans trois ans.
Ce constat doit nous pousser à nous interroger sur les raisons qui font que cette hôtellerie économique américaine, qui était de grande qualité, qui faisait rêver tout le monde, est devenue quelque chose qui n'intéresse plus grand monde. Nous pensons que la principale cause de ceci c'est un événement financier qui a eu lieu au début des années 90. Marriott, qui était propriétaire de ses hôtels à l'époque, a rencontré des problèmes financiers liés à sa croissance. Ils n’arrivaient pas à financer leur portefeuille de d'hôtel. Ils ont alors créé une société qui s'appelait à l'époque Host Marriott. Aujourd'hui Host est le plus gros propriétaire Murs et Fonds de la planète.
Ce fonctionnement a été lancé à l’initiative de financiers avec une vision de la valeur boursière. Selon le raisonnement suivant : 1 + 1 égalent 3. Un opérateur hôtelier intégré ça vaut 10 fois l’EBITDA, en revanche quand vous séparez les deux, un opérateur dit asset light vaut 15 fois l’EBITA. Les loyers dégagés par la société immobilière ajoutent de la valeur pour atteindre 20 fois son EBITDA.
Cette approche à quelques conséquences. La première c'est qu’elle désaligne le propriétaire de la marque, qui rêve que sa marque soit forte solide attractive de grande qualité, de l'opérateur. Lui a deux questions à se poser :
- Ai-je envie d'exploiter mon hôtel avec une approche patrimoniale ; c'est à dire que c'est un actif que je veux valoriser dans lequel je veux investir dont la qualité importe pour moi
- Veux-je l'analyser comme un objet financier
La bonne nouvelle c'est que visiblement, dans les hôtels haut de gamme, les gens ont plutôt tendance à choisir d'investir dans les actifs. Quand on regarde ce que fait Bill Gates avec Four Seasons ou ce que fait le sultan de Brunei avec ses actifs, ils ont une approche très patrimoniale. C’est également vrai chez les franchisés européens qui sont généralement des groupes familiaux. Ils investissent dans leurs actifs, ils pensent à la génération d'après ils font de très beaux efforts et la qualité est là.
Il ne faut jamais lâcher, surtout dans l'hôtellerie économique, le combat de la qualité et de l'investissement.
Il y a une dizaine d'années chez B&B HOTELS, je découvrais ce métier et objectivement il m'arrivait de me poser une question. Doit-on après un certain stade du cycle de vie d’un hôtel économique, lui faire changer de destination ? En 2016, nous avons pris un pari responsable, de mettre de l'argent dans ces hôtels. Nous sommes allés voir nos actionnaires en leur donnant un budget de 100 millions d’€ pour le réseau français. Une fois les investissements faits, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait un retour sur investissement absolument considérable. Quand vous investissez intelligemment dans la rénovation d'un hôtel économique, en investissant dans des choses qui se voient et qui font plaisir aux clients, vous avez un retour sur investissement qui est de l'ordre de 15 à 20 %, ce qui est spectaculaire. En continuant cette démarche, nous nous sommes rendu compte que l’on pouvait aussi reprendre des hôtels existants et les convertir à notre concept.
Par ailleurs, on constate aujourd’hui une forte évolution du mix clientèle, y compris dans notre secteur. Il y a aujourd'hui des gens qui ont tendance à aller s'habiller chez Shein et chez Chanel. Cette tendance se retrouve dans l’hôtellerie. On va vouloir un jour aller dans un hôtel fantastique avec une expérience lifestyle marquante et le lendemain, aller passer une nuit simple efficace quelque part en jouant le prix. Ce sont des comportements très polarisés ou une fois on va chercher l'expérience un moment mémorable une vue merveilleuse et un autre fois, l'efficacité, la simplicité et le prix. L'entre-deux est un sujet qui est un peu délicat.
Quand il y a une hôtellerie économique de qualité, le sujet du midscale est un sujet qui devient plus prégnant.
Il me semble que demain, les gagnants dans l'industrie hôtelière, seront ceux qui arriveront à regrouper sous un même pavillon, la marque et les actifs pour aligner la gestion de tout ça sans y mettre de force perturbatrice.
Pour ma part, dans l’hôtellerie économique, les deux marques que je trouve les plus remarquables par la manière dont elles apportent une qualité constante et régulière à leurs produits sont Motel One en Allemagne et Premier Inn en Grande-Bretagne. Les deux fonctionnent comme cela, ils ont intégré leur système et cela fonctionne très bien. D’autant plus pour Premier Inn qui est une entreprise cotée à laquelle les analystes financiers s’intéressent très régulièrement. Ils n’ont pas oublié que l'intégration était la clé du contrôle de la qualité et que la qualité c'est la clé de la satisfaction de nos clients. La satisfaction de nos clients c'est la clé du succès de notre industrie. Il est fort probable que demain il y ait de nouveau un regroupement entre les actifs et les marques.
La bonne nouvelle c'est qu’avec la hausse des taux d'intérêt, l'équation change. Cette situation devrait permettre de réajuster la valeur immobilière, cette période sera une fenêtre historique.
Comment s'assurer que cette industrie ne meure pas ? Nous avons deux problèmes mortels dans ce métier, le premier c'est la pénurie de main d'œuvre. Derrière cette pénurie, il se cache l'idée de dire finalement le travail n'est pas forcément un truc extraordinaire, les loisirs c'est beaucoup mieux. Or, il se trouve que dans les hôtels on a besoin de personnel donc comment fait-on pour travailler sur le sujet ? Je pense qu'il y a deux directions évidentes :
- Comment faire pour ne pas utiliser à tort et à travers du personnel quand on n’en a pas besoin ? Le check-in automatique c'est quand même mieux que le check-in procédure. Cela permet d’avoir des gens à l'entrée des hôtels pour accueillir les clients leur demander s'ils ont fait un bon voyage, leur recommander un restaurant, leur suggérer quelques attractions, visites dans la ville. Il y a également des pistes dans le nettoyage avec des robots. Des aspirateurs qui vont nettoyer toute la partie basse de la chambre pendant que le personnel de nettoyage lui va nettoyer la partie haute. Cela fait moins mal au dos, demande un peu moins de travail et donc, un peu moins de personnel. Ce sont des métiers que nous rencontrons des difficultés à staffer.
- Il y a également le sujet de l'ascenseur social et de la formation qui a déjà été abordé pendant la journée. Nous sommes en train de lancer un CFA, nous avançons avec enthousiasme sur le sujet. Nous avons comme objectif de staffer avec de la discrimination positive au maximum. Tout ce que l’on demande, c'est d'avoir envie de prendre le bon chemin et nous allons les aider. Nous avons tellement de belles histoires chez B&B HOTELS de gens qui par leur naissance n’étaient pas prédestinés, statistiquement parlant, à avoir de belles carrières et qui aujourd'hui sont des patrons d'hôtel indépendants et des modèles pour leurs communautés
Il reste un travail de communication à faire nos métiers absolument formidables d'ascension sociale, qui ouvrent des possibilités des choix de carrières.
- Le deuxième mal mortel auquel nous sommes soumis, c'est la pensée qui voudrait que voyager soit mal. C'est une pensée qui se diffuse de plus en plus. Je rêve qu’il y ait des étiquettes environnementales pour les voyages comme pour l’électroménager. Cela inciterait tous les hôteliers à se battre pour être bien notés. On se rendra également compte que la destination France est une destination de rêve, avec un mix énergétique qui, du point de vue du carbone, est absolument exceptionnel.
Nous disposons d’un réseau de transports qui sont absolument remarquables, avec un réseau ferré très développé. Nous sommes très en avance sur l'isolation des bâtiments. Nous ne sommes pas parfaits. Toutefois, la comparaison nous permettra de nous rendre compte que voyager en France c'est probablement une des, si ce n'est la destination, la plus respectueuse de l’environnement. Nous devons tous aller dans cette direction qui nous distingue des autres destinations.