HAF « Il faut toujours se poser la question de savoir, dans quel brouillard suis-je, que je ne vois pas »

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Publié le 30/11/22 - Mis à jour le 23/10/24

Hospitality Asset Forum Nicolas Dufourcq

Nicolas Dufourcq, Directeur Général de Bpifrance revient sur un constat qu’il a partagé dans son livre La désindustrialisation de la France : 1995-2015, paru en juin 2022.

La Bpi que je dirige est un gros financeur du tourisme français. Nous finançons les entrepreneurs et la Banque des Territoires finance les murs. Nous finançons massivement des entrepreneurs que ce soit en crédits ou en fonds propres. En fonds propres nous avons le Fonds Investissement Tourisme, la Caisse des Dépôts étant un de nos Limited Partner ainsi que la Banque européenne d’Investissement, nous y mettons également des fonds propres.

Quand nous faisons des tickets plus élevés comme pour Pierre & Vacances -Center Parcs, nous mobilisons d’autres dispositifs. A date, Bpifrance a environ 46 milliards d’euros d’actifs sous gestion. Entre les investissements et les cessions, nous faisons chaque année environ 500 opérations. Cela mobilise une société de gestion de 700 personnes, une force nécessaire pour gérer les nombreux petits tickets que nous faisons autour de 1 à 2 millions d’euros en equity.

Nous faisons également de nombreux crédits à l’hôtellerie et l’origine de la création de la Bpi, c’est le crédit hôtelier en 1923. Tout a commencé par cette activité créée par les hôteliers de la Ville de Paris. Ont ensuite été ajoutées des missions d’intérêt général après le Front Populaire. Quantité de choses ont été progressivement créées et fusionnées en 2013 pour créer la Bpi.

Nous voyons de nos clients une conjoncture excellente avec une reprise post-covid remarquable. Nous avons de très bons résultats sur tous les compartiments de notre business dans le secteur du tourisme en ce moment. Quel que soit le produit, equity, crédit, court ou très long terme. Les accélérateurs que nous avons créés pour les professionnels du tourisme fonctionnent également très bien.

L’industrie quant à elle va mieux, par rapport à la période que je décris dans mon livre. Bpifrance est une grande banque de l’industrie, sur les 46 milliards d’€ de fonds propres que nous gérons en equity dans les entreprises, 65% sont investis dans l’industrie. Nous sommes un très gros actionnaire de Stellantis, de ST Micro à Grenoble… Ce sont également 25% de nos crédits chaque année alors que l’industrie représente 10% du PIB.

J’ai progressivement pris la décision de creuser ce qui nous était tous arrivé dans les années 2000 pour que la taille de l’industrie française ait été divisée par un x important. Cela s’est traduit par des suppressions d’emplois considérables et la perte de pratiquement la moitié de nos usines.

Quand je suis arrivé à la tête de la Bpi fin 2012, il y a maintenant 10 ans, je n’ai absolument pas eu le temps de me poser la question de ce qu’il s’était passé. La priorité était de redresser le moral des troupes. Nous avons pris le parti de prendre la main avec une communication positive, aussi solaire que possible, très directe et avec des changements de codes importants. L’objectif étant de redonner de l’élan à ceux des acteurs qui n’étaient pas morts pendant la période de désindustrialisation. Cela reste une priorité, c’est pour cela que nous avons lancé le mouvement de la French Fab’ avec le coq bleu, emblème de l’industrie française. Une oriflamme basée sur la fierté et la confiance en soi pour créer un sentiment d’appartenance à un mouvement collectif, dynamique, chaud et puissant. L’objectif étant de leur donner envie de miser leurs sous dans l’industrie française.

Comment en suis-je arrivé à vouloir traiter cette question de « Que nous est-il arrivé dans cette période de désindustrialisation ? ». Avant d’écrire ce livre, j’en ai écrit un sur la réunification allemande. Ce livre je l’avais écrit en l’honneur de mon père diplomate qui avait négocié la réunification allemande. En tant que directeur des affaires politiques du Quai d’Orsay à l’époque, il avait négocié le traité avec les directeurs allemands, les directeurs russes, le directeur américain et le directeur britannique. J’ai interviewé 40 diplomates de l’époque afin qu’ils racontent ce qu’a été la négociation sur la fin de la Guerre Froide et le début de la mondialisation. Cette démarche m’a permis d’interroger les Allemands qui m’ont raconté ces années 1989,90 et 91 et comment immédiatement dans cette négociation est venu se loger l’encrage de la nouvelle Allemagne à l’ouest par l’Euro. Le traité autour de l’euro date de septembre 1990 et le sommet de Strasbourg de décembre 1990. Le Sommet de Strasbourg étant ce qui lance la grande négociation qui conduira à Maastricht en 1992.

Les négociateurs allemands m’ont dit à l’occasion de ces échanges qu’ils étaient pour l’€uro car ils souhaitaient ancrer l’Allemagne à l’ouest. Face au Comecon qui était aux frontières de l’Allemagne de l’ouest, il fallait ancrer l’Allemagne à l’ouest par l’OTAN et par l’Euro. Les Allemands ont été surpris du manque de prise en compte des changements à venir par les Français. Les Français dévaluaient constamment, 16 dévaluations correspondaient aux méthodes françaises de redonner du pouvoir d’achat financé par une dévaluation. Les Italiens, Espagnols et Portugais fonctionnaient avec le même système. Ces octogénaires m’ont indiqué que quand ils nous ont vu partir en avant dans la construction européenne, ils pensaient que nous avions compris que puisque nous ne pouvions plus dévaluer, nous allions faire une politique de l’offre.

Après 10 ans de désinflation compétitive (1985-95), ce système a été lâché pour donner la priorité à la lutte contre le chômage de masse et repartir vers une politique très keynésienne de la demande. Augmentation des salaires et partage du travail avec, uniquement en France, un débat autour d’une société de loisirs, du service, du fab’less prédite par Jean Fourastié en 1949. A peine la France qualifiée pour l’Euro, la loi de Robien est votée première pierre vers les 35 heures. Après le déplafonnement de l’ISF, la loi Dutreil a été votée avec un hémicycle plein pour encadrer l’ISF et la transmission dans les familles. Entre 1993 et 2003, quantité d’ETI sont vendues, elles sont beaucoup vendues à des étrangers qui, quand il s’est agit de fermer les usines, ont fermé les usines françaises en priorité. La France était considérée en Europe comme le pire pays pour faire de l’industrie. Les cotisations patronales paritaires continuaient à augmenter pendant cette période. 8 points de cotisations sont venus s’ajouter au coût du travail.

Les Allemands se sont activement préparés à l’entrée de la Chine, mais la France ne s’est pas préparée à l’offensive industrielle chinoise liée à leur entrée dans l’OMC. Nous étions à l’époque très fiers d’avoir résisté au Japon. Toutefois la Chine correspond à 25 Japons. A l’époque nous avions pu faire face aux premières vagues japonaises car il y avait des frontières. Le 15 décembre 2001, la Chine rentre dans l’OMC et les 35 heures entrent en vigueur le 1er janvier 2002.

On peut s’interroger sur ce qui a conduit à commettre des erreurs d’interprétation aussi profondes. Pourquoi y a-t-il eu autant de brouillard pour empêcher les gens de lire les données du problème ? C’est la question que je me suis posée dans ce livre car c’est une situation qui peut se reproduire. Il faut toujours se poser la question de savoir, dans quel brouillard suis-je, que je ne vois pas et qui m’hallucine et me fait faire des choses que l’on dira être folles dans 30 ans.

C’est ce qui est arrivé à l’élite dirigeante française sur ce tournant de la mondialisation.

La bonne nouvelle est que depuis 2015, on rouvre plus d’usines que l’on en ferme. Depuis 2010, nous sommes dans une politique de l’offre en France. A un moment donné le brouillard se lève et l’on entend la plainte des chômeurs, des entrepreneurs, des maires, des présidents de conseils généraux qui tirent la sonnette d’alarme et la réalité s’est imposée après la crise de Lehman Brothere. Une politique de l’offre a été lancée avec le déplafonnement du crédit impôt-recherche, le programme des investissements d’avenir, le fonds stratégique d’investissement, les pôles de compétitivité. On a remis l’entrepreneur au centre du panthéon des héros français en créant entre autres les autoentrepreneurs. C’est durant cette période qu’une équipe a été créée pour la création de la Banque Publique d’Investissement. Ont suivi le pack de compétitivité, le rapport Gallois, les CICE, le pack de responsabilité de Manuel Walls, les cinq lois de réforme du Droit du Travail. C’est le moment où la porte de la France tourne sur ses gonds ce qui a fait tout le bruit que nous avons pu entendre. C’était un changement très difficile à faire, pour faire tourner la France à ce moment-là, il a fallu beaucoup de courage. Il faut rendre hommage à tous ces acteurs de droite comme de gauche.

Cela fait 14 ans que nous sommes dans une politique de l’offre avec l’ambition de tenir les coûts autant que possible, de réindustrialiser, de redonner du souffle à l’investissement avec les programmes d’investissement d’avenir, 54 milliards d’euros investis dans France 2030. Nous sommes dans un effort continu remarquable, il faut que cela dure encore et longtemps pour que nous réussissions à réindustrialiser juste un peu. Pour gagner 2 points de PIB d’industrie dans les 15 ans qui viennent, il faut encore 15 ans de politique de l’offre il faut également beaucoup plus d’électricité et de main d’œuvre dans le secteur. Si nous ne fournissons pas cet effort, l’industrie tombera à 8% du PIB et continuera à descendre pour finalement ne plus savoir fabriquer ses propres armements. C’est donc très important ce qui se joue là et nous essayons de retourner toutes les pierres pour y arriver.

Ce qui est actuellement difficile c’est que nous n’avions pas prévu cette crise de l’énergie qui est arrivée pendant une période de progression qui avait débutée en 2015. Les 10 milliards d’euros mobilisés pour permettre aux PME et ETI de couvrir une partie des surcouts en énergie sont très importants. C’est malheureusement à ce stade que l’on constate de nouveau que la France n’a pas encore complètement pivoté, ceux qui ont été accompagnés en priorité ce sont les ménages. 100 milliards ont été alloués aux ménages ce qui laisse peu de marge pour l’économie. En Allemagne se sont 200 milliards qui ont été alloués à l’économie.

In fine, le plan qui a été annoncé devrait permettre à de nombreuses entreprises de passer à travers l’orage, les prix de l’électricité devraient retomber fin 2023. C’est un long orage mais il faut être vigilants pour que les entrepreneurs qui exposent leur patrimoine dans l’industrie ne posent pas le sac.

Hervé Novelli : Nous pouvons également aborder le sujet de la réindustrialisation à travers la construction de bâtiments. On ne réindustrialise pas sans construire d’usines modernes et non polluantes. La durée de construction en France est extrêmement longue. Pour le groupe que je conseille, la décision a été prise en 2017, il fallu 5 ans pour obtenir les autorisations des pouvoirs publiques, le permis de construire vient d’être délivré il y a un mois en 2022. Il y a maintenant les recours qui devraient être purgés en 3 ans auxquels suivront 2 ans de construction. Donc un projet en France, qui ne présente pas de caractère particulièrement polluant, cela nécessite 10 ans. Comment faire en sorte que l’industriel confronté à cela ne fasse pas des arbitrages pour suivre une demande en croissance très importante et produise ailleurs ? C’est un sujet majeur et stratégique qui a date n’est pas traité.

Nicolas Dufourcq : On peut se rassurer en regardant les autres pays européens. On voit en ce moment l’Allemagne changer, cet état que vous décrivez était également vrai en Allemagne jusqu’à il y a 18 mois. Maintenant en Allemagne, les grands patrons parlent d’un nouveau concept, la Tesla Speed. Cela fait référence à la rapidité à laquelle Tesla a monté son usine avec le soutien du gouvernement allemand qui a fait tomber un certain nombre de barrières. Cela avait été le cas en France pour Eurodisney ou pour l’usine Toyota de Valencienne. Quand on veut on peut. Ma réponse à cet état de faits, c’est la pure volonté politique, il va falloir que nous isolions en France un certain nombre de grandes friches qui sont des friches d’extraterritorialité dans lesquels il faudra accélérer massivement les délais. Il y a par ailleurs la loi de simplification qui est actuellement en train d’être votée mais qui concerne essentiellement le renouvelable.

J’ai toujours pensé que quand quelque chose est évident, cela fini toujours par se faire. Sur un plan plus long et plus profond de la culture, dans certaines couches de la fonction préfectorale. Il y a certains départements où cela est beaucoup plus rapide car le préfet est orienté business et décide de prendre le pouvoir sur sa DREAL.

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