
« Le RMS peut être vu comme un copilote performant pour aller creuser des pistes qu'on aurait pu négligées »
En charge de l’équipe des 5 revenue managers qui se répartissent l'ensemble du portefeuille des 64 hôtels en France et en Allemagne, Joachim Benabdallah supervise aussi l’équipe commerciale et le département marketing, pour assurer la cohérence entre leurs différentes missions. Il répnd aux questions d'Hospitality-ON parues dans l'édition de Mars-Avril du magazine.
Comment arrivez-vous à superviser des équipes dont les motivations peuvent s’avérer conflictuelles entre l’intérêt du client et celui du groupe ?
Je pense qu’il est important que ces trois différents services aillent dans la même direction et qu’ils ne soient pas piloté de façon indépendante et finalement que chacun parte dans sa propre direction, par exemple faire du chiffre d'affaires peu importe en fait la rentabilité. Le revenue management va corriger la tendance et le marketing insister sur la fidélisation. De fait, le revenue management a plein de choses à tirer du marketing, de ses recherches sur les périodes prisées par les clients, sur l’utilisation des mots clés… Les revenus managers recommanderont plutôt le type de clientèle à prioriser pour pouvoir ensuite piloter un peu plus finement la tarification.
Est-ce qu’il y a néanmoins un département qui prend le pas sur l’autre dans l’atteinte du résultat final ?
Je suis moi-même un ancien revenue manager et j’y ai mon gros domaine d'expertise, mais je me suis aussi formé sur le marketing et donc j'essaie de prendre le meilleur du RM pour l'appliquer à la stratégie marketing.
On a néanmoins le sentiment que le revenue management est devenu essentiel, passant de la recommandation à l’injonction…
Nous fonctionnons toujours sur le même principe qu’à l’arrivée du revenue management dans les hôtels. C'est le directeur de l'hôtel qui est le chef de l'entreprise et qui prend les décisions finales. Il a délégué une responsabilité au RM, qui va faire le pilotage au quotidien, mais cela n’empêche pas le directeur d'aller le challenger régulièrement sur ses prises de décision. A charge aussi au RM de challenger son outil face aux recommandations qu’il va faire au quotidien.
On ne peut pas dire que le RM a réussi à imposer sa vision de la rentabilité maximum ...
Personnellement, je le vois comme un copilote. Il utilise un outil performant pour aller creuser parfois des pistes qu'il n'aurait peut-être pas vu lui-même. C'est tout l'intérêt du système. Le second est que l’outil travaille 7 jours sur 7. Typiquement, sur les week-ends on fait confiance à son intelligence automatisée pour ne pas louper d’opportunité.
Peut-on dire qu’il y a eu une sophistication de cet outil dans l'analyse des données du marché qui permettent de faire ces recommandations ?
Pour moi le RMS est un peu devenu une boîte noire, qui a évolué dans le temps. Son fonctionnement est basé sur des algorithmes, simples auparavant, ils deviennent plus complexes. C’est ce que nous disent les fournisseurs de RMS qui leur ont ajouté tout un tas d'informations pour que la précision du calcul de la demande se renforce. Au final, toute la stratégie est établie sur cette base.
« Pour moi le RMS est un peu devenu une boîte noire, qui a évolué dans le temps. Son fonctionnement est basé sur des algorithmes, simples auparavant, ils deviennent plus complexes ».
Entre les données d’atterrissage et celles du forecast, voyez-vous de moins en moins de différences ?
Oui, les forecasts sont de plus en plus fiables, au moins au global. C’est parfois moins vrai hôtel par hôtel où l’on constate des disparités qu’il faut analyser et comprendre pourquoi l’outil a réagi de cette manière-là. Il faut souligner aussi que l’outil se met à jour au fur et à mesure du temps, et corrige régulièrement ses forecasts.
Est-ce qu’on peut se mettre des garde-fous et quelle est la périodicité des forecasts ?
On va fixer des règles sur une saison en bornant l’outil et la stratégie tarifaire avec des « floors & cellings », des limites hautes et basses par saison. Auparavant, on travaillait plus mécaniquement sur les jours de la semaine, en semaines types à placer sur un calendrier.

Est-ce l’introduction de l’intelligence artificielle peut renforcer encore les performances de ces outils de RMS ?
En fait, cela fait très longtemps qu'il y a de l'intelligence artificielle dans les RMS, pour bâtir les algorithmes. Pour moi le nouvel usage de l’IA est conversationnel. On questionne une machine qui vous répond. Le nouvel apport de l’IA serait dans cette dimension de communication plus simple avec la machine, encore plus facile à utiliser. Aujourd’hui, on entre des données et on en sort des recommandations. On ne peut pas poser la question : « Pourquoi tu as pris cette décision ? ». Ce serait un progrès si les fournisseurs pouvaient ajouter cette fonction.
Quand on voit l’impact d’événements ponctuels comme la tournée de Taylor Swift sur l’activité hôtelière que n’avait pas prévu les RMS, est-ce qu’il y a d’autres informations prédictives que l’outil devrait prendre en compte ?
Aujourd’hui le fournisseur de RMS nous demande d’introduire nous-mêmes ce genre d’événement dans la machine. Il y a quand même un garde fou dans la mesure où l’outil va revoir ses recommandations s’il voit une montée en charge anormale et/ou des grosses modifications chez les concurrents. Le problème est qu’il sera peut-être déjà trop tard. Les Rate Shoppers incluent ces types d’événements dans leur outil, peut-être que les RMS devraient se pencher sur la manière d’intégrer ces données. Mon interrogation porte davantage sur l’impact de la météo qui est très importante pour les hôtels de loisir. A ma connaissance, en tous cas, il n'y a pas d'outils RMS qui permettent de la prendre en considération. On le fait en intervenant manuellement mais il n’y a pas d’automatisation en la matière.
« Mon interrogation porte davantage sur l’impact de la météo qui est très importante pour les hôtels de loisir. A ma connaissance, en tous cas, il n'y a pas d'outils RMS qui permettent de la prendre en considération »
Le RMS s’intègre-t-il facilement avec les autres outils de distribution hôtelière, comme le CRM notamment ?
En tant que franchisés, nos hôtels sont connectés aux programmes et outils de CRM des franchiseurs, mais ces données sont utilisées par le franchiseur et nous ne pouvons rien en faire. Nous cherchons une solution CRM pour nos hôtels sans enseigne pour voir quelle information obtenir sur nos clients et l’utiliser aussi dans la stratégie tarifaire. Pour l’instant ces outils fonctionnent indépendamment l’un de l’autre, RMS, Channel Manager, CRM. Un client fidèle sera traité de la même manière par l’outil tarifaire car il n’aura pas été identifié avec un affichage spécifique.
Est-ce une piste de travail ?
Sans doute, mais avec ma casquette RM je ne vois pas pourquoi on raterait une vente au prix optimum au profit d’un client si fidèle soit-il. C’est une question presque philosophique. Heureusement, le directeur d’hôtel a toujours le pouvoir de ne pas appliquer la recommandation tarifaire à un client particulier qu’il a identifié pour sa fidélité.
« Si on laisse davantage la main au revenue manager, il a moins tendance à se challenger avec l’outil. Il va avoir tendance à implémenter sa propre stratégie. La confrontation avec la machine est un effort nécessaire à mon sens ».


