
Les clichés sur une Inde misérabiliste, associés aux succès de Salaam Bombay ! ou Slumdog Millionnaire, sont largement en train de tomber à l’énumération des performances du pays le plus peuplé de la Terre, 5e puissance économique mondiale et un taux de croissance dépassant 6,5% en 2024. En multipliant, partenariats et acquisitions, les leaders mondiaux de l’hôtellerie y creusent leur sillon.
Dernier en date à manifester un intérêt croissant pour le sous-continent indien, le groupe Accor s’associe au conglomérat InterGlobe, propriétaire de la compagnie IndiGo (400 avions et 130 destinations desservies et investisseur déjà partenaire du groupe. Leur ambition commune monte d’un cran : exploiter un réseau de 300 hôtels sous enseigne Accor d’ici 2030, contre 71 hôtels à ce jour et 40 de plus dans le pipeline. Tous les segments sont concernés, de l’économique au luxe.

Ces derniers jours, Sébastien Bazin est venu en personne signer le partenariat avec Sukhani Ventures pour développer deux établissements au Rajasthan, un Raffles Resort dans le parc naturel de Ranthambore (63 villas à horizon 2027) et un Sofitel Legend Sukh Bagh de 300 chambres à Jaipur pour fin 2028.
Il faut se souvenir qu’il n’y a pas si longtemps, en 2005, le nombre de chambres d’hôtels de chaînes (branded) en Inde était bien inférieur à celui de la seule capitale française. Selon le rapport India Tourism Statistics 2005, l’Inde comptait environ 68 000 chambres classées, toutes catégories confondues (tourism.gov.in), quand Paris en avait 80 000.
Un parc qui s'est construit d'abord dans le haut de gamme
Il y a vingt ans, l’offre de chambres disponibles en Inde était encore limitée, principalement concentrée dans le segment du luxe et portée par des acteurs locaux. En tête de file figurait Taj Hotels, Resorts & Palaces, marque emblématique du groupe The Indian Hotels Company Limited (IHCL), une filiale du conglomérat Tata Group.

Aujourd’hui, The Indian Hotels Company Limited (IHCL) s’est considérablement diversifié. Si Taj demeure la marque phare du groupe, IHCL s’est déployé sur d’autres segments de marché, avec une présence dans plus de 75 villes secondaires, en plus des grandes métropoles, capitales commerciales et administratives. Le portefeuille de marques comprend désormais Ginger, Vivanta, Gateway, Ama Stays & Trails et SeleQtions, totalisant 380 hôtels, dont 243 en exploitation. L’objectif affiché est d’atteindre plus de 700 établissements à l’horizon 2030.
Selon Suma Venkatesh, vice-présidente exécutive en charge de l’immobilier et du développement chez The Indian Hotels Company Limited :« IHCL bénéficie d’un positionnement unique, combinant les fonctions de propriétaire et d’opérateur à une échelle sans précédent en Inde. Nous avons affiché une performance de croissance exemplaire sur tous les indicateurs clés au cours des cinq dernières années, positionnant IHCL parmi les cinq groupes hôteliers les mieux valorisés au monde. Notre stratégie ne repose pas sur une logique d’expansion symbolique, mais sur une croissance cohérente, génératrice de valeur et rentable. Notre ambition constante est d’identifier les opportunités offertes par le marché indien et de faire évoluer notre portefeuille de marques pour répondre à une demande croissante, en réinventant nos enseignes existantes tout en en créant de nouvelles. »
IHCL n’est pas la seule compagnie historique sur son créneau haut de gamme : Oberoi, fondé en 1934 par M.S. Oberoi qui compte 30 hôtels de luxe en Inde et à l'étrangr ; The Leela Palaces, fondée en 1986 par C.P. Krishnan Nir, membre de The Leading Hotels of the Wold ; The Lalit Hotels, émanation du Great Eastern Hotel à Kolkata, ouvert en1841, et dont le portefeuille compte une douzaine d'hôtels en Inde, avec des projets d'expansion.
Car l’expansion est le mot à la mode dans un pays où le niveau de vie de la classe moyenne est en forte croissance, complétant le segment prestigieux mais plus restreint des classes dirigeantes fortunées, qui défrayent la chronique des mariages somptueux.
L’expansion a suscité le dynamisme de groupes locaux comme ITC Hotels, filiale du conglomérat ITC Ltd, symbole d’un luxe abordable avec une forte empreinte écologique, qui compte déjà plus de 100 hôtels sous les marques ITC Hotels, WelcomHotel et Forune.
Quand un génie de la tech bouleverse le paysage

L’aventure OYO est aussi très symptomatique de la révolution hôtelière qu’a connu l’Inde depuis 10 ans. Le récit de l’ascension, de la chute, du renouveau et des menaces qui pèsent à nouveau sur le groupe OYO et son fondateur Ritesh Agarwal, mérite un ouvrage complet. Il est symbolique de l’expertise indienne en matière de technologie en général et de distribution hôtelière en particulier.
Fondé en 2012 autour d’un réseau volontaire d’hôtellerie économique indienne, OYO a réussi en quelques années à fédérer plusieurs centaines de milliers de chambres, bondissant de l’inconnu à la 4e place mondiale. Célébré comme le Mozart de l’hôtellerie Ritesh Agarwal a été soutenu par des banques puissantes (Softbank) et des fonds souverains (Arabie Saoudite) pour exporter son modèle mondialement.
Millionnaire en quelques années, planétaire en très peu de temps, le fondateur et son entreprise ont mal résisté aux défaillances techniques, aux dysfonctionnements, aux promesses non tenues et à la crise sanitaire. Quasiment moribonde, l’entreprise renait en serrant les boulons et en avançant plus prudemment. La crise d’adolescence passée, OYO pourrait s’avérer comme l’une des plus belles réussites indiennes de l’hospitalité.
Les grands groupes internationaux en quête de partenariat et d'acquisitions

Après ce formidable coup de projecteur sur le marché indien, avec d’autres moyens et d’autres approches, les groupes internationaux se sont intéressés de près au développement du tourisme local, régional, international faiblement accompagné par la création d’une offre standardisée.
Marriott International est aujourd’hui le premier opérateur international avec plus de 150 établissements en opération, en priorité les marques haut de gamme dans les grandes métropoles, JW Marriott, The Ritz-Carlton, The St. Regis, W Hotels, The Luxury Collection. Mais le groupe a affiché très vite la volonté de couvrir progressivement tous les créneaux, du voyage d’affaires aux séjours touristiques, avec ses marques emblématiques : Marriott Hotels, Sheraton, Le Méridien, Westin, Renaissance, Autograph Collection, Tribute Portfolio.
Le niveau de développement du pays est à un tel niveau que les autres marques « limited service » sont aujourd’hui de la partie : Courtyard, Fairfield, Four Points, Aloft Hotels et Moxy Hotels.
Rarement investisseur, Marriott International s’appuie notamment sur Chalet Hotels Ltd, qui finance et opère ses marques haut de gamme. Les autres développements sont plus opportunistes et diversifiés à l’instat de K. Raheja Realty ou le Prestige Group.
A travers Sarovar, Louvre Hotels Group, Radisson et donc Jin Jiang ont un pied solidement ancré

Le N°2 mondial, le Chinois Jin Jiang, ne pouvait rester indifférent au potentiel de croissance de ce géant asiatique. En délicatesse diplomatique avec l’Inde, la Chine peut difficilement s’impliquer directement. Jin Jiang s’appuie alors sur ses filiales occidentales qui pris depuis un moment le chemin oriental. Radisson Hotel Group est largement parti à l’assaut des principales métropoles indiennes en déployant tout son éventail de marques : Radisson Blu, Radisson, Radisson RED, Park Inn, Park Plaza, Country Inn & Suites et des extensions spécifiques au marché indien.
Il est, à ce jour, le deuxième opérateur international implanté en Inde. Il compte plus de 200 hôtels en exploitation ou en développement, répartis dans plus de 70 villes à travers le pays avec une forte présence dans les métropoles telles que New Delhi, Mumbai, Bangalore et Chennai, tout en consolidant sa position sur les marchés secondaires et tertiaires comme Raipur, Vrindavan, Ujjain et Sonamarg.
Responsable du développement pour cette zone pour le compte du Radisson Hotel Group, Elie Younes est plutôt enthousiaste : « Nous sommes présents en Inde depuis environ 25 ans, ce qui nous a permis de bénéficier d’un avantage de premier entrant. Nous assistons actuellement à une croissance significative du secteur de l’hôtellerie en Inde. Nous en parlions déjà il y a quatre ans, et cela se concrétise aujourd’hui. À notre avis, on peut s’attendre à trois à cinq années de croissance solide. »
L’entreprise entend capitaliser sur cette dynamique et s’est fixée pour objectif de signer et d’ouvrir 30 établissements hôteliers par an au cours des cinq prochaines années. Elle table sur le succès des marques Radisson dans ses déclinaisons Blu et Red et de la soft brand Radisson Collection.
Radisson Hotel Group s’appuie fortement sur son partenaire local, Treebo Hotels, filiale de RupTub Solutions Pvt, désormais master franchisé indien de la marque Park Inn & Suites, pour doubler ses implantations jusqu’à 150 hôtels avant la fin 2025.

Deuxième fer de lance occidental de Jin Jiang, Louvre Hotels Group a déjà mis un pied en 2017 en Inde en rachetant le groupe Sarovar Hotels. Depuis, il n’a de cesse de s’appuyer sur cette filiale pour développer, non seulement les enseignes Sarovar, mais aussi plusieurs marques de Louvre Hotels, avec déjà une douzaine de Golden Tulip et plusieurs Tulip Inn et Royal Tulip.
Louvre Hotels Group a également signé un partenariat avec Orange Tiger Hospitality Pvt pour investir en immobilier et gérer les opérations des établissements sous enseigne Kyriad. Une dizaine d’implantations marque le début du déploiement de cette enseigne de conversion.
Synergie et mutualisation, la distribution de toutes les enseignes Louvre Hotels est assurée par les équipes de Sarovar.
Le marché hôtelier indien parvient désormais à une forme de maturité, considéré par tous les grands acteurs mondiaux, à la fois comme un territoire d’expansion comme l’ont été avant lui le Moyen-Orient et la Chine, et comme une source potentielle considérable de clients pour leurs établissements hors d’Inde. D’où la nécessité vitale d’y exposer leurs marques et leur identité.
