« Nous sommes dans un monde très instable avec de plus en plus de tensions géopolitiques »

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Publié le 21/11/23 - Mis à jour le 22/11/23

Hospitality Asset Forum

L'économiste Christophe Barraud et Vanguélis Panayotis, CEO de MKG Consulting, analysent le contexte économique et géopolitique et son impact sur le secteur de l'hospitalité. Si l'économiste appelle à la prudence, il se veut toutefois confiant quant à l'avenir de l'investissement dans le secteur hôtelier avec un grand nombre de signaux au vert.

Vanguélis Panayotis : Dans ce duo, Christophe Barraud parlera de macro tandis que je traduirai les impacts que cela pourrait avoir sur l’industrie hôtelière.

 Si nous observons notre secteur à l’échelle mondiale, en se concentrant sur les trois grandes zones leaders que sont la Chine, les Etats-Unis et l’Europe, nous remarquons le retournement durant la période Covid suivi d’une phase de normalisation sur la demande. Nous pouvons voir que ce mouvement a été plus poussif sur le marché chinois en raison de l’incertitude et de la volatilité. 

Christophe Barraud : L’idée est de couvrir les principales thématiques macroéconomiques et financières qui impactent l’ensemble des marchés mais aussi le monde entier. La Chine est un vrai sujet aujourd’hui. Le point positif est que l’industrie hôtelière se porte bien. Toutefois, le pays est dans une phase où l’activité devrait ralentir à nouveau l’année prochaine. 

Le rebond post-Covid a été relativement décevant en Chine contrairement aux autres pays développés. Si nous excluons le secteur de l’hospitalité, il rentre dans une phase où il y aura des pressions négatives qui s’expliquent par divers facteurs cycliques comme structurels. 

Le premier facteur est que le pays est toujours dans une phase de normalisation sur le plan immobilier, avec l’éclatement d’une bulle en 2021 qui se poursuit. Nous sommes toujours dans un schéma où les volumes de transactions et les prix baissent malgré une tentative de rebond en début d’année. 

C’est un problème majeur pour la Chine puisque cela impacte le secteur de la construction mais aussi la consommation des ménages. Le patrimoine des ménages chinois est centré sur l’immobilier, cela représente entre 60 et 70% de leur patrimoine total. Le fait que le marché soit sous pression impacte donc leur niveau de confiance et leurs dépenses.

A cela s’ajoute toutes les incertitudes autour des frais liés à l’éducation et à la santé. Nous notons, par ailleurs, un renversement démographique en Chine qui va également peser négativement sur les perspectives de croissance à moyen et long terme. 

Pour rappel, 2012 était la première année où la population chinoise diminuait depuis des décennies et cela va vraisemblablement se produire à nouveau dans les années à venir. 

L’autre point majeur qui impacte l’environnement chinois, ce sont toutes les tensions actuelles, sur le plan commercial comme géopolitique. Les tensions commerciales avaient débuté sous l’ère Trump et cela s’est amplifié avec les récents conflits. Si bien que dans les données macroéconomiques que l’on peut observer aujourd’hui, il y a davantage de capitaux sortant de la Chine que de capitaux entrant. 

Nous sommes dans un monde qui devient protectionniste, où les entreprises chinoises vont avoir plus tendance à se centrer sur leur marché domestique. Un phénomène qui touche également le secteur de l’hospitalité.

Vanguélis Panayotis : Intéressons-nous à présent à la géopolitique, en se basant sur toutes ces données macroéconomiques qui rappellent également le poids de la Chine dans le commerce mondial. Il y avait notamment eu cette géopolitique de l’influence économique des acteurs chinois sur le tourisme avec des rachats. 

Nous observons depuis 2012 cette montée en puissance des groupes chinois. Un phénomène qui reposait sur deux piliers. Un pilier de croissance porté par leur marché domestique avec de nombreuses ouvertures d’hôtels et de chambres. Un second pilier de croissance qui reposait sur l’acquisition, dont le rachat du Club Med et de Louvre Hotels Group, ainsi que la montée au capital de plusieurs entreprises.

Alors que ces dernières années, nous assistons à une cession des activités, comme Carlson aux Etats-Unis à Choice Hotels Group. La question est désormais de savoir si les acteurs économiques chinois vont continuer d’être des acteurs de la croissance externe sur les acquisitions.

Il semblerait que ce soit moins le cas puisqu’ils décident de se focaliser sur leur marché domestique qui possède encore des relais de croissance. Il y a encore une certaine marge pour atteindre la taille critique de leur marché domestique. Allons-nous constater ce recentrage au niveau domestique et régional de l’influence économique chinoise sur le secteur de l’hospitalité ? 

Christophe Barraud : Nous sommes dans un monde très instable avec de plus en plus de tensions géopolitiques dernièrement. Au-delà de toutes les tensions pures, l’attention se focalise sur les conflits qui ont lieu comme en Ukraine et en Israël. Le risque aujourd’hui est de connaître un nouveau choc énergétique, plus concentré sur le pétrole.

Nous sommes dans une phase de déficit, c’est-à-dire qu’il y a bien moins d’offre de pétrole que de demande. Cela provient de facteurs aléatoires mais également volontaires puisqu’il y a des producteurs, comme la Russie et l’Arabie Saoudite, qui limitent leur production. 

Nous avons aussi des stocks mondiaux relativement bas. Si bien que si le conflit venait à s’embraser, nous avons de nombreux  risques potentiels qui pourraient affecter ce marché en déficit. Cela pourrait potentiellement se traduire par une flambée des prix du pétrole. 

Ces éléments externes peuvent être des sanctions vis-à-vis de l’Iran ou des perturbations logistiques autour du détroit d’Ormuz. Il faudra suivre cela attentivement mais pour rester sur une note plus positive, le conflit semble plutôt contenu géopolitiquement ces deux dernières semaines. 

S’il y a bel et bien un embrasement du conflit, et donc une flambée des prix du pétrole, cela pourrait être négatif pour les pays importateurs, dont l’Europe, mais bénéfique pour les pays producteurs comme l’Arabie Saoudite. Cela pourrait également avoir des conséquences sur le secteur de l’hospitalité.

Vanguélis Panayotis : Toutes ces pétromonarchies se sont investies depuis une vingtaine d’années dans du trophy assets. Nous évoquions plus tôt le renfermement sur soi des Chinois, mais allons-nous continuer au contraire à avoir un appétit sur les actifs hôteliers de toute cette partie du monde ?

Il y a, en effet, eu de très belles rénovations mais aussi des destinations qui émergent comme Al Ula en Arabie Saoudite. Nous percevons la trajectoire de ce pays sur le plan de l’hospitalité, une sorte de Dubaï 2.0 à une échelle plus grande. Nous constatons un réemploi dans les actifs de plutôt très haute qualité, notamment en Europe, ainsi qu’un développement au niveau régional chez l’ensemble de ces acteurs. 

Christophe Barraud : Sujet central pour les marchés en général et les investisseurs, les taux d’intérêt ont explosé en Europe mais également dans le reste du monde depuis le début de 2022. Cela s’explique par une réaction des banques centrales face à une inflation galopante, notamment très importante en zone euro. 

Les banques centrales ont donc décidé de remonter d’une part leurs taux d’intérêt mais aussi de réduire la taille de leur bilan. Techniquement, nous aurons beaucoup moins de liquidité dans l’économie mondiale. La conséquence directe est l’augmentation des taux d’intérêt à court et long terme mais également un durcissement des conditions de crédit. Si vous souhaitez emprunter aujourd’hui, un apport bien plus important et des meilleurs scores de crédit seront nécessaires. 

Nous avons un phénomène central, c’est les Etats-Unis qui jouent le rôle benchmark pour les taux d’intérêt de l’ensemble de la planète. Il est donc essentiel de comprendre ce qu’il se passe aux Etats-Unis afin d’anticiper ce qu’il va se passer par la suite là-bas et par répercussion sur l’ensemble de la planète. 

Aujourd’hui, les taux d’intérêt aux Etats-Unis ont flambé. Nous avons un taux à 10 ans qui a atteint 5%, du jamais vu depuis 2007. Une hausse qui s’explique par la politique monétaire de la FED mais aussi par des évènements extérieurs, comme une baisse de la demande pour les bonds du Trésor américain par la Chine et l’Arabie Saoudite. 

Cette flambée des taux s’explique aussi et surtout par le déficit fiscal américain qui a explosé. Cette année, le déficit s’établira à 6% avec des dépenses qui augmentent fortement côté santé et militaire. Tout autant de raisons qui expliquent que le taux d’intérêt a bien plus progressé aux Etats-Unis qu’ailleurs. 

Concernant l’Europe, la BCE a fait la même chose que toutes les banques centrales dans les pays développés. Elle a relevé ses taux d’intérêt directeurs depuis 2021 et réduit la taille de son bilan. Tout cela a eu un impact sur l’activité économique à très court terme et en aura encore dans les trimestres à venir. Généralement, l’impact d’un mouvement monétaire se fait ressentir entièrement sur l’économie sur une période de 3 à 4 trimestres.  

Si nous observons les chiffres de la zone euro, nous avons eu une croissance négative au troisième trimestre selon une publication d’Eurostat. Le secteur de l’immobilier et de la construction est la première victime, avec des prêts qui se sont contractés en rythme annuel, des dépenses de constructions qui se sont effondrées et des volumes de vente et des prix en baisse. 

C’est particulièrement le cas en Allemagne avec des baisses à deux chiffres, que ce soit dans les logements existants ou les logements neufs. 

Nous avons, certes, des taux d’intérêt qui ont explosé mais ils sont voués à redescendre l’année prochaine. D’une part, nous avons une activité économique qui ralentit et d’autre part l’inflation est petit à petit en train de se normaliser. Nous devrions donc revenir vers la cible des 2% des banques centrales d’ici la seconde partie de 2024. Une estimation qui est valable pour l’Europe comme les Etats-Unis.

Dans un contexte où le taux de chômage remonte quelque peu, les banques centrales devraient changer de politique monétaire. Elles devraient probablement baisser leurs taux directeur d’ici le second trimestre 2024, relâchant ainsi la pression sur les économies. Toutefois, nous resterons sur des taux d’intérêt beaucoup plus élevés que ceux appliqués les 10 années précédentes. Cela aura sans aucun doute un impact dans les décisions d’investissement et donc dans le secteur hôtelier. 

Vanguélis Panayotis : Intéressons-nous aux précédentes crises, par exemple les deux guerres du Golfe. L’économie et l’hôtellerie ont mis du temps à se remettre après la première guerre, environ 5 ans. Sur la seconde guerre, ce lapse de temps a été beaucoup plus court. Nous pouvons nous dire que la technologie, dont le revenu management, a permis des anticipations ainsi que des corrections plus dynamiques et efficaces. 

Depuis 2001, notre secteur a connu deux grands cycles. Le premier avec quasiment 16% de croissance du RevPAR en Europe entre 2001 et 2007. Ensuite, nous avons eu une longue période jusqu’à 2019 où nous avons fait presque 26% de croissance du RevPAR. Nous observons qu’après la période Covid, le rebond est très fort en l’espace de seulement deux ans. Nous avons des éléments de résilience qui sont importants. A présent, dans quelle mesure sommes-nous confiants sur cette classe d’actifs et dans quelle mesure est-elle résiliente face à toutes ces crises ? 

Nous avons l’intime conviction que nous allons rentrer de nouveau dans un marché d’expertise où cette dernière va créer de la valeur. Quand nous empruntons à 1%, nous « déleverageons » beaucoup le risque, et ce qui compense le risque c’est l’expertise. Nous sommes dans un marché qui va probablement se restructurer.

Christophe Barraud : Toutes les régions du monde vont connaître une normalisation, il n’y a donc pas d’anticipation d’une récession brutale ou de correction. Nous savons que les banques centrales vont potentiellement avoir une politique plus accommodante. Néanmoins, il y aura des secteurs qui seront gagnants et d’autres perdants.

Le point positif est que l’hospitalité a été un gros facteur de résilience, et ce facteur ne va pas disparaître du jour au lendemain. Même si nous sommes dans un monde où la croissance globale va ralentir, le ralentissement devrait être limité. Pour donner un ordre d’idée concret, la croissance était de 3,5% en 2022, puis de 2,8% cette année et l’année prochaine elle sera comprise entre 2,2 et 2,6%. 

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