
Cela ne surprendra pas les observateurs du secteur, le Tourisme ne fera pas l'objet d'un ministère dédié ; la nomination de son Secrétaire d'Etat se fera donc ultérieurement à celle du gouvernement annoncé aujourd'hui, et les principales actions dans ce secteur ne devraient être mises sur les rails (ou faut-il dire en "cars Macron" ?) qu'après les résultats d'élections législatives plus incertaines que jamais. Pour autant, certains grands axes d'action pouvant être assignés par le nouveau Président de la République à sa future équipe se dégagent du programme de la campagne présidentielle, mais aussi de l'historique de l'intéressé à Bercy. Quels sont donc les possibles contours de la future politique touristique française ?
La nouvelle équipe gouvernementale vient d'être nommée ; mais sans pour le moment que le/la futur(e) Secrétaire d'Etat au Tourisme ne soit connu(e). Compte tenu des annonces du Président qui avait déclaré viser un gouvernement "resserré" à une quinzaine de ministres, ce n'est pas véritablement une surprise. C'est peut-être une déception, mais il existe d'autres formes possibles de pilotage efficace de la politique touristique française, comme l'expliquait il y a quelque mois Vanguélis Panayotis dans son billet au Monde. Mais quelle que soit l'organisation retenue, beaucoup de chantiers sont ouverts dans le secteur du tourisme. Compte tenu des annonces, programmes et de l'historique d'Emmanuel Macron à Bercy, quelles pourraient être les orientations de la future équipe ?Bien sûr, beaucoup d'éléments structurels de la politique économique du futur gouvernement seront pilotés au plus haut niveau, et/ou par d'autres Ministères. C'est notamment le cas des baisses de cotisations salariales et patronales, un sujet transverse à toute l'économie qui intéressera évidemment au plus haut point l'industrie touristique, traditionnellement très consommatrice de main d'oeuvre. Idem pour les décisions relatives à la formation et à l'apprentissage, une filière d'insertion importante dans l'hôtellerie-restauration. Les premières décisions dans ces différents domaines seront certainement scrutées avec attention par les professionnels du tourisme. Mais en ce qui concerne le tourisme en particulier, quelle feuille de route ?De premières pistes se dégagent du programme de campagne présidentielle d'Emmanuel Macron. Si celui-ci dressait plutôt des grandes lignes que des actions détaillées, le secteur du tourisme était mentionné spécifiquement à travers un point bien précis , figurant en section "Inventer un nouveau modèle de croissance" :
Le choix du tourisme et de ses différentes composantes sectorielles pour illustrer l'un des points du programme relatifs au numérique illustre bien l'étroite imbrication qui existe aujourd'hui entre les deux secteurs. Vis-à-vis de la proposition elle-même, les professionnels verront sans doute de manière plutôt favorable l'appropriation par les pouvoirs publics de l'enjeu de la "big data". Car de fait, compte tenu du caractère très morcelé de l'industrie touristique traditionnelle, faciliter l'adoption des innovations (digitales ou non) portées par les sociétés innovantes est un enjeu essentiel. C'est aussi évidemment un enjeu d'imposition et de contrôle, notamment vis-à-vis des plates-formes d'hébergements entre particuliers (vis-à-pour lesquelles un décret vient justement de paraître). Concrètement, la mise en place de la "base numérique" annoncée par le programme d'En Marche! devrait s'appuyer sur des projets tels que la base "datatourisme", initiée par Bercy en 2015, et qui a fait du chemin depuis, au point d'être bientôt disponible en API depuis un site dédié. Mais comme avec toute base de données, l'enjeu sera moins sa mise en place que son alimentation en continu et le profil des informations qui y seront disponibles, car les données "froides" ou statiques historiquement remontées par les organismes publics risquent la ringardisation dans un univers du tourisme où les acteurs privés accumulent de plus en plus de données "chaudes", disponibles en délai court voire en temps réel, et/ou dont la granularité est plus fine, allant jusqu'au consommateur individuel.Un autre point du programme présidentiel EM! concernait plus spécifiquement la restauration collective, et plus précisément les "cantines scolaires et restaurants d'entreprise" : dans ceux-ci, "d'ici 2022, 50% des produits proposés devront être bio, écologiques ou issus de circuits courts". Un axe écologique donc, dont la difficulté résiderait principalement en la gestion des coûts associés et de la chaîne d'approvisionnement, pas toujours bien prête aujourd'hui à répondre à ces contraintes.L'un des domaines du tourisme dans lequel le nouveau Président de la République avait en revanche beaucoup apporté sa patte à Bercy, c'est celui des transports. Son soutien à la libéralisation du transport interurbain par autocar a même conduit ceux-ci à être appelés aujourd'hui les "cars Macron", rendus possibles par sa "loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques". Au passage, elle avait aussi débloqué le projet CDG Express, longtemps dans les limbes (le projet a été lancé en 2002), et qui semble enfin voir le bout du tunnel compte tenu de son importance pour les candidatures de Paris aux Jeux Olympiques et à l'Exposition Universelle. L'ex-Ministre de l'Economie avait également défendu plusieurs projets de privatisation partielle d'aéroports, quitte à affronter les controverses (comme à Toulouse Blagnac, en partie repris par des actionnaires chinois). La loi Macron comprenait ainsi un volet visant à "rendre plus dynamique la gestion des participations de l'Etat", s'étant traduite par la privatisation partielle des aéroports de Lyon et Nice. Il apparaît donc logique de penser que la politique menée s'inscrira dans une forme de continuité idéologique, avec des politiques de libéralisation, de transferts du public au privé (partiels ou complets), hormis dans le politiquement très sensible secteur du transport ferré. Concrètement, cela pourrait se traduire par de potentielles "cessions d'actifs", vente de participations, concessions ou autres baux emphythéotiques... Le nouveau gouvernement osera-t-il aller plus loin et étendre cette politique des plates-formes aéroportuaires à d'autres actifs, notamment l'immobilier propriété de l'Etat ? De fait, compte tenu de la forte demande actuelle des investisseurs pour de l'immobilier à (reconvertir en) usage touristique et du niveau encore très faible des taux d'intérêt immobilier (éléments qui soutiennent les valorisations, et donc le prix potentiel à en tirer), le financier avisé qu'est l'ex-associé gérant de Rothschild pourrait y voir une opportunité de financer à bon compte l'Etat Français, et surtout sans en creuser (comptablement) le déficit public. Un atout non négligeable, sachant que celui-ci est l'une des plus grandes préoccupations de l'Allemagne, le partenaire-clé que la France devra convaincre pour enclencher de profondes réformes structurelles en Europe ; réformes dont dépend le succès du quinquennat.Il faut cependant rappeler qu'à Bercy Emmanuel Macron s'était plutôt concentré sur l'industrie (et les turbines plus que les téléphones, on l'aura compris), Laurent Fabius ayant largement gardé la main sur le tourisme après l'avoir récupéré dans son giron de "Ministre des Affaires Etrangères et du Développement International" lors du passage de témoin entre les gouvernements Ayrault II et Valls I (alors qu'Arnaud Montebourg était encore à Bercy). Laurent Fabius avait ensuite initié diverses actions comme le lancement d'un fonds d'investissement tourisme, le projet "datatourisme" évoqué ci-avant, et surtout l'ouverture des commerces le dimanche.Or, ce dernier volet revêt une importance particulière, car une fois en poste à Bercy, Emmanuel Macron s'est avéré être un promoteur actif de cette proposition, devenue peut-être la composante la plus emblématique de la "loi Macron" du 6 août 2015... Pour autant, l'ouverture des commerces le dimanche est de facto restée restreinte à un petit nombre de sites. La disposition ne s'applique aujourd'hui que dans 12 gares (les 6 parisiennes + Avignon TGV, Bordeaux Saint-Jean, Lyon Part-Dieu, Marseille Saint-Charles, Montpellier Saint-Roch et Nice-Ville), et dans les 21 "Zones Touristiques Internationales" suivantes :Il est à noter que ces zones sont exclusivement situées à Paris, Nice/Cannes et Deauville, aucun secteur n'étant donc reconnu comme "à vocation touristique internationale" dans le Lyon de Gérard Collomb ni dans le Bordeaux d'Alain Juppé, ville qui s'est pourtant récemment classées en tête du classement des villes les plus tendance du moment selon le guide touristique du Lonely Planet. Il est à parier que la stature politique de leurs leaders respectifs devrait aider à faire corriger cette injustice... d'autant que l'une des grandes problématiques du tourisme français c'est justement de s'efforcer de réduire l'écart considérable d'attractivité (et donc de performances hôtelières, d'investissement...) qui existe entre Paris et le reste du territoire. Une extension du champ d'application de la loi, à travers de nouveaux périmètres, pourrait ainsi être envisagée.C'est un scénario d'autant plus plausible que le programme d'Emmanuel Macron prévoyait de supprimer 150 000 emplois de fonctionnaires sans affecter le personnel exerçant des fonctions régaliennes (armée, police, justice...), ni la santé ou l'éducation. En pratique, l'essentiel de l'effort attendu portera sur les fonctionnaires territoriaux, un arbitrage qui ne dépend pas de l'Etat mais des collectivités territoriales. Le gouvernement devra donc trouver des arguments pour convaincre les élus locaux de réaliser les économies attendues ; et si l'on peut attendre qu'il manie le bâton (=les dotations de péréquation), la reconnaissance de nouvelles zones touristiques permettant une ouverture des commerces locaux le dimanche pourrait bien, parmi d'autres actions, jouer le rôle de la carotte dans certains territoires...Sans forcément occuper une place centrale dans le nouveau dispositif gouvernemental lui-même, où il est un Secrétariat d'Etat, le tourisme pourrait donc bien se retrouver au coeur de certaines politiques du nouvel exécutif. Mais tout peut encore changer...Avant même les élections, le prochain rendez-vous sera celui de la nomination à venir du Secrétaire d'Etat au Tourisme ; ce sera alors l'objet d'un décryptage sur Hospitality ON.
