Denis Courtiade : « C’est peut-être à l’hôtellerie de traverser la rue, d’aller à la rencontre des gens qui cherchent un emploi »

9 min de lecture

Publié le 25/10/18 - Mis à jour le 17/03/22

Denis Courtiade

Denis Courtiade, directeur de salle du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée, estime que la clef est de faire un premier pas vers les jeunes, de les comprendre pour les voir s’épanouir dans cette industrie. Entretien avec Denis Courtiade, un sage à la vision moderne.

Aux manettes d’un restaurant triplement étoilé Michelin, recruter et former du personnel est un enjeu du quotidien pour garder son rang. Denis Courtiade nous explique comment alterner entre bienveillance et discipline pour augmenter le bien-être de ses employés et faire que ceux-ci donnent le meilleur d’eux-mêmes au quotidien.

Il apporte également des conseils aux étudiants pour réussir et s’épanouir dans l’industrie hôtelière, pleine de « professions fantastiques» .

 

L’hôtellerie restauration a rencontré des problèmes cet été pour trouver des employés ; 125 000 salariés manquent dans les métiers d’accueil, de service et d’hébergement selon Didier Chenet (président du Groupement national des indépendants de l’hôtellerie et de la restauration).

Pourquoi rencontrons nous ces difficultés ?

Je ne sais pas si vous avez suivi l’actualité avec la phrase du président où il disait qu’il fallait traverser la rue pour trouver du travail. Moi je réponds que c’est peut-être à l’hôtellerie restauration de traverser la rue, d’aller à la rencontre des gens qui sont à la recherche d’emplois.

Les institutions sont là, elles attendent que l’on vienne les rencontrer mais est ce que ces institutions sont en position de force?  Actuellement, tout le monde recherche des collaborateurs. Cette passerelle qui a été dite «Traverse la rue et tu trouveras du travail» , moi j’aimerais bien dire l’inverse, que c’est peut-être aux entreprises d’aller à la rencontre des gens qui sont à la recherche d’un emploi.

 

Vous pensez que l’hôtellerie-restauration ne fait peut-être pas assez d’efforts pour se mettre en avant auprès des jeunes ?

D’un côté on est en pénurie de main d’œuvre, on arrive plus à remplir nos restaurants et nos hôtels, surtout en province. D’un autre côté, il y a des jeunes dans des écoles ainsi que des chercheurs d’emplois. Il y a quelque chose qui ne se fait pas.


Soit on reste arc-bouté sur ces croyances, soit on change des choses, on change la donne. Est-ce que c’est le futur collaborateur qui a plus de poids que l’entreprise, je ne sais pas, mais étant donné que l’on a besoin de collaborateurs, il faut aller les chercher où ils sont. On a plus le choix:  il faut faire ce cheminement-là, qui est un peu plus intellectuel certes, mais si on ne le fait pas les deux parties ne se rencontreront jamais.

 

Trouvez-vous qu’il est plus difficile qu’auparavant de recruter du personnel ?

Je pense que le rapport au travail a changé. Il était évident pour les gens de ma génération, je suis né en 66, que l’on avait besoin de travailler et le plus tôt était le mieux. On était encouragé par les parents… En fait on n’était pas encouragé, mais poussé par les parents à l’âge de 16 ans à commencer son apprentissage, à commencer à vivre sa vie d’une manière ou d’une autre.

Maintenant ce n’est plus du tout le cas. J’ai trois adolescents et je dirais qu’ils n’ont pas de besoin particulier. Ils ont tout ce dont ils ont besoin et on a donc envie de les lancer dans le monde du travail une fois qu’ils seront prêts. Ce n’est donc plus à 16 ans mais à 21 – 22 ans. Ce n’est plus du tout le même rapport. […]

 

Ce que vous dîtes est que : d’un côté le comportement des jeunes a évolué et que d’un autre côté l’hôtellerie-restauration n’a pas changé depuis 50 ans...

Il y a une prise de conscience qui est en train de se faire. Souvent les gens disent que c’est de plus en plus difficile pour trouver du personnel. Je leur demande  : « Qu’est-ce que tu fais au quotidien pour rendre ta profession plus sexy ? Pour rendre les rapports humains plus chaleureux ? Pour qu’il y ait plus de complicité dans ta cuisine, dans ton restaurant?  Qu’est-ce que tu offres de plus qu’aux concurrents ?  ».


J’ai rencontré un chef de cuisine qui venait de recruter quelqu’un. Le nouveau collaborateur lui a dit texto que le mercredi soir, il ne peut pas travailler car il a badminton. Le chef se demandait s’il devait le recruter en sachant donc que le mercredi soir il ne serait pas là, ou bien s’il ne devait pas ne pas l’engager. Je dirais que les jeunes collaborateurs n’ont plus de soucis à dire qu’elles sont leurs priorités et leur priorité est leur vie à eux avant celle de l’entreprise.

 

Donc il y a un travail à faire à la fois dans l’éducation des jeunes et un autre chez les hôteliers restaurateurs …Comment faire pour que ces derniers attirent et gardent les jeunes qui sortent des écoles hôtelières ? Concrètement, quelle est la clef du succès pour limiter le turnover ? Le bien être des employés, les salaires  …?

Je ne suis pas certain que le salaire soit la clef. Je pense que le rapport humain, le “one to one”, quand le manager parle à un de ses collaborateurs, quand il fait un pacte avec lui, quand il écoute son collaborateur et se demande : « Qu’est-ce que je peux t’apporter pour que tu sois dans les meilleures conditions pour travailler et que tu restes longtemps avec moi ? ». Je pense que c’est comme ça que ça fonctionne. Et si un des collaborateurs lui dit, par exemple, qu’il habite assez loin et qu’il ne peut être là avant 10h30 alors le manager peut lui répondre : « On fait un pacte. Tu commences à 10h30 tous les jours et tu n’es plus jamais en retard. » Je pense que c’est comme ça qu’il faut faire. Le système militaire où l’on dit : « On a mis un process en place, tout le monde doit le respecter» , où l’on traite chaque collaborateur de manière identique, je pense que ça ne marche pas.


Il faut vraiment s’intéresser à qui l’on recrute, à qui l’on a en face de soi et veiller à son bien être au quotidien. Naturellement il faut fixer un cadre, si le collaborateur sort du cadre il faut le remettre à sa place. Mais il faut vraiment écouter ses collaborateurs et leur apporter le maximum d’éléments qui puissent leur permettre de rester longtemps avec vous et de bien faire leur travail. […]


Il faut réussir à animer la vie de ses collaborateurs, à les challenger, à faire que leur travail soit de plus en plus intéressant. Il faut s’intéresser à leur évolution professionnelle. Et à un moment donné, savoir s’en séparer aussi car au bout d’un certain moment on ne peut plus rien leur apporter, donc les accompagner vers une promotion même si c’est dans un autre restaurant. Il faut qu’il y ait une dynamique et pas que les gens soient là pendant 20 ans ; ça casse la dynamique. Les jeunes arrivent, ils ont des fossiles en face d’eux, ils comprennent ça n’a pas bougé depuis 20 ans, c’est sûr qu’ils ne vont pas rester.

 

C’est une des méthodes que vous appliquez dans votre restaurant, cette manière de toujours s’impliquer dans l’évolution du personnel  ?

 Exactement. Et ça me permet de me remettre en question. Lors d’un séminaire, on m’a dit « Un bon manager, c’est celui qui sait se séparer de ses mauvais collaborateurs. Un excellent manager, c’est quelqu’un qui sait se séparer de ses meilleurs collaborateurs.» . En fin de compte, il faut savoir accepter de se séparer de ses meilleurs collaborateurs quand ils sont arrivés à maturité. Ceci oblige le manager à régresser en termes de construction d’équipe et à reformer des collaborateurs, donc à recréer de l’énergie. Ça montre que l’équipe est dynamique, qu’il y a des promotions à venir, que tout le monde peut s’investir à 200%.

A l’inverse, si vous rentrez dans un restaurant et que tout le monde est là depuis 25 – 30 ans comme j’ai pu vous l’expliquer, vous savez qu’il ne se passera rien. Donc, les nouveaux employés ne resteront pas longtemps parce que vous allez très vite vous y ennuyer. Il faut savoir créer une dynamique.

 

Vous êtes un restaurant triplement étoilé Michelin. Comment faites vous pour attirer les meilleurs talents dans votre établissement ? Ils viennent naturellement ou c’est vous qui allez les chercher ?

Je vais les chercher où ils sont. Partout. […]. Dès que j’ai l’opportunité d’aller à la rencontre des écoles hôtelières ou de gens qui sont à la recherche d’un emploi et bien j’y vais. Je n’ai plus le choix que d’être proactif par rapport à ça.


A l’inverse, il y a quelques années on recevait des curriculums vitae, on y répondait quand on avait envie d’y répondre, les C.V. s’empilaient derrière le bureau… ça a changé… On ne reçoit plus de C.V. Il faut donc aller dans les écoles, faire la promotion de notre métier, dire qui on est et ce que l’on fait.  Il faut dire que l’on a un métier formidable et qui nous permet de voyager. Il faut donner envie aux jeunes de venir travailler chez nous.

Il faut également désacraliser cette image du pingouin, obséquieux… Il faut montrer qu’on peut avoir un style et une personnalité dans ce métier.

 

Comment est-ce qu’un jeune pourrait faire pour se distinguer, pour susciter l’intérêt du directeur de salle du Alain Ducasse au Plaza Athénée ?

 Il faut qu’il ait un capital sympathie ! Il faut avoir de la personnalité. Comme je dis à mon fils, être juste bien éduqué, ouvrir la porte à quelqu’un, dire merci, être reconnaissant, se lever dans le métro pour laisser sa place… Rien que ça, des choses simples, ça te fera remarquer auprès de futurs recruteurs.


Être bien dans sa peau, avoir du standing, la tête droite, les épaules bien raides et ne pas marcher courber… Il faut être dans une démarche positive.

 

Vous parlez beaucoup d’attitude, de comportement durant la phase de recrutement,… moins de compétences...

Les compétences, on les apprend au fur et à mesure. Aujourd’hui je suis dans ce restaurant, j’ai appris toutes les compétences nécessaires pour gérer ce qui se passe autour de moi. Demain, je change de restaurant ou d’entreprise, je vais devoir réapprendre comment l’entreprise fonctionne et ses process. Donc, les compétences ce n’est pas ce qui est pour moi le plus important.


Le plus important c’est la personnalité, l’envie d’être ambitieux aussi, d’être curieux… des valeurs assez simples.

 

Auriez-vous un conseil à donner aux étudiants qui sont aujourd’hui en école hôtelière ?

Je dirais qu’il faut qu’ils soient convaincus de ce qu’ils font. Que s’ils partent sur des métiers de service, qu’ils soient convaincus que c’est un vrai métier, voire une vocation. A partir du moment où on est convaincu, on est convaincant et on attire des personnes dans ce sens-là. L’hôtellerie est pleine de professions fantastiques et il faut qu’ils en soient convaincus.


J’étais à Blois, il n’y a pas longtemps, devant une classe de 30 élèves. Un me dit : « Quand je dis que je suis serveur, tout le monde rigole» . Je lui ai répondu que le problème n’était pas le mot serveur, mais la manière dont il le disait. La façon dont il habitait le mot serveur :  «Je suis aussi serveur, je travaille dans un super restaurant parce que j’ai grandi, j’ai gravi les échelons. Habite le mot serveur, sois fier de ce mot là et accompagne le d’autres mots derrière. Ne t’arrête pas à ça ».

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