
Carl Michel, bi-national britannique et autrichien, a été nommé à la tête de Patron Generator Holding Ltd à l’été 2011. Il a conduit le repositionnement et engagé le rapide développement du concept. Il est aussi au conseil de Staywyse, l’association professionnelle des hébergeurs pour la jeunesse. Il a une expérience très étendue de la direction d’entreprises tournées vers le grand public ayant été directeur général du groupe touristique Holidaybreak plc et directeur commercial de British Airways. Il a également été au board de Comair, Afrique du Sud et d’Austrian Airlines. Il a travaillé surtout au Royaume-Uni et en Allemagne avec des expériences dans d’autres pays européens. Il est aussi président de Vive Unique, société de location de résidences de luxe à Londres. Il a débuté par 7 ans passés chez McKinsey & Co. Carl est diplômé du St. John’s College, Oxford, et détient un MBA de la Harvard Business School.
Quand avez-vous pris conscience qu'il y avait matière à innovation dans le segment des auberges de jeunesse?
Patron Capital - propriétaire de Generator - était à la recherche d'une opportunité pour investir dans le secteur prometteur de l'hospitality et à la fin de 2007 ils ont acheté Generator, qui était à l'époque une entreprise privée familiale. Il y a environ dix ans, nous avons pris conscience qu'il y avait un manque dans le secteur spécifique des auberges de jeunesse qui avait besoin d'une nouvelle approche, plus globale, et s'appuyant sur le design.
Avez-vous abordé le concept avec un parti pris d'hôtelier ou de clients "routards" ?
Ni l'un, ni l'autre, car les deux ont fait des erreurs chacun à leur manière. L'approche Routard aurait conduit à un concept réducteur fondé sur les lits disponibles à commercialiser, et l'approche hôtelière nous aurait conduits à une addition de coûts supplémentaires. Nous avons cherché à suivre la piste des compagnies aériennes low-cost en partant d'une feuille blanche pour y écrire ce que nous cherchions à atteindre. Cela étant dit, nous avons pris notre inspiration dans les deux domaines : de la convivialité partagée des routards et du design contemporain des hôtels. La difficulté a été de trouver le bon équilibre entre les deux.
Où avez-vous trouvé les compétences, les expertises, pour mettre en œuvre le concept dans le détail ?
Il est vrai que nous avons fait appel à des personnes qui ne venaient pas de l'industrie hôtelière, certaines venaient des compagnies aériennes, et d'autres du monde du tourisme en général. Si nous avions été menées par de purs hôteliers nous aurions été dans le mur et de la même façon avec des spécialistes du voyage des routards. Nous avons cherché des femmes et des hommes qui avaient un état d'esprit moderne et capables de générer de nouvelles idées.
Qu'est-ce qui vous est apparu de plus innovant en dessinant le concept Generator ?
La première chose que nous avons pris en compte est que les gens veulent de la convivialité et veulent passer du temps ensemble. Alors la première clef du succès a été de modifier le nombre de mètres carrés dédiés à cette convivialité. D'une manière générale, 25% à 30% de nos espaces du rez-de-chaussée sont consacrés aux espaces de convivialité, que ce soit pour se détendre, pour surfer sur Internet, pour s'amuser ou boire et manger avec ses amis. Nous avons créé de nouveaux espaces dans lesquels un hôtel traditionnel n'aurait pas forcément investi. Les gens ne veulent pas passer autant de temps que cela dans leur chambre. C'est la grande leçon que nous avons apprise. La chambre doit très être fonctionnelle, agréable mais pas luxueuse, un endroit pour dormir mais pas vraiment pour y vivre. Un volume assez conséquent de nos investissements est consacré aux équipements communs. C'est aussi une manière d'y créer une atmosphère assez distinctive d'un établissement à l'autre. Nous allons même investir davantage dans ce que l'on peut appeler la "couleur locale". Cela est en partie lié au phénomène des réseaux sociaux. Quand les clients arrivent, ils prennent des photos d'eux pour les poster sur Instagram, Flickr ou Facebook. Ils veulent être identifiés dans la ville où ils sont. A Berlin, nous avons fait appel à un artiste qui a fait une évocation du mur de Berlin, à Paris vous pouvez retrouver le carrelage typique des stations de métro. Les jeunes, qui sont de 85 à 90% de nos clients, veulent partager l'expérience de la destination où ils sont.
Quand avez-vous ressenti le besoin de passer des premières expériences réussies à un développement plus industriel et un changement d'échelle ?
Nous avons dix auberges à ce jour et deux autres dans les tuyaux : une à Amsterdam qui est en construction au moment où je vous parle et une à Rome qui sera une conversion d'un hôtel existant. Nous venons également de signer deux autres sites qui seront annoncés prochainement. Notre intention évidente est de maintenir ce rythme de deux ouvertures par an, si ce n'est un peu plus. Et nous regardons désormais attentivement du côté de l'Amérique du Nord. D'un point de vue client il est important de sentir que l'on a affaire à un réseau, ce qui ouvre aussi la possibilité de mettre en place une forme de programme de fidélité. Pour assurer la visibilité de la marque, il doit y avoir un Generator dans les plus grandes villes. D'un point de vue investisseur, il est aussi vital d'avoir mis le pied dans les grands marchés de l'hôtellerie mondiale. De façon claire à ce jour, nous savons que le concept fonctionne bien en Europe et nous avons besoin de faire la preuve qu'il peut être dupliqué dans différentes parties du monde. D'abord en Amérique et, dans un futur proche, en Asie. Il n'y a aucune raison pour qu'il ne soit pas accepté partout mais les investisseurs veulent voir que c'est une réalité avant de s'engager. Et à l'évidence, sur un plus long terme l'intention est d'attirer d'autres investisseurs dans le tour de table de Generator. Patron Capital est notre soutien, mais nous savons, comme toute société d'investissement, qu'il y aura un moment où il voudra céder sa participation à d'autres partenaires. Invesco a déjà pris une participation de 23% cette année. Faire en sorte que les actifs soient plus visibles et avoir fait la démonstration que le succès est au rendez-vous ailleurs dans le monde va augmenter la liquidité de notre entreprise.
Est-ce que vous trouvez rassurant d'être possédé et financé par un fonds d'investissement comme Patron Capital ?
Patron Capital est un investisseur immobilier et c'est une très bonne chose car cela veut dire que les actifs nous appartiennent, ce qui nous donne toute la souplesse nécessaire pour faire ce que nous voulons du bâtiment. De fait, à ce jour, c'est surtout un business immobilier doublé d'une activité de gestion réussie. Au fur et à mesure que le développement va donner la priorité aux contrats de location, de management et, pourquoi pas de franchise - même si nous pensons que recourir trop tôt à la franchise est dangereux pour la cohérence du concept - l'aspect activité de gestion prendra le pas sur la dimension immobilière. Au moment où Patron Capital est entré en action, le marché de l'immobilier était plutôt déprimé avec de belles opportunités d'acquisitions. C'est de moins en moins le cas pour nos futurs développements. Jusqu'où pouvez-vous exploiter les opportunités pour trouver vos prochains emplacements ? Aurez-vous besoin d'être assez souple ou voulez-vous conserver les stricts fondamentaux du concept ?
Jusqu'à présent le modèle original a été reproduit avec peu de changements. Le problème est que sur certains marchés il n'y a pas tant de bâtiments à acheter ou à louer qui puissent accueillir un grand nombre de lits, ce qui oriente en priorité nos recherches. Dans le futur, nous pourrons être plus souples. A Venise nous avons dû descendre jusqu'à une capacité de 240 lits, et à Rome, la capacité sera certainement inférieure à notre moyenne. Sur des marchés plus saisonniers, nous pourrons accepter de réduire la taille du concept. Mais nous avons besoin de jouer l'économie d'échelle et la taille critique pour maintenir une réception 24h/24 et 7j/7, pour avoir un bar et des lieux conviviaux suffisants et organiser des évènements.
Est-ce que l'innovation sera constante pour réinventer Generator de 2020 ?
En fait, chaque nouveau Generator tend à voler vers de nouvelles directions. En ce moment, nous sommes en train de nous pencher sur l'amélioration de nos propositions en F&B. Quand nous avons démarré, le F&B était assez basique nous avions une cantine pour les snacks et une salle pour les petits déjeuners. Il est plus important désormais d'avoir un point de vente restauration qui donne sur la rue, ouvert au public extérieur, pour créer du trafic tout au long de la journée. Partout où c'est possible, nous aimerions avoir une plus grande présence en F&B afin de pouvoir aussi proposer de déjeuner à la clientèle affaires des environs. Vous pouvez compter sur l'annonce d'un nouveau concept durant l'été prochain.
Comment faites-vous pour anticiper les changements de comportements, les besoins pour de nouveaux services et de nouveaux produits pour la génération à venir ?
Je suis au conseil de Staywyse, l'Association mondiale pour l'hébergement touristique des jeunes, et nous y avons réalisé pas mal de recherche sur les habitudes de consommation de la jeune génération, les Millennials comme on les appelle, mais le problème est que souvent ils ne vous disent que ce que vous leur demandez, sans aller plus loin. Le consommateur Millennial est un animal compliqué. Il est encore plus important de s'intéresser à la génération qui sera nos clients dans quelques années, la tranche 14 à 17 ans. Et là, franchement, je n'ai pas de réponse sur leurs attentes. Nous regardons bien sûr les études et les rapports, mais la plupart sont orientés sur le passé et les constats, et dès lors il n'y a pas beaucoup d'indications. Nous fondons nos prochaines actions davantage sur l'intuition. Nous avons la possibilité de tester les choses et de voir comment elles fonctionnent. Il est de plus en plus facile d'obtenir une réaction sur la façon dont nos propositions sont perçues par les jeunes clients. Nous avons un feed-back très rapide sur la façon de miser nos prochains investissements. Par ailleurs, il y a des choses intéressantes à noter sur les clients Millennials. En premier lieu, le fait que nous accueillons de plus en plus de jeunes venant d'Asie et nous devons nous adapter à leurs besoins qui sont assez différents de ceux des jeunes Européens. Et en second lieu, nous percevons un "vieillissement" progressif chez nos clients, dès lors que nous attirons aussi des générations autres : les baby-boomers sont intrigués par notre concept, de même qu'un certain nombre de voyageurs d'affaires. Pour profiter de l'expérience, vous avez surtout besoin d'être jeune dans la tête et le cœur, pas forcément d'avoir vingt ans.
Cherchez vous à inventer l'auberge de jeunesse universelle, qui serait acceptée par tous les segments de clientèles et pour différentes générations ?
Ma réponse est non, définitivement non. Nous ne chercherons jamais à implanter un Generator près d'un aéroport ou d'un centre d'expositions. Ce serait à l'encontre même du concept qui est d'être au cœur des quartiers animés, là où les jeunes veulent aller pour sortir et pour s'amuser. Nous accueillons très volontiers tous ceux qui veulent tester le concept, mais nous n'y changerons rien de spécial pour qu'il soit plus adapté aux voyageurs d'affaires, aux couples romantiques ou aux personnes âgées. Essayer de faire plaisir à tout le monde est dangereux car cela conduit à diluer votre ADN. S'il y a une chose que nous avons appris de la clientèle jeune, c'est qu'elle veut adhérer à une marque et une marque a besoin d'être cohérente, d'avoir une personnalité qui leur parle. Si vous devenez trop générique, vous devenez insignifiant à leurs yeux.
Est-ce que vous avez eu des difficultés à vous faire comprendre des partenaires et des financiers ?
Parfois nous avons du mal avec la sémantique et l'expression même d'auberge de jeunesse qui porte une connotation négative, ce qui est bien dommage, même si nous pensons que de plus en plus d'établissements fondés sur un nouveau design vont contribuer à changer l'état d'esprit de la communauté d'affaires. Nous avons essayé de mettre en avant le concept Boutique Hostel, mais là encore le terme Boutique fait davantage référence à une capacité réduite, à une atmosphère intimiste, ce qui n'est pas réellement notre cas quand vous proposez 600 lits. J'ai entendu les termes de "poshtel ", lifestyle hostel, boutique hostels... nous avons choisi désormais de communiquer sur notre nom Generator, sans même mentionner hôtel ou auberge de jeunesse. Par ailleurs, nous devons aussi expliquer nos références à la communauté : nous parlons en termes de lits et non de chambres ou de clés, par exemple. La communauté des investisseurs est de plus en plus ouverte à l'univers des auberges de jeunesse sans le comprendre encore tout à fait.
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