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[#WHA19] « Tout ce qui ne vous détruit pas, vous rend plus fort »

7 min de lecture

Publié le 05/12/19 - Mis à jour le 17/03/22

Paul Dubrule, co-fondateur du groupe Accor

Intervention de Paul Dubrule, co-fondateur du groupe Accor, au cours de la MasterClass 2019 des 20èmes Worldwide Hospitality Awards.

On dit que dans les affaires, il faut savoir rêver. Il ne faut pas avoir des petits rêves, parce qu’on ne va pas loin, il faut des grands rêves. Moi j’avais le grand rêve de vouloir faire une centaine d’hôtels, à l’image d’Holiday Inn. Mais je n’avais pas d’argent, et je n’avais pas de modèle. Donc j’allais voir les gens de la distribution, etc. et il n’y en avait pas un qui disait qu’il se développe. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Gérard Pellisson. Mais on n’avait toujours pas les moyens, on n’arrivait toujours pas à démarrer.

J’ai ainsi emprunté de l’argent, j’ai pris un billet d’avion pour aller à Memphis, voir Kennas Switson, et lui dire « Monsieur le président, j’aimerais bien que vous m’engagiez comme votre vice-président Europe pour développer Holiday Inn, parce qu’actuellement, je vois bien que vous avez du mal, mais moi je sais très exactement ce que vous devez faire ». Alors il me dit que c’est intéressant, mais qu’il dit qu’il doit voir son associé, et me promet de me donner la réponse dans une semaine. Le temps d’attendre une semaine, j’ai essayé de voir quelques autres, pour me vendre, auprès de Sheraton, et d’autres… mais je n’arrivais pas à me vendre. Puis au bout d’une semaine, le président d’Holiday Inn me dit « The answer is no » (« la réponse est non »). Je n’ai jamais été aussi déprimé que ce jour-là, désarçonné, j’avais préparé une belle présentation… mais vous voyez, c’est comme ça qu’on a de la chance dans la vie. Il faut démarrer avec une grande claque dans la gueule, et après, on peut avancer. Tout ce qui ne vous détruit pas, vous rend plus fort. Mais une idée ne vaut rien tant qu’elle n’a pas été réalisée. Une idée n’a de la valeur qu’une fois qu’elle a été mise en œuvre.

Aussi la complémentarité avec Gérard Pellisson, qui était beaucoup plus financier que moi, et moi peut-être beaucoup plus stratège que lui, n’a pas toujours été facile. C’est comme le mariage. Tous les gens mariés le savent : tous les jours ne sont pas forcément faciles, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut divorcer, même s’il y a parfois la tentation.

Le premier Novotel, c’est, dans mon esprit, une catégorie un peu en dessous, du genre ibis. Je voulais faire vraiment de l’hôtellerie économique, reproduisible, et l’objectif était d’en faire 100. La pression du crédit hôtelier, qui était le seul moyen de financement extérieur à l’époque, a été telle qu’ils n’ont pas voulue de cette hôtellerie totalement économique. Novotel était un moyen terme qui a réussi à passer. Mais je rêvais de cette catégorie économique. Mon projet était d’avoir une centaine d’hôtels. Mais on s’est aperçus très vite avec Gérard qu’on ferait les 100 hôtels en France assez rapidement, même si c’était plutôt 80-90, mais on voyait bien qu’on pouvait y aller. On s’est alors dits : soit on va à l’international, soit on créé ce produit ibis. Comme des fois, c’est difficile de choisir, et bien nous avons fait les deux.

Ainsi ibis a été un grand succès, et le développement international, une catastrophe. Pendant très longtemps, le développement international, on avait commencé par la Suisse et la Belgique, ce qui était une véritable catastrophe. Nos comptes étaient alors détériorés par les pertes que l’on faisait dans ces deux pays. Après cela, nous sommes partis en Allemagne, en Angleterre, toujours avec la volonté d’y arriver, ce qui a été un poids : je crois que nous avons perdu de l’argent pendant 15 ans en Angleterre, pendant 10 ans en Allemagne, pendant 15 ans en Suisse, et aujourd’hui ces pays sont les plus gros contributeurs. On dit « perseverare diabolicum », peut-être, mais en l’occurrence, nous étions un peu contraints. Notre conseil d’administration nous disait « arrêtez ! Coupez-vous un doigt, un bras, mais arrêtez ! ». Alors on disait « oui, mais comment ? ». Il faut poursuivre. Et ça été notre chance : on est devenu le premier mondial d’opérateur international. Parce que la plupart des grands, ils sont dans leur pays. Les américains, même s’ils sont forts à l’international, sont en grande majorité dans leur pays. Les chinois, pareil. Ils restent que les petits français.

Pour le nom d’Accor, on a fait des recherches avec des spécialistes, qui nous ont sorti des noms mythologiques, des fleurs, des plantes, des grands hommes, … et puis il en restait deux : Aurore et Accor. J’étais personnellement contre Aurore, parce qu’en anglais, ça faisait un peu horrible. Puis Accor, c’était le premier, ça commençait par un « A »… Mais finalement, les noms n’ont pas grande importance. C’est ce qu’on en fait qui importe. Voyez des entreprises qui se sont développés après la guerre et qui se sont appelées Bosh, et qui marchent très bien… ou alors vous arrivez avec des noms imprononçables, comme les glaces Häagen-Dazs, mais c’est bon. Donc le nom n’a relativement peu d’importance, c’est ce qu’on va en faire.

Mais il y a des éléments importants, comme l’industrialisation, qui peut présenter des inconvénients aujourd’hui, mais qui permettait de réduire les prix. Le deuxième élément important, c’est la prise de conscience très vite qu’on était dans un métier de main d’œuvre, et que la main d’œuvre, si elle était formée, si elle avait des compétences, si on pouvait l’éduquer, le rendement était extraordinaire. C’est vrai que la productivité dans nos métiers, il peut y avoir des robots, de l’intelligence artificielle… on est quand même limités. Mais là où on peut progresser formidablement, c’est quand on forme, et qu’on a une éducation de notre personnel, une motivation du personnel, parce que le personnel est clé dans cette affaire. D’ailleurs je souhaiterais aujourd’hui que les salaires minimum soient augmentés. Vous pouvez augmenter les salaires aujourd’hui dans les métiers de l’hôtellerie de 20%, je suis sûr que le résultat sera positif.

On peut en discuter, bien qu’on tremble quand on parle de choses comme cela, et ce n’est d’ailleurs pas facile. Ce n’est pas facile à faire, parce qu’on n’est pas seul, qu’on a des concurrents voisins, un certain nombre de choses… mais si on ne s’y met pas tous, qu’est-ce que ça change ? C’est ça le problème. Un accord avec les pouvoirs publics, les partenaires sociaux et l’ensemble des professions de l’hôtellerie, il y aurait vraiment là un challenge tout à fait intéressant. Il faut revaloriser les salaires dans notre métier. Quant à l’industrialisation, elle n’est pas morte. Ce n’est pas parce qu’on vous colle une décoration jolie sur les hôtels, qu’on met des bouquets de fleurs, qu’on fait du lifestyle, … je veux bien, mais il faut raisonner avec l’industrie automobile. Vous avez des marques, comme Audi, Volkswagen, … mais elles ont une plateforme commune : technologiquement, la plateforme est là. Ensuite on vous la décore, on met une carrosserie différente, on vous met des petites choses en plus… mais c’est le décor. Mais la technologie pour que l’air conditionné fonctionne, pour que le chauffage fonctionne, pour que les matériaux soient solides, ou pas solides si on veut les remplacer régulièrement, ça se travaille. Mais la technologie, l’industrialisation des plateformes dans l’hôtellerie, c’est essentiel.

Aujourd’hui, les problèmes d’Accor me dépassent. Je suis revenu moi à la création d’hôtels. La création d’hôtels, il y a deux choses : à la fois les marques et ce qu’on veut en faire. Si vous êtes un jeune entrepreneur, que vous avez un peu d’argent, et que vous pouvez financer vos propres hôtels, si vous n’avez pas l’intention d’être cotés en bourse et d’avoir murs et fonds, je suis convaincu que vous pouvez le faire. Mais si vous voulez comme au niveau d’Accor, vous ne pouvez pas, vous ne pouvez plus. Donc vous devez vous spécialiser dans la prestation de service, et trouver les bons accords, avec Booking.com et autres, c’est absolument indispensable, c’est un pas important. Car il y a eu une évolution. Donc si vous êtes seul, construisez vos hôtels, développez, et prenez une marque. Alors les propriétaires de marques doivent faire attention : comme disait Gérard Bremond, il ne faut pas confondre une enseigne et une marque. Je pense que les marques doivent être renforcées, consolidées. Dans le métier, il y a les OTA et les marques. Mais l’un ne va pas remplacer l’autre, parce qu’on aura toujours besoin d’une référence de qualité. Donc il faut investir dans la marque.

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