Interventions de Georges Sampeur, président du conseil de surveillance B&B Hôtels, au cours de la MasterClass 2019 des 20èmes Worldwide Hospitality Awards.
L’entrepreneur doit avoir une vision. Pour B&B, j’ai eu une vision, une vision qui a été un peu édictée par ce que j’ai vu sur d’autres marchés. Lorsque je suis arrivé en France après avoir passé 10 ans au Royaume-Unis, j’ai repris B&B. Au Royaume-Uni, j’ai été témoin de la naissance d’EasyJet et de Ryanair. J’ai vu comment ces deux entreprises ont révolutionné le transport aérien traditionnel. Dans ce segment qui était déjà exploité par des grands acteurs de l’hôtellerie économique, j’avais fait le constat que les offres qui existaient étaient des offres très standardisées, et des offres qui ne mettaient pas en valeur le client par la qualité des prestations.
A l’époque, quand on parlait de l’hôtellerie bas de gamme, on parlait d’hôtellerie à services limités. Je me suis dit que cette notion d’hôtellerie à services limités était très dévalorisante pour les clients qui cherchent aujourd’hui un produit abordable, mais qui n’ont pas forcément envie d’être dévalorisés lorsqu’ils font ce type d’achat. Il n’y a pas de raison qu’ils aient honte lorsqu’ils vont dans des hôtels pas chers. Je me suis donc demandé comment valoriser le produit, et comment passer d’une hôtellerie à service limité à une hôtellerie à service sélectionné, la sélection étant importante pour rester compétitifs, parce que pour rester compétitifs au niveau du prix, ce n’est pas le même coût du lit. L’important c’était de faire sentir au client qu’on allait lui donner le meilleur du service qu’on pouvait lui offrir. Ça été le début de ce concept éconochic qu’on a créé, de façon à mettre une hôtellerie valorisante au service du client.
C’est donc parti d’une entreprise qui existait déjà, car B&B a été créée en 1990 par un entrepreneur breton, qui était un acteur régional à l’époque, et un autre acteur, la famille Jacquier, car l’aventure a continué avec eux par la suite pour des raisons de développement. Mais le constat d’origine, c’était ça. C’était important d’avoir une vision sur le produit. Ensuite on a fait tout un travail avec les clients mais également les collaborateurs, parce qu’apporter un nouveau concept c’est bien, mais quand on est dans une hôtellerie dite économique, c’est important aussi pour assurer la rentabilité économique, que les collaborateurs s’approprient le projet. C’est donc tout le travail qu’on a fait avec Olivier Saguez à l’époque, de repositionner le produit, de lui donner une valeur, de changer d’image, de changer de logo, etc. C’est un produit qu’on a fait évoluer sur le temps, car on s’aperçoit que l’offre standardisée ne correspond plus à ce que le client attend. Le client attend une expérience. Aujourd’hui c’est comment standardiser le non-standard. C’est le nouvel enjeu futur.
Notre premier LBO (montage financier avec endettement) c’était un Management Buy-Out (MBO) en 2003, une opération qui a duré 2 ans avec Duke Street Capital. Ensuite on a été racheté en 2005 par Eurazeo, qui est notre actionnaire majoritaire jusqu'en 2010, puis Carline de 2010 à 2015, PAI de 2015 à 2019, puis le rachat par Goldman Sachs en 2019. En 2003, nous avons ainsi racheté l’entreprise 230 millions EUR murs et fonds. Nous avons uniquement vendu le fonds de commerce 1,9 milliard EUR cette année. La valeur de l’immobilier aujourd’hui, même si elle est détenue par des tiers, est aux alentours de 2,5 milliards EUR. C’est donc de la création de valeur.
Ensuite, pour reprendre Confucius, « l’expérience est une lumière qui n’éclaire que le chemin parcouru ». Il faut donc faire attention à vouloir faire de la prospective à partir de son expérience. En reprenant l’idée d’évolution des métiers, je dirais qu’il ne faut pas subir. Lorsqu’on est face à une révolution, ce qui peut sembler un challenge pour son entreprise, il y a deux façons de réagir : soit on cherche un coupable, soit on cherche une solution. Je pense qu’en ce qui nous concerne, on préfère chercher des solutions. On s’adapte. On a eu l’intervention de Booking.com. C’est vrai que c’est un enjeu majeur pour l’industrie, parce qu’on a toujours dit que la valeur d'une entreprise, c’était son réseau, mais c’est aussi la valeur de son portefeuille clients, c’est la fidélité de ses clients. Aujourd’hui, autant l’hôtellerie physique n’est pas dématérialisable, et c’est notre profession de choisir les bons emplacements pour attirer les clients là où il faut être ; autant on est en danger de voir la distribution se dématérialiser, et donc de perdre ce qui est la substantifique moelle de nos marques, à savoir le portefeuille clients.
Je pense qu’il faut être intelligent par rapport à des grands distributeurs, les utiliser comme des circuits de distribution complémentaires pour attirer des clientèles que nous n’aurions pas autrement, car cela ouvre des perspectives extraordinaires. Aujourd’hui, même si au début nous avons privilégié la distribution directe, avec plus 90% de notre distribution en direct pendant très longtemps, et encore très majoritairement en direct aujourd’hui avec 80-83%, mais nous sommes bien-sûr très heureux de travailler avec les grands distributeurs pour attirer la clientèle internationale, que nous ne savons pas encore toucher même si nous sommes dans 12 pays aujourd’hui.
Je n’ai pas de conseil à donner à quelqu’un qui démarrerait dans le métier de l’hôtellerie aujourd’hui, sinon que c’est une industrie « bénie des dieux », parce que le tourisme est une industrie qui se développe plus vite que nous pouvons développer de nouveaux établissements. Nous parlons beaucoup de nouveaux concepts comme le « lifestyle », ce que je n’aime pas beaucoup parce que ça ne veut rien dire (littéralement « style de vie »). Je pense que ce sont des concepts tendance, il faut s’y adapter. Mais il reste encore beaucoup d’hôtels qui ont besoin d’être rajeunis, il y a beaucoup d’hôtels qui n’ont pas fait leur évolution, qui sont toujours très « vieillots ». Il y a donc tout un portefeuille d’hôtels à conquérir, à moderniser, à mettre au gout du jour pour pouvoir attirer une clientèle qui s’intéresse à ce type de produits.
L’important, c’est d’avoir une vision, un cap. Parce que ce qui est important, c’est de savoir où aller avec son navire. Après on sait très bien que l’itinéraire, il faut l’adapter en fonction : on le voit bien avec des courses comme Transat Jacques-Vabre, avec des accidents de parcours qui font qu’on va faire escale là où on avait pas forcément prévu. On modifie son itinéraire. Mais c’est important d’avoir un cap. Sinon on est au gré des vents, transportés par des éléments extérieurs, et ça, ça crée l’échec. Donc je pense que c’est important d’avoir une vision pour son entreprise. Et puis de vivre avec son temps, et de s’adapter au besoin de la clientèle nouvelle. Je pense que les enjeux aujourd’hui, dans notre métier, comme on est dans un monde où les gens se déplacent de plus en plus, c’est de suivre les transformations des jeunes.
On parle beaucoup d’éco-responsabilité, de responsabilité environnementale, ce qui crée des réflexes chez les jeunes qui sont très différents de ce que nous avons pu vivre. Ce sont eux les consommateurs de demain. Comment vont-ils consommer ? On voit déjà le « plane bashing », c’est très mauvais de prendre l’avion… On note des changements de comportement. On s’aperçoit aussi aujourd’hui qu’il y a très peu de jeunes qui veulent passer leur permis de conduire. Il faut presque les obliger à le passer, en leur expliquant que ça leur servira quand ils travailleront plus tard… mais ce n’est pas un réflexe que les jeunes de 17-18 ans ont aujourd’hui. Donc comment ces jeunes vont se comporter dans leur responsabilité sociale et environnementale, et quels sont les acteurs qu’ils vont choisir pour leur consommation. Ce sont des enjeux qui auront forcément un impact sur notre industrie, mais que je ne peux pas mesurer encore.
Aussi, développer de l’hôtellerie, c’est très consommateur de capitaux. C’est pour cela que nous avons toujours été très heureux de travailler avec des fonds d’investissements qui nous ont aidés à financer notre croissance. On a fait un autre choix aussi : nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas être à la fois un acteur dans l’immobilier et un acteur dans la distribution hôtelière. Nous avons donc fait le choix de ne plus être propriétaires de nos établissements. Dominique Ozanne parlait au Paris Asset Forum >hospitality du partenariat que nous avions signé en Pologne. Nous avons un partenariat qui a industrialisé : c’est devenu une machine à développement. Aujourd’hui notre taille fait que nous n’avons plus trop de difficultés à trouver des opérateurs financiers pour porter notre développement, parce qu’ils connaissent notre modèle économique. Ils savent comment ça fonctionne, ils savent quelle rentabilité ils peuvent en retirer.
C’est une question de vision à long terme : pour asseoir une marque, pour asseoir sa force, il faut d’abord que la marque soit très lisible. Aujourd’hui nous avons un développement de ce que j’appellerai plus des enseignes que des marques, parce qu’il n’y a pas vraiment de personnalités derrière. Aujourd’hui une marque pour qu’elle soit forte, il faut qu’elle soit lisible. Il faut que le client comprenne ce qu’il y a derrière. C’est ce qu’on essaye de faire avec B&B. Ça permet justement d’avoir un moyen de défense par rapport aux distributeurs (Bookings.com, Airbnb, et autres), c’est parce que le consommateur comprend ce que notre marque veut dire, et comprend ce qu’il vient consommer chez nous. Ça le rassure. Le consommateur a besoin d’être rassuré par la marque qu’il utilise.
Pour que cette marque soit forte, il faut que son déploiement soit le plus rapide possible. Il faut qu’il puisse nous trouver partout où il a envie de nous trouver. C’est l’enjeu du développement. C’est plutôt notre stratégie, plutôt que de trouver un nouveau concept pour en faire 10, 15 établissements, en espérant qu’on va être revendu derrière à quelqu’un qui va racheter ce nouveau concept parce qu’il se dit que c’est un concept d’avenir. Donc faire du développement à court terme, ce n’est pas notre stratégie. Notre stratégie, c’est de faire du développement à long terme, d’être un acteur majeur. On est parti d’une région, aujourd’hui on est dans 12 pays. Quand on se lance sur un pays, on n’y va pas pour faire 4-5 hôtels, mais 100, 200, 300… ce qui est aussi rassurant pour les investisseurs qui viennent à nos côtés. Cela donne une visibilité à trois ans sur notre développement, on sait qu’on ouvre 70, 80 hôtels par an, qu’on est dans un marché qui est exponentiel, ce qui est très rassurant pour nos investisseurs. C’est ça notre vision.