
Après dix ans dans le groupe Hilton et quatre autres à la gestion d’hôtels à Disneyland Paris, Michel Stalport rejoint le Rezidor Hotel Group en 1993 pour prendre la direction du Radisson SAS de Bruxelles. Il a ensuite évolué au sein du groupe, passant tour à tour à la direction générale de Nice, à la supervision des hôtels de France et de Tunisie, au pilotage régional des hôtels de Russie, CIS, Turquie et pays baltes. Il revient en France il y a quelques années comme directeur général du Radisson Blu de Disneyland et des opérations Nord de la France. Fort de ces expériences variées, il élargit fortement son territoire à toute l’Europe de l’Ouest et une partie de l’Afrique.
Je supervise aujourd’hui une quarantaine d’hôtels en opération, 26 en management et une dizaine en franchise, quatre hôtels en préouverture imminente, dont le Radisson Blu de Nantes ou le Park Inn de Sousse, et une dizaine dans un pipeline proche. Tout cela répartit sur la France, le Benelux, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce, le Maghreb et l’Ouest de l’Afrique, jusqu’à la Côte d’Ivoire.Carlson Rezidor Hotel Group s’attribue le titre de plus rapide développeur hôtelier du moment, est-ce justifié ?En moins de vingt ans dans le groupe, je l’ai vu grandir de 29 établissements en Europe à plus de 350 dans la zone EMOA, qui est du ressort de Rezidor. Je crois bien que nous avons de bonnes raisons de revendiquer ce titre. Nous sommes un groupe particulièrement dynamique en nouvelles ouvertures.Quel serait-votre avantage particulier sur la concurrence quand tous les opérateurs hôteliers dépendent désormais de propriétaires et d’investisseurs extérieurs pour augmenter leur parc ?Je dirais que nous avons deux atouts majeurs, le premier est une réelle souplesse dans notre approche des contrats de management et de franchise. Nous sommes capables de faire preuve d’imagination pour finaliser le deal quand la lettre d’intention a été signée. C’est souvent dans cette période que les difficultés apparaissent et que les négociations capotent. Nous avons une vision à moyen et long terme de l’intérêt que partagent le propriétaire et l’opérateur. Nous sommes capables de prendre des risques à court terme parce que nous croyons au bénéfice final. Par ailleurs, nous avons à faire à des investisseurs institutionnels, qui manient la règle à calcul, anticipent les valorisations immobilières, se fixent des objectifs de retour sur investissement… mais veulent se détacher des opérations. Nous avons une bonne réputation de gestionnaire, avec une rapide montée en puissance des hôtels qui apporte de la valeur ajoutée au fonds de commerce qui se crée et qui appartient au propriétaire.Est-il exact que les opérations de développement se compliquent sérieusement ?Un nouveau projet est le plus souvent une opération tripartite avec un développeur qui a trouvé le terrain, un opérateur hôtelier qui va définir la programmation et un financier qui prend le risque de porter l’opération. La combinaison des intérêts de chacun devient effectivement plus complexe, c’est là où notre souplesse dans la négociation est souvent décisive. D’autant que nous sommes capables de faciliter les financements, par notre réputation et par le réseau de nos propriétaires actuels.Vous semblez aussi vous satisfaire d’opération un peu complexe mais assez emblématique comme la transformation du palais de justice de Nantes en hôtel 4 étoiles…Il est vrai que la sortie du projet de Nantes a été compliquée et que le contrat a été long à formaliser. Nous avons pourtant toujours maintenu une relation de confiance avec les partenaires qui nous a permis d’être tenaces. C’est effectivement un projet atypique, comme nous les aimons, avec un caractère architectural très fort qui fait la différence. Nous cherchons le plus possible à nous éloigner de l’hôtel classique boîte à chaussure. N’est-ce prendre des risques inutiles dans une période difficile ?Nous n’en serions pas à ce stade de développement si nous n’acceptions pas de prendre des risques. C’est une attitude qui est dans les gènes du groupe Rezidor depuis l’arrivée de Kurt Ritter qui entretient cette approche. Nous cherchons la différence dans les projets hôteliers que nous développons et dans leur localisation. A Marrakech, nous n’allons pas dans la Palmeraie mais en plein business district. Le Park Inn du Grand Stade de Lille est un produit original, dans le complexe sportif. Il fallait oser s’y aventurer. A Amsterdam Schiphol, nous convertissons un immeuble de bureaux en hôtel. Je suis convaincu qu’un hôtelier doit garder une âme d’aventurier. La prise de risque implique une part d’échec à assumer, mais aussi de formidables retours sur investissements et des gains de parts de marché quand le risque a payé. Cela nous a plutôt bien réussi.Est-ce cette part d’aventurier qui vous conduit au développement en Afrique ?Le groupe développe effectivement rapidement sa présence en Afrique sub-saharienne, Nigeria, Mozambique, Sierra Leone, Rwanda… mais aussi Gabon, Sénégal, Côte d’Ivoire ou Mali. Dans les années 70 et 80 de nombreux hôtels de grande qualité ont été développés dans la plupart des capitales. La situation tant politique qu’économique a conduit progressivement à leur déliquescence complète. Le marché mérite qu’une nouvelle génération d’hôtels apparaisse. Il faut prendre le risque d’y aller. C’est un risque limité puisque les investisseurs sont locaux, mais ils ont besoin de s’appuyer sur des groupes comme le nôtre qui va les accompagner dans des situations qui ne sont pas toujours stabilisées. Nous avons repris le Mammy Yoko, l’hôtel phare de Freetown en Sierra Leone, qui va être entièrement désossé pour afficher les couleurs Radisson Blu. La même opération va être lancée à Libreville avec l’Okoumé Palace pour le transformer en deux établissements sous les marques Radisson Blu et Park Inn by Radisson. Nous arrivons sur ces marchés avec des produits neufs, alors qu’il ne s’est pratiquement rien passé depuis vingt ans, faute d’argent disponible pour entretenir et développer.Le risque est-il à la mesure des enjeux pour Carlson Rezidor Hotel Group ?Comme je l’ai dit le risque financier est faible car nous nous reposons sur des financements locaux. En revanche, il faut une équipe solide, parfois de véritables baroudeurs, pour assurer le travail de gestion. Il n’est pas simple de garder un hôtel en activité à Bamako en pleine crise, mais c’est la responsabilité que nous assumons pour notre bénéfice et pour celui du propriétaire dont nous protégeons l’investissement. Il faut pour cela des hommes d’un grand courage, habitués aux crises. Nous avons dans notre organisation un vice président Sécurité, disponible 24h/24, dont la mission est primordiale. Nous montons une cellule de crise dès qu’une situation se complique, comme ce fut le cas à Bamako. La liaison est permanente pour assurer la sécurité des équipes, locales et expatriées, avec une grande autonomie de décision pour le directeur sur place qui apprécie la situation. Nous avons la chance d’avoir des hommes et des femmes de cette trempe là et c’est un argument de poids pour les investisseurs qui ont conscience que nous protègerons leurs intérêts autant que les nôtres. Vous n’avez donc pas renoncé ou décidé de faire une pause dans le développement au Maghreb, lui aussi soumis à une forte instabilité politique ?Pas du tout, nous avons plusieurs projets en cours, à Hammamet, Sousse et Djerba, en Tunisie, et à Marrakech au Maroc. Ces mouvements sont des vagues, dont certaines sont salutaires, si on ne tombe pas dans l’extrémisme religieux, qui est la seule véritable crainte. En Tunisie, la révolution démocratique était nécessaire. Le niveau d’éducation et de développement incite à penser que la liberté sera bien exploitée. Mais là encore, il faut savoir être fataliste sur le court terme et faire le dos rond. Il est vrai que notre hôtel de Djerba vient de perdre coup sur coup plusieurs congrès annulés à cause des remous politiques. Mais le tourisme est trop important pour le pays pour que l’activité ne reparte pas rapidement.Avez-vous pour cela le soutien de votre actionnaire ?Nous sommes cotés en bourse, mais avec une grande différence par rapport à d’autres sociétés cotées, c’est que notre actionnaire majoritaire est un groupe touristique et hôtelier, qui soutient totalement notre démarche. Carlson est propriétaire des marques et comprend le travail que nous faisons pour les développer et assurer leur valorisation. Nous n’avons jamais été «lâchés» par notre actionnaire même dans une période difficile où le nombre important des ouvertures a parfois mis notre compte d’exploitation sous tension. La vie d’un groupe hôtelier n’est pas un long fleuve tranquille et notre chance est d’avoir pu démontrer que l’audace paie, avec d’exceptionnels retours sur investissement à la hauteur des risques acceptés. Cela étant, je dois dire qu’avec un parc qui dépasse désormais les 300 hôtels, nous avons tendance à nous assagir pour éviter de prendre des coups.Comment interprétez-vous l’alliance conclue avec Formosa pour redévelopper la marque Regent sur votre territoire ?Le développement de Regent par Rezidor Hotel Group a été fait dans l’esprit «aventurier» que j’ai rappelé. Nous avons pris des risques pour l’établir en Europe, comme à Berlin, avec des coûts certainement trop élevés. Au niveau mondial, Carlson a eu la même réflexion qui l’a conduit à la cession de la marque à Formosa. Deux ans après, je vois la signature de cette nouvelle alliance stratégique comme une formidable reconnaissance du travail que nous avons fait. Nous sommes respectés pour notre bonne gestion des coûts et la production de RBE solides. Formosa compte sur nous pour poursuivre le travail en coopération avec leurs équipes.Que dire du développement de Park Inn en Europe de l'Ouest et en Afrique ?C'est une marque très complémentaire de Radisson Blu, qui a mis un certain temps à s'installer. Le concept est original, plein de fraicheur, et fonctionne pleinement à travers des constructions neuves. Ce n'est pas le plus facile à développer en ce moment. Mais à travers la création d'une business unit identifiée, confiée à Eric de Neef, le développement est reparti en produits neufs, comme à Lille.Comment appréciez-vous l’état des marchés sur vos différentes zones ?Jusqu’à présent l’activité a été solide et nous progressons encore sur l’an passé. Mais l’expérience montre que la crise finit par toucher l’hôtellerie avec six mois de décalage. Les premiers signes inquiétants se manifestent sur le marché des séminaires et évènements, qui marque un net retrait. Nous grapillons des parts de marché sur la clientèle individuelle, mais la baisse d’activité des hôtels spécialisés sur le marché MICE pèse de plus en plus. Pour autant, on ne sent pas de vent de panique. Auriez-vous appris des crises précédentes ?Dès l’été 2008, nous avons ressenti les premiers effets de la crise financière et nous avons tout de suite préparé une réduction de voilure pour faire face à une tempête qui s’annonçait. Le plan de restructuration n’a finalement été appliqué que bien des mois après, mais depuis nous n’avons pas ré-alourdi la structure. L’activité haut de gamme reste cyclique et nous sommes armés pour y faire face. Les hôteliers ont finalement compris que la guerre commerciale ne faisait pas venir des clients qui n’avaient plus de raisons professionnelles de se déplacer. Les gains de fréquentation marginaux sur la clientèle touristique ne justifient pas de casser les prix. Aujourd’hui nous savons adapter l’offre commerciale sans chambouler les grilles tarifaires. Le développement rapide du Club Carlson nous aide aussi à stabiliser l’activité, d’autant que les membres dépensent en moyenne davantage qu’un client «normal».Le départ d’Hubert Joly de la présidence de Carlson Rezidor Hotel Group va-t-il se faire ressentir ?Hubert Joly est arrivé au bon moment pour assurer la transition du management au plus haut niveau quand Marylin Carlson a souhaité prendre du recul. Son action a eu une grande valeur pour mettre en place toute l’organisation qui est la nôtre aujourd’hui et lancer le plan Ambition 2015. Il n’y a pas de raison que le mouvement soit ralenti par son départ. C’est un homme de challenge et il vient d’en accepter un de taille avec la relance de BestBuy aux Etats-Unis.