
Ancien directeur marketing d'Expedia France puis EMOA, Timothée de Roux a rejoint la chaîne d'Alain Ducasse, Châteaux & Hôtels Collection, comme directeur général pendant quatre ans. Puis, il a été engagé comme directeur du Marketing Europe pour Abritel-HomeAway, il y a deux ans. A la suite du départ de Vincent Wermus, il en a été nommé directeur général France. Plus récemment, il a été élu à la présidence du syndicat professionnel qui réunit les principales entreprises connues sous l'appellation de plateformes collaboratives. C'est à ce titre qu'il a répondu à nos questions.
En prenant la direction marketing, puis la direction générale d’Abritel-Homeaway, après avoir été quelques années à la tête opérationnelle de Châteaux & Hotels Collection, vous a-t-on reproché « d’être passé à l’ennemi » ?
Pas en ce qui me concerne, puisqu’avant de diriger Châteaux & Hotels Collection, je venais d’Expedia. Et ma mission était bien de préparer la chaîne volontaire aux défis de la distribution en ligne. Je suis plutôt revenu à mes premières amours après un passage en hôtellerie. De plus, et j’insiste largement sur cet aspect des choses, les offres issues du monde « collaboratif » sont complémentaires des offres hôtelières. Dans leur très grande majorité elles ne s’adressent pas à la même clientèle.
Pour autant, ressentez-vous des tensions entre ces deux univers et comment les interprétez-vous ?
De fait, les tensions existent et on ne peut les nier, notamment à l’égard des plateformes de location de vacances. Notre mission première est d’abord d’expliquer que la location de vacances est un mode complémentaire d’hébergement touristique, qui a toujours existé, qui a donc sa place car il génère directement et indirectement 30 milliards d’euros de retombées économiques en France. Elle contribue à l’attractivité d’une destination et sa croissance était de 30% en 2016. Cela répond donc bien à un besoin. Ce qui a provoqué l’irritation des hôteliers, c’est d’abord que la location de vacances en s’adaptant plus vite qu’eux à la distribution via Internet a gagné très vite en visibilité.
Il s’agirait davantage selon vous d’un saut technologique ?
La location de vacances n’est pas nouvelle, mais sa présence effectivement a été multipliée par l’outil en ligne. Et, il faut reconnaître que dans les grandes métropoles, sa croissance a pu surprendre l’hôtellerie classique. Ce qui n’est pas le cas dans les zones moins urbaines. D’après les statistiques de l’Insee, 80% de l’activité de location de vacances se déroule hors de l’agglomération parisienne. Il y a une crispation sur des épiphénomènes. Si je prends le cas d’Abritel, que je dirige pour la France, sa présence remonte à 1979 sur le marché français. Quand le Figaro publie une annonce de location de maison à la campagne, on ne demande pas au Figaro de limiter les périodes, de réclamer un numéro d’enregistrement et de percevoir la taxe de séjour.
Dans beaucoup de cas, les plateformes ne sont que des médias intermédiaires. Du coup, vivez-vous les mesures de régulations administratives et législatives comme un excès de réglementation ?
La position de l’UNPLV (Union Nationale pour le Promotion de la Location de Vacances), qui représente à travers ses membres 80% du secteur, est claire, toutes les mesures qui peuvent contribuer à une meilleure régulation sont bonnes. Nous participons activement aux discussions qui permettent de préparer, notamment, les décrets d’application. Pour autant, nous alertons les autorités sur le danger de la complication. Il y a un enjeu d’accessibilité pour les clients et de simplicité pour les propriétaires. C’est la condition pour ne pas entraver le développement d’un secteur qui enrichit l’offre française. Si je prends l’exemple du numéro d’enregistrement, la simplicité et l’immédiateté sont respectées avec une procédure qui prendra quelques clics et qui ne fait pas appel à la confidentialité des informations. C’est donc pour nous une bonne mesure, à quelques petits détails à retravailler. Notre seconde préoccupation touche à la stabilisation des mesures. On ne peut changer régulièrement les règles du jeu quand elles ont été acceptées. Il ne faudrait pas que la nouvelle Assemblée nationale cherche à rajouter ses couches au mille-feuilles réglementaire existant.
Craignez-vous qu’il y ait une volonté de réduire volontairement votre activité ?
Que ce soit volontaire, je ne le pense pas, mais que la complexité qui ressortirait des nouvelles mesures entraine une inquiétude chez les propriétaires et une baisse d’activité peut en être la conséquence.
Si on peut vous suivre sur la location de vacances, plutôt familiale, comprenez-vous que les hôteliers craignent une concurrence plus frontale quand la location s’adresse aussi et de plus en plus aux couples et aux hommes d’affaires ?
Il est vrai que nous n’allons pas nous plaindre que la location saisonnière élargisse sa clientèle vers d’autres segments. Nous n’allons pas nous opposer à un mouvement qui se justifie aussi par le manque d’offre alors que les flux de voyageurs sont en croissance. Si la France compte accueillir 100 millions de voyageurs à court terme, nous pouvons y contribuer.
Dans quelle mesure un renforcement de la régulation est souhaitable ?
Nous alertons encore une fois sur la réalité de ce marché. Tous les modèles économiques ne sont pas le même que celui d’Airbnb ou d’HomeAway, toutes les entreprises du secteur n’ont pas la capacité de mettre en œuvre des développements de fonctionnalités complexes. Toutes nos entreprises adhérentes se sont conformées à la requête de rappeler aux propriétaires leurs obligations fiscales et de leur communiquer le montant de leur revenu. Cet investissement technologique a pesé lourd pour pas mal d’entre elles.
Est-ce que cela peut pousser à une accélération de la restructuration, comme le rachat récent d’HomeAway par Expedia ?
Je ne peux pas en présager l’ampleur, mais j’ai le sentiment qu’elle va se produire comme dans d’autres secteurs. Les business modèles évoluent et c’est dans la nature même du développement des entreprises. Ce qui est important à mes yeux, c’est la clarté du positionnement. Si je reprends l’exemple d’HomeAway, nous mettons clairement en avant le fait de ne pas partager ses vacances avec des inconnus, mais avec ceux que vous aimez en ayant votre propre appartement ou maison.
N’y a-t-il pas la crainte à trop satisfaire le client et ses exigences, notamment tarifaire, à arriver à une situation destructrice pour des pans entiers de l’hospitalité, qui n’a plus de rentabilité et ne peut plus entretenir le produit ?
La mise en ligne de ce marché a considérablement augmenté sa visibilité et donc l’opportunité d’y recourir. Il y a naturellement une pression sur les prix dans une situation de concurrence accrue, mais je n’ai pas encore d’exemple que cela ait pu entraîner une spirale à la promotion et des prix bradés au détriment de la qualité.
Considérez-vous qu’avec la multiplication des offres, dont certaines sont notablement concurrentes de l’hôtellerie classique, la location de vacances serve aujourd’hui de référence au prix moyen ?
Encore une fois ce n’est pas le même service et l’on peut comprendre qu’une location d’appartement soit bien moins chère qu’une chambre d’hôtel. Quand il y a une offre de services additionnels, soit par la plateforme, soit par des services de « conciergerie » parallèle, le prix de la location augmente et se retrouve assez proche du concept hôtelier. C’est au client de faire son choix.
Qu’est-ce qui pourrait freiner brutalement le développement de la location de vacances ?
Il est clair qu’aujourd’hui le développement du nombre de visiteurs en France profite davantage à la location d’appartements et que notre part de marché est en croissance. La technologie nous aide aussi car cela fait partie des gros investissements des plateformes qui franchissent régulièrement de nouveaux seuils de performance et de simplification. Ces deux arguments nous permettent d’être plutôt optimiste pour le développement. Les freins sont davantage liés, et pour tout le secteur tourisme, aux risques géopolitiques et sécuritaires.
Craignez-vous un durcissement de la crispation, notamment quand l’Athop n’a pas renoncé à sa plainte pour concurrence déloyale et pratiques délictueuses ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer et de discuter avec le président de l’Athop, Jean-Bernard Falco, et je lui rappelle notre position. Qu’il y ait des propriétaires qui ne respectent pas le cadre légal, cela peut se produire dans n’importe quelle activité, nous ne pouvons pas avoir une totale maîtrise. Encore une fois, on ne peut pas imposer les mêmes règles quand les modèles sont très différents. On n’a jamais attaqué le Figaro parce qu’un propriétaire de villa de vacances ne payait pas ses impôts sur la location issue des petites annonces. Nous sommes ouverts à la discussion et à la régulation, mais dans le respect d’une stabilité réglementaire qui permette aux acteurs de digérer les règles, surtout quand ils sont de bonne foi.
