
Formé à l’Ecole Supérieure d’Hôtellerie de Saint Cergue en Suisse, François Delahaye a évolué dans plusieurs groupes hôteliers, Savoy, Sofitel, Warwick et Westin, où il a occupé différents postes de directeur général. C'est en décembre 1999, qu'il est appelé à la direction du Plaza-Athénée. Il prend progressivement des responsabilités dans le groupe Dorchester jusqu'à en devenir le directeur des opérations pour toute la Collection.
Il faut quand même rappeler que nous avons accusé une baisse d’activité dès septembre 2008 et que l’année 2009 a été très dure. En revanche, il est vrai que la remontée a été beaucoup plus rapide. Alors qu’il a fallu plus de trois ans pour retrouver les niveaux d’avant la guerre du Golfe et de l’épidémie de SRAS, nous avons effacé en moins d’un an la chute de 2009.Peut-on l’expliquer par un renouvellement et un élargissement du socle de clientèle internationale, notamment en provenance des BRIC ?Il faut être attentif aux évolutions des marchés. Ce socle, que vous évoquez, est en perpétuel mouvement et de manière contrastée. Nous accueillons dans nos établissements davantage de clients chinois. Depuis longtemps les Brésiliens sont fidèles et très présents au Plaza Athénée, notamment. Les Russes représentent déjà près de 10 % de nos clients, en revanche, nous ne voyons venir aucun client indien. Il y a toujours un socle de clientèle moyen-orientale et les Américains réagissent à la solidité de leur devise. Avec la montée en puissance du dollar, ils reviennent nettement plus nombreux à Paris, et chez nous principalement au Meurice.Vous constatez, néanmoins, une excellente santé de l’hôtellerie de luxe. La crise n’a-t-elle pas de prise sur vous ?Il est vrai que nous progressons encore de 3 à 7% selon les établissements par rapport à l’an passé qui était une bonne année. La clientèle internationale ne semble pas véritablement affectée par la crise économique et le revenu des hébergements est en hausse. Je ne dirai pas la même chose pour notre activité qui dépend du marché local parisien. La crise est sensible dans la restauration haut de gamme.Il y a eu pourtant une nouvelle offre avec l’arrivée des chaînes d’origine asiatique qui n’a pas créé de tensions sur le marché parisien ?Je trouve assez impressionnant que les hôtels «classiques» aient à ce point résisté à l’arrivée des Raffles, Mandarin et Shangri-La. Pour ma part, je pense que leur arrivée a suscité une véritable curiosité pour la destination parisienne et qu’elle a généré un trafic nouveau vers la capitale. Il faut aussi reconnaître que la ville a réussi de superbes opérations comme la Biennale des Antiquaires ou un certain nombre de grandes expositions, qui ont attiré une belle clientèle. Il y a de véritables raisons de venir séjourner à Paris, plus qu’à Genève ou à Milan où j’ai l’occasion d’aller souvent pour superviser nos hôtels. Je constate qu’à Paris notre activité est très soutenue le week-end, dès le jeudi soir, ce qui n’est pas le cas dans nos autres destinations.On a pourtant tendance à dire que Paris a perdu de son attrait, que l’animation s’est déplacée vers Londres, Barcelone ou Berlin…Pour les habitués de la Nuit, c’est peut-être une réalité, mais ce ne sont pas les night-clubs qui font venir la clientèle des palaces. Au bout du compte, Paris est une formidable destination en matière de culture et de shopping haut de gamme. Les nouveaux aménagements sont très bien perçus, plus encore qu’à Milan ou Londres.Ressentez-vous un effet Jeux Olympiques dans vos hôtels de Londres ?Nous serons effectivement complets sur la période et c’est une bonne nouvelle qui arrive en plein Ramadan, qui a un effet très négatif sur le remplissage des hôtels de luxe. Je suis persuadé que les effets des JO se feront ressentir par ricochet à Paris. Nous aurons une politique tarifaire attractive en raison de l’absence des délégations du Moyen- Orient au mois d’août.L’arrivée des «nouveaux entrants» dans le luxe parisien a-telle précipité les investissements dans vos établissements ?Nous avons la chance d’avoir des propriétaires très attachés à la valeur patrimoniale des hôtels. Ils sont sensibles à toutes les opportunités de l’augmenter. Depuis 12 ans que je suis au Plaza Athénée, j’ai pour politique d’entretenir ce patrimoine par des travaux réguliers étage par étage, pour maintenir en permanence une qualité des prestations qui justifie le prix que nous demandons. De la même manière, sans un jour de fermeture, nous venons d’achever la rénovation de toutes les chambres du Meurice. Les lourds investissements que nous avons faits sont indépendants de l’arrivée des chaînes asiatiques, même si cela a été un argument supplémentaire. L’achat des trois immeubles contigus du Plaza Athénée est un projet ancien et une opération de longue haleine. Pour les intégrer complètement dans le bâtiment historique, il faudra sans doute se résoudre à une fermeture de quelques mois seulement à l’hiver 2013. Faire des travaux dans Paris est très compliqué et nécessite de nombreuses autorisations.Avec ces chaînes asiatiques on annonçait aussi une nouvelle dimension du service, marquée par l’excellence asiatique. Qu’en a-t-il été ?Il faut casser certains mythes et notamment celui du service en France qui serait de moins bonne qualité. Je suis particulièrement fier, chaque jour, de constater que nous disposons d’un personnel qui est remarquable et qui a l’enthousiasme du service, y compris dans les jeunes générations. Il faut arrêter de se fustiger, sous prétexte que nous serions bougons et contestataires. Cela fait 50 ans que le personnel français passe par des écoles hôtelières de bonne qualité et qu’il a une réelle fierté de travailler dans l’univers du luxe hôtelier. Je vois bien à travers les opérations des hôtels Dorchester dans les autres pays que nous n’avons rien à leur envier. Au Royaume-Uni, le personnel est entièrement étranger, aux Etats-Unis il est motivé par les pourboires, en Suisse, il est de qualité mais le ratio de personnel par chambre est nettement inférieur à celui de Paris. Ce qui est vrai pour notre groupe, l’est aussi pour les autres palaces «traditionnels» de la capitale, qui sont tout à fait à la hauteur de la réputation du service «asiatique». Je constate tout simplement que notre clientèle paie à Paris un prix assez élevé et fait part de sa satisfaction. Ce sont des clients exigeants qui ont l’habitude de voyager et ne reviendraient pas si régulièrement si ce n’était pas le cas.Pour aborder plus largement l’évolution de la Dorchester Collection, allez-vous continuer à vous développer et comment ? Nous sommes un tout petit groupe avec neuf hôtels, même si chacun d’eux est une référence dans sa ville. La volonté des actionnaires, la Brunei Investment Agency, est d’élargir le portefeuille immobilier avec de nouvelles acquisitions de prestige, des «trophy assets» comme on a coutume de les appeler, dans des destinations en vogue. Je reviens, par exemple, d’un voyage à Istanbul pour explorer le marché. Comme vous le savez, nous avons cédé le fonds de commerce du New York Palace, qui ne correspondait pas à la philosophie du groupe avec ses 900 chambres. Mais du coup il nous manque une adresse à New York et nous sommes très actifs pour la remplacer. Les opportunités ne sont pas si nombreuses et la qualité de l’acheteur incite les vendeurs à pousser le prix hors du raisonnable. Parallèlement, la société de gestion, la Dorchester Collection, a la volonté aussi d’augmenter son périmètre. Nous avons commencé à le faire avec le contrat de management de l’hôtel Richemond à Genève. Notre actionnaire est ravi de pouvoir étaler les frais de siège sur un plus grand portefeuille en gestion et pour les propriétaires d’hôtels indépendants, la notoriété des établissements qui sont dans la Dorchester Collection, leur apporte une réelle valeur ajoutée commerciale.La notion de rentabilité des opérations et des investissements est-elle aussi forte dans un groupe qui n’a pas de problème de fin de mois ?La rentabilité des opérations est une question primordiale, y compris pour nos actionnaires. Nous sommes très fiers de pouvoir afficher des GOP très performants. Chaque établissement a des objectifs précis, chiffrés et ambitieux. Nous réfléchissons aussi à chaque investissement qui n’est justifié que s’il atteint rapidement son point mort. Les spas, qui sont une obligation dans l’hôtellerie de luxe, n’échappent pas à la règle, même s’il faut trouver le bon modèle économique. Nous avons fait le choix d’investir toujours et lourdement, même en période de basse activité, aussi bien à Milan, Paris, Londres et Los Angeles. Aujourd’hui, les exploitations et notre actionnaire tirent le bénéfice de ces choix, quand d’autres établissements vont devoir fermer complètement pour faire ces travaux.Devant une certaine surenchère des offres en direction de la clientèle luxe, comment faire pour justifier des prix moyens qui approchent les 1 000 euros sur Paris ?C’est notre défi quotidien. Tout le monde parle d’une expérience à faire vivre ou partager à des clients qui ont souvent très largement les moyens d’acheter tout ce qui leur fait envie. Pour autant, une dépense de 1 000 euros n’est pas anodine, même pour des clients fortunés qui connaissent la valeur des choses. Cela doit se justifier par une réelle différence de prestations, des services très personnalisés. Le prix de ce service, c’est d’avoir 560 employés au Plaza Athénée pour 193 chambres ou 420 employés pour 160 chambres au Meurice. Mais le résultat est là au bout du compte. Je pense notamment à la clientèle chinoise très fortunée, éprise des symboles de luxe que sont les marques françaises. Pour rivaliser, il faut proposer une expérience que l’argent seul ne peut pas permettre de vivre : avoir une table en cuisine dans notre trois étoiles Michelin, une dégustation dans la cave entouré de 40 000 bouteilles...Vous avez célébré l’an passé l’entrée du Plaza Athénée dans le cercle restreint des entreprises du Patrimoine vivant, est-ce une distinction à laquelle vos clients sont sensibles, comme le partage d’un morceau d’histoire ?Ce n’était pas destiné à cela et très honnêtement je ne suis pas certain qu’ils connaissent la signification de ce label. En revanche, ce fut une formidable motivation interne et une valorisation des équipes, des métiers qui sont dans l’ombre, mais qui donnent un sens au mot palace, comme les argentiers, les stewards, même les concierges.