Chronique francophone 9 : les pays francophones européens en quête d’un nouveau modèle

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Publié le 25/04/24 - Mis à jour le 25/04/24

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Si l’actualité de l’hospitalité montre, dans les pays francophones européens, des avancées dans certains domaines majeurs de la responsabilité sociétale (récupération de la chaleur des eaux usées pour chauffer les établissements, séjours climatiquement neutres avec un système de compensation des émissions de CO2, insertion de personnes handicapées, etc.), il convient d’y analyser la situation économique afin d’en dresser de façon objective les perspectives à court et moyen termes. (Brice Duthion)

En Belgique, des stratégies régionales qui veulent renforcer la proximité et le local

La situation économique et financière de la Belgique n’est pas aujourd’hui inquiétante. Même si la Belgique se caractérise, selon une récente analyse de la direction du Trésor, par une fracture territoriale et linguistique assez forte : le Nord du pays, à majorité flamande, est plus riche et industriel alors que le Sud, francophone, est en proie aux difficultés structurelles liées à la reconversion de ses anciennes filières d’excellence et mise sur quelques secteurs industriels à forte valeur ajoutée pour rebondir (pharmaceutiques et biotechnologiques notamment).

L’économie belge a été portée en 2023 par la consommation des ménages (avec un PIB/hab de 47 350 € en 2022) et l’investissement des entreprises. C’est son taux d’endettement croissant (105,2% en 2024, 109,6% en 2026 du PIB) qui constitue sa principale faiblesse, surveillée par les agences de notation et la Commission européenne.

Le pays a adopté des réformes structurelles (fiscalité, pensions et travail) pour infirmer quelques tendances macroéconomiques baissières. Des projections de la Banque nationale de Belgique misent sur un taux d’inflation inférieur à 2% en 2025 et 2026, sur une augmentation de l’emploi de plus de 250 000 personnes durant la période 2024-2029 pour un taux d’emploi supérieur à 74% en 2029 malgré un vieillissement de la population qui freine l’augmentation de la population d’âge actif.

En Belgique, le tourisme relève de la compétence de chacune des trois régions existantes : la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. Il contribue à la croissance de l’économie belge et au PIB pour plus de 4 % en Flandre et en Wallonie, et plus de 5 % à Bruxelles. La reprise postpandémie a permis de retrouver les ratios « habituels »,

La Flandre poursuit son plan "Résilience flamande"

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Bruges, la "capitale touristique" de la Flandre

En Flandre, le tourisme relève de deux ministères (Justice, Environnement et Aménagement du Territoire, Énergie et Tourisme / Chancellerie et Affaires étrangères pour la politique du tourisme international et des relations touristiques internationales).

La Flandre a élaboré un plan de relance appelé Résilience flamande (Vlaamse Veerkracht), pour la période de 2022-2026. Ce plan prévoit d’aider tous les secteurs économiques, y compris celui du tourisme, à se relever de la crise, avec un budget total d’environ 4.3 milliards €. Dans le cadre de ce plan, 150 millions € sont réservés au tourisme. Ces investissements ciblent principalement les grandes infrastructures et les expériences touristiques portant sur quelques thématiques fortes (patrimoine, cyclotourisme, gastronomie, nature et tourisme social).

Un programme a été lancé, destiné à aider les entrepreneurs indépendants du secteur du tourisme à réaliser des investissements stratégiques, avec 100 % de préfinancement, partiellement remboursable après cinq ans.

La stratégie touristiques est fonde sur le concept "Travel to tomorrow"

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c Thomas de Boveer

Le gouvernement flamand a attribué une enveloppe de 30 millions € à ce programme, complétée par des fonds supplémentaires de la part des provinces et des communes. La stratégie à long terme du secteur touristique en Flandre repose sur les principes du programme « Travel to Tomorrow ».

Ce programme repose sur des principes d’équilibre et de durabilité du tourisme est articulé autour des trois principes : « chercher le bon équilibre » pour créer de la valeur sociale grâce au tourisme pour les habitants et les visiteurs, « s’adapter aux effets de la pandémie de COVID-19 » en travaillant sur la vulnérabilité de l’écosystème et les conséquences des comportements touristiques, « intégrer les personnes, les lieux et les activités dans l’expérience touristique » avec notamment la perspective d’un « accueil sur mesure pour tous ».

Un budget wallon pour le tourisme de 60 millions d'euros

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En Wallonie, le tourisme relève du ministère de la Fonction publique, du Tourisme, du Patrimoine et de la Sécurité routière. Deux entités principales soutiennent le secteur du tourisme en Wallonie : le Commissariat général au Tourisme (CGT) qui est la principale administration en charge du tourisme et a pour mission de concevoir un tourisme de qualité, et Wallonie-Belgique Tourisme (WBT), organisme national de commercialisation du tourisme de la Région wallonne à la fois en Belgique et sur le marché international. 

Le budget wallon alloué au tourisme s’élevait ces dernières années entre 50 et 60 millions €, auxquels il faut ajouter des fonds européens mis à contribution pour des projets touristiques spécifiques. Les tendances structurelles qui touchent le tourisme wallon le réorientent vers le local et l’interne, vers le tourisme vert (activités de plein air, culture locale, durable, bien-être, etc.).

Un plan de relance baptisé  Get up Wallonia

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Présentation de la stratégie Get up Wallonia

Des plans d’aide d’une valeur de près de 25 millions € ont été instaurés dans le cadre du plan « Get up Wallonia ». Ce plan de relance pos-Covid de la Wallonie a soutenu le passage au numérique, a voulu développer l’image de « Wallonie Destination », aider à concevoir une infrastructure durable dédiée au cyclotourisme, réaménager le site des lacs de l’Eau d’Heure, développer le tourisme fluvial et créer des parcs nationaux pour mettre en valeur le patrimoine naturel de la Wallonie.

Une nouvelle stratégie pour le tourisme a été présentée en 2021, « Stratégie tourisme 2030 » autour de quelques axes majeurs :  accroître les retombées économiques du secteur en augmentant les dépenses moyennes, adopter un positionnement stratégique au sujet de deux thèmes propres au tourisme en Wallonie (nature et évasion ; culture, patrimoine et agritourisme), renforcer le développement des compétences et l’attractivité du secteur, attirer plus de touristes belges et étrangers de proximité (français, hollandais et allemands), dynamiser le tourisme d’affaires et adopter des outils innovants permettant de mieux comprendre les attentes et les besoins des visiteurs.

En Suisse, une stratégie à la recherche d’un « équilibre des flux touristiques »   

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Saint Moritz, un haut lieu du tourisme hivernal suisse

La Suisse dispose de marges de manœuvre budgétaires plus grandes et souples que la plupart de ses voisins européens. Ses finances publiques sont saines en dépit des dépenses exceptionnelles pour soutenir l’économie face à la pandémie de Covid-19. La dette publique s’élève à moins de 40 % du PIB, des excédents primaires sont régulièrement dégagés.

La guerre en Ukraine a conforté le statut de valeur refuge de la devise helvétique, qui s’est nettement appréciée en valeur nominale depuis mars 2022, notamment au regard de la dépréciation de l’euro. L’économie suisse est réputée être très compétitive. Elle est tirée par un nombre assez restreint de secteurs, qui investissent massivement en R&D (notamment la pharmacie). Sa main d’œuvre fait partie des plus productives du monde, elle se distingue notamment par la qualité de l’insertion sur le marché du travail, mais le vieillissement rapide de sa population risque d’entraver la préservation de sa compétitivité.

La croissance de l'économie suisse est au ralenti

Les investissements et la création de valeur dans le secteur industriel reculent. La croissance de l’économie suisse sera nettement inférieure à la moyenne en 2023 et 2024. Le secrétariat d’État à l’Economie (SECO) tablait en début d’année sur une progression du PIB de de 1,1% en 2024 et un taux d’inflation sous la barre des 2%.

Le manque de personnel qualifié est appelé à persister en Suisse, comme dans d’autres économies avancées. L’indice de pénurie de personnel a crû de 24% en 2023. Plus de 120.000 places de travail étaient vacantes à la fin du mois d’août 2023 et la Suisse affirme avoir besoin de main-d’œuvre étrangère. L’immigration est l’une des solutions pour répondre à cette pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Mais cette mesure est politiquement controversée.

La Suisse veut capitaliser sur son image d’îlot de paix

Pour 2024, si des géants de la pharmacie helvétique entament un « régime minceur » et des industriels sont en proie à un ralentissement conjoncturel, le secteur touristique est la cinquième plus importante branche en termes de revenus d’exportation. La Suisse veut capitaliser sur son image d’îlot de paix, attirant les touristes venant du monde entier.

Dans une récente interview à la télévision suisse romande, Simon Wiget, directeur de Verbier Tourisme, déclare que « la Suisse sort du lot car elle offre un havre de paix au milieu d’un monde qui s’embrase. Dans un environnement anxiogène, les gens veulent être rassurés. Et la Suisse offre beaucoup de sécurité ». Et ce malgré la force du franc suisse, l’inflation et la diminution du pouvoir d’achat.

« Le surtourisme n’existe pas en Suisse »

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La Suisse veut capitaliser sur certaines données ou quelques éléments statistiques : plus de 40 millions nuitées hôtelières, près de 40 milliards de CHF recettes totales du tourisme suisse pour 16 milliards de CHF de valeur ajoutée brute, 158 092 équivalents plein-temps, 253 445 employés d’hôtellerie-restauration, 28 200 kilomètres réseau de transports publics, 66 694 kilomètres réseau des chemins de randonnée ou 2 434 remontées mécaniques.

C’est le sens de l’action de Suisse Tourisme, une corporation de droit public de la Confédération, qui a pour mission de promouvoir la Suisse à l’échelle mondiale en tant que destination pour les voyages, les vacances et les congrès. Selon sa présidente, Brigitta M.Gadient, le « surtourisme n’existe pas en Suisse », le pays n’est ni Venise, ni Barcelone. Le taux d’occupation moyen des hôtels en Suisse est de seulement 45%. 

Les actions promotionnelles de Suisse Tourisme visent à améliorer la répartition des flux de touristes sur l’ensemble du territoire national et tout au long de l’année. La politique publique en la matière mise sur la qualité de l’infrastructure, la fiabilité et la ponctualité des trains et son approche durable.

Le tourisme a été victime de coupes budgétaires « tous azimuts »

Le budget fédéral voté au Parlement s’élève à 233 millions CHF jusqu’à fin 2027. Le tourisme a été victime de coupes budgétaires « tous azimuts », comme dans de nombreux pays. Cela nécessite de cibler encore davantage les stratégies marketing. La recherche d’un « équilibre des flux touristiques » est revendiqué selon la provenance des hôtes : le modèle recherché est constitué de 45% de touristes résidant en Suisse, 35% provenant de marchés proches et 20% de marchés lointains.

Les touristes suisses sont prioritaires car ils garantissent la stabilité aux prestataires. Pour remplir les hôtels quatre et cinq étoiles en dehors des week-ends et des périodes de vacances scolaires, les actions de promotion helvétiques ont pour cibles les touristes étrangers. C’est l’objet des campagnes lancées depuis quelques années avec Roger Federer comme personnage central.

Ces campagnes internationales sont pensées selon des critères relativement précis, à savoir quatre niveaux : les « marchés prioritaires » générant au moins un million de nuitées hôtelières par an, les « marchés actifs » (plus de 100.000 nuitées), les « antennes » (plus de 40.000 nuitées) et les « marchés émergents » (potentiel d’évolution des nuitées à évaluer).

La Suisse compte bien s'appuyer sur une reprise du tourisme d'affaires

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Les grandes villes suisses relancent le tourisme urbain d''affaires

Enfin, l’un des derniers grands défis du tourisme helvétique réside dans le développement du tourisme d'affaires, facteur déterminant pour la reprise dans les villes. On le sait, le tourisme d’affaires a connu des années difficiles, la pandémie de Covid-19 et les innovations technologiques l’ont profondément modifié. Alors que les voyageurs d’affaire individuels ne reviennent que partiellement, la pandémie a souligné le caractère irremplaçable des rencontres physiques pour le réseautage et les relations personnelles.

Pour autant, la Suisse demeure une destination attractive pour l’organisation de congrès et de manifestations. Ses qualités recherchées (sécurité, situation centrale en Europe, offre de haute qualité) restent inchangées. Les perspectives de croissance pour le tourisme MICE demeurent donc positives.

Des solutions concrètes proposées aux hôteliers

Des travaux initiés en 2020, « Avenir de l’hôtellerie d’affaires urbaine », portés par l’Association romande des hôteliers (ARH), l’École Hôtelière de Lausanne (EHL) et la HES-SO Valais-Wallis ont permis de mener une réflexion globale à propos des difficultés que rencontre la branche. Des solutions concrètes ont été proposées au printemps 2022 pour aider les hôteliers à se repositionner et à générer de nouvelles sources de revenus.

Quatre champs d’action principaux ont été identifiés : l’accueil des locataires, le lieu de travail, le fait de considérer l’hôtel comme une destination à part entière et comme un « noyau social » ou encore comme. Envisagé comme un « noyau social », l’hôtel vise à renforcer les interactions en devenant un lieu d’accueil pour la population locale. Cette démarche lui permet d’accroître sa visibilité et de se diversifier pour générer des revenus supplémentaires grâce à des offres « bien-être » ou des offres à destination des familles, en proposant des chambres familiales, des mini-crèches ou des repas enfant.

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