Édito

La peur et/ou la nouveauté ?

« Deux grands mobiles font agir les hommes : la peur et la nouveauté », disait Machiavel. Rarement pareille maxime ne s’est aussi bien appliquée aux hôteliers. Si les nouveaux concepts foisonnent, si les acteurs traditionnels se sont lancés dans une véritable compétition pour intégrer (voire racheter) des innovations lancées par des start-ups innovantes, c’est bien parce que l’ordre d’hier n’est plus. Et ce n’est pas une réforme : c’est une révolution, culturelle et de modèle économique, qui va devoir être accomplie par tous les acteurs, sans exception.

Il faut dire que l’hôtellerie a subi plusieurs chocs ces dernières années : tandis que la finance  l’appauvrissait à coup de plus-values et de hausses tarifaires ayant dégradé sa compétitivité, le "digital" rognait ses marges… avant que l’économie "collaborative" ne remette en question le cœur même de sa proposition client : proposer un logement aux visiteurs de passage. Parce que le secteur brillait de mille feux, les prédateurs se sont jetés dessus comme des insectes sur une lampe.



« Là où il y a un troupeau, il y aura nécessairement des tondeurs et des mangeurs de troupeau » disait Bakounine…





Pour autant, il faut accepter la perspective que l’innovation soit apportée par des agents extérieurs. Après tout, les start-ups & nouveaux géants de la technologie venus « disrupter » l’industrie ne font pas autre chose que ce qu’avaient accompli en leur temps les Conrad Hilton ou John Willard Marriott aux Etats-Unis et le duo Dubrule & Pélisson en Europe en lançant les chaînes hôtelières.





Pour aller de l’avant, les hôteliers devront être capables de faire une place à l’innovation portée par les nouveaux acteurs. Dans l’automobile, un secteur où la disruption technologique (Tesla) et la mutation des usages (Uber, Lyft…) sont tout aussi fortes, les acteurs traditionnels n’hésitent plus à bousculer leurs modèles : Volvo ne produira plus que des véhicules électriques ou hybrides, BMW s’allie à Intel et à Fiat Chrysler pour développer des véhicules autonomes… Face à l’énormité des sommes en jeu pour amortir les développements technologiques, et compte tenu de l’intérêt pour le consommateur final d’avoir des systèmes compatibles, les groupes automobiles n’hésitent plus à s’unir autour de plateformes communes. Il faudra peut-être un jour que les groupes hôteliers arrêtent de se regarder en chiens de faïence, tout en continuant à pousser des cris d’orfraie contre Airbnb, Booking et les autres innovateurs.





Il leur faudra aussi tenir compte du fait que les barrières entre secteurs d’activité sont devenues une notion obsolète. Quand Amazon rachète les supermarchés Whole Foods, quand Ford développe un prototype de lit-bébé qui berce les nouveau-nés en imitant votre trajet quotidien en voiture, c’est parce que leurs technologies et leurs savoir-faire respectifs leur apportent une capacité d’innovation et une légitimité, dans des métiers certes nouveaux mais qui collent à leur ADN. L’innovation est devenue transverse. Cela veut dire que les concurrents de demain viendront sans doute d’autres univers.





Le premier enjeu, c’est de conserver un positionnement fort, des valeurs. « Des fruits et rien d’autre », comme le dit le slogan d’une marque de jus de fruits à succès… car après le prix et la localisation qui ont fait les succès d’hier, le produit est appelé à prendre une place importante dans la stratégie.





Parce qu’ils ont augmenté leurs prix pour servir les financiers et les acteurs du digital tout en sauvant les meubles dans leurs comptes d’exploitation, les hôteliers ont sacrifié leur compétitivité. Qui en a pâti? Le consommateur d’abord, puis lorsqu’il s’est rebellé, le petit propriétaire franchisé, le personnel, et demain l’Etat, une fois que la nécessaire restructuration –et ses destructions d’emplois– aura été accomplie. Car la désinflation, voire dans certains cas la déflation, est le seul chemin possible.





Dans ce contexte, peu de stratégies seront vraiment gagnantes. Une première, indispensable, sera de lancer de nouveaux concepts, qui apporte de l’offre nouvelle à un rapport qualité-prix attractif. Une autre sera de reprendre « à la casse » des actifs non compétitifs pour les moderniser et les remettre sur le marché à grands renforts d’investissement. La question, ce sera alors de savoir qui va financer tout cela, mais c’est une autre histoire.





Enfin, une troisième option sera d’exploiter le « coût marginal zéro » théorisé par Jérémy Rifkin, cette nouveauté qui ne coûte rien de plus à produire, parce qu’elle est déjà développée. Est-ce assez de louer une chambre une fois par jour ? Certains voyageurs ne seraient-ils pas prêts à partager leur chambre, sous certaines conditions (rappelons-nous le credo de Joe Gebbia, cofondateur d’Airbnb :   « créer la confiance ») ? L’espace de la chambre (coin bureau, kitchenette) ou celui des espaces communs est-il utilisé efficacement, notamment en-dehors des heures de sommeil ? Ne l’oublions pas: d’Uber à Airbnb en passant par les nouveaux acteurs, tous les grands succès du collaboratif se sont bâtis sur l’exploitation de « gisements » tirés des modes de consommation de l’ancienne économie. La richesse de demain viendra de la meilleure exploitation des actifs d’aujourd’hui.





La bonne nouvelle, c'est que tout le monde peut innover, des plus grands groupes mondiaux au plus petit hôtel indépendant au milieu du désert. Il y a toujours un puits quelque part…

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