
Les métiers de la salle souffrent de plus en plus d’une désaffection des jeunes. Quelles en sont les principales raisons ?
Les métiers de la salle ne font plus rêver. C’est un constat amer que j’ai eu l’occasion de faire lors de mes nombreux contacts avec les jeunes en formation hôtelière. Ils ont besoin de référents. Contrairement aux chefs qui ont su sortir de leur cuisine, nous manquons de leaders, de personnages charismatiques. On est très loin de l’aura que pouvait avoir un Vatel. Décor, musique, menus, qualité des produits et du service, approvisionnements… les Maîtres d’hôtels étaient de véritables chefs d’orchestre, ils détenaient le "savoir" et savaient parfaitement le transmettre. Ils participaient activement au rayonnement des établissements. Ils en étaient l’élément clé, la pierre angulaire.
Justement, quelle est votre vision du métier ? Comment le vivez-vous au quotidien ?
Les clients ont changé. Si 5 % d’entre eux attendent du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée un service obséquieux, la majorité préfère que nous les invitions à une parenthèse chaleureuse. A nous de dérouler une histoire devant le client et de la reprendre là où on l’a laissée lorsque, conquis, il revient dans votre établissement.
Au Plaza Athénée, j’essaye dans la mesure du possible de cultiver un certain enthousiasme chez mes collaborateurs. Enthousiasme partagé par notre Directeur général, François Delahaye. Je ne veux pas une brigade de "garçons" formatés, mais du personnel à l’aise dans ses compétences, ne travaillant pas sous la contrainte. Cela ne peut être possible que s’il existe une bonne entente et un grand respect entre la salle et la cuisine, entre le Directeur du restaurant et le Chef de cuisine.
D’ailleurs, je le dis souvent au chef Christophe Moret : "Je suis ton premier client, quand tu me fais goûter tes plats et quand tu m’en expliques leur philosophie, tu me nommes Ambassadeur de ton savoir, de ta cuisine. Tu me donnes les moyens de parfaitement te représenter." L’image du ying et du yang, bien souvent galvaudée, trouve dans notre profession sa plus belle expression. Le blanc renvoie à la cuisine, le noir à la salle. Leur forme s’unisse sans se mélanger. C’est à cela que doit ressembler notre travail : à une interdépendance harmonieuse et constructive.
Comment a donc évolué votre profession ?
Aujourd’hui, ce sont les Chefs qui sont au devant de la scène, comme les sommeliers d’ailleurs qui sont montés dans le wagon de la médiatisation. Nous avons perdu de la visibilité. Autrefois, le service incluait beaucoup de préparations en salle. Tout ce côté happening, cette démonstration de savoir-faire disparaît progressivement.
Ce sont les chefs qui ont pris le relais, en proposant des produits finis, à l’assiette. Puis les écoles ont suivi le pas, préférant proposer des cours de gestion plutôt que des cours de techniques de flambage ou de découpage, aujourd’hui considérées comme désuètes. Nous ne sommes plus vraiment les acteurs du métier, mais juste la main de la cuisine qui dépose l’assiette devant le client. Si on ajoute à cela les contraintes d’horaires et de flexibilité, on comprend alors mieux pourquoi nous avons tant de difficulté à recruter et à former de nouveaux talents.
