A quelques semaines des prochaines élections européennes, dont les enjeux politiques et économiques structurels et majeurs échappent aux débats pusillanimes et aux photographies postées sur les réseaux sociaux par quelques candidats en panne de vision, il est bon de rappeler que l’Europe, devenue une union certes imparfaite en 1992, est un espace de paix, de liberté d’échanges et un formidable marché touristique de plus de 500 millions de consommateurs et de destinations multiples répondant aux évolutions sociétales actuelles ou à venir. Brice Duthion
L’Europe, ce continent francophone qui s’ignore…
Il est bon de rappeler que l’Europe est un continent francophone. D’abord par la présence de la France, par le poids de sa puissance historique, sa volonté farouche pendant plusieurs décennies de porter le projet européen en forgeant et en renforçant le couple franco – allemand au gré des changements politiques et des alliances pouvant paraitre a priori contre-nature (Helmut Schmidt – Valéry Giscard d’Estaing, Helmut Kohl – François Mitterrand).
Mais également par un héritage culturel et linguistique, fort et prégnant. Qui se souvient que la langue française fut la langue des élites européennes au XVIIIème siècle, comme le raconta si bien l’historien Marc Fumaroli dans son livre, fameux, « Quand l’Europe parlait français », paru il y a plus de vingt ans ? Il est reste encore aujourd’hui un héritage linguistique fort.
La francophonie est présente au sein de l’Union européenne. Le français est la langue officielle unique en France, c’est également la langue co-officielle de la Belgique et du Grand-Duché du Luxembourg. Dans ces trois pays, les locuteurs francophones représentent une majorité de la population : la France (97%), la Belgique (75%) et le Luxembourg (92%). Si on élargit le champ aux pays membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE), alors la liste des pays francophones s’enrichit de la Suisse, dont l’une des langues officielles est le français.
Même les pays non-francophones ont une forte communauté
Le Portugal est le pays de l’Union européenne qui, en dehors des trois pays francophones déjà cités, présente le plus grand taux de Francophones au sein de sa population (25% de sa population). Les pays frontaliers de la France et de la Belgique présentent des taux de locuteurs francophones élevés. Ainsi, en Espagne, 12% de la population est francophone, aux Pays-Bas 19% de la population, en Italie 19% et en Allemagne 15%. Neuf pays parmi les États membres de l’Union européenne comptent plus d’un million de locuteurs francophones. C’est le cas en France (66), en Allemagne (12,2), en Belgique (8,6), en Espagne (5,4), en Italie (11,5), aux Pays-Bas (3,2), au Portugal (2,6), en Roumanie (2,3), et en Autriche (1,1).
Dans cette première chronique consacrée à l’Europe francophone, un parti a été pris. Celui de ne pas être prisonnier des ensembles politiques et de s’attarder sur deux économies de l’hospitalité aux destinées différentes, à savoir la Belgique et la Suisse.
Bruxelles, véritable capitale francophone de l’Europe ?
La Belgique est un petit État de 12 millions d’habitants. Son économie est ouverte et tertiarisée. En 2022, son PIB était de 554 milliards d’euros (soit 1/5 du PIB français). C’est un carrefour commercial en Europe occidentale, jouissant de bonnes infrastructures de transport (Les ports d’Anvers et de Zeebrugge en Flandre sont deux des principales portes d’entrées de la « Northern Range ») et de communication et d’une main-d’œuvre hautement qualifiée.
65 % des exportations belges sont destinées au marché intra-européen. Ses principaux partenaires commerciaux sont l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. État fédéral complexe composé de trois Régions (la Flandre au nord, la Wallonie au sud et Bruxelles-Capitale) et de trois Communautés linguistiques, la Belgique se caractérise par un Nord relativement plus riche et industriel et un Sud en proie aux difficultés structurelles liées à la reconversion de ses anciennes filières d’excellence. La Flandre représente 58% du PIB, la Wallonie 23% et Bruxelles-capitale (qui bénéficie de la présence des institutions européennes et internationales) 19%.
La Banque Nationale de Belgique (BNB) souligne que la situation des finances publiques est inquiétante, comme pour la majorité de ses voisons européens, dans un contexte de montée des taux d’intérêt en 2022 et 2023. Le déficit budgétaire se situe entre 4,3% et 5,3 % du PIB ces dernières années, loin de l’orthodoxie budgétaire promue par les institutions européennes. La trajectoire de l’endettement publique suit cette tendance et se dégrade avec un ratio d’endettement ascendant (105% du PIB en 2022, 108% en 2023, 109% en 2024 et probablement 111% en 2025). La Wallonie constitue un point de fragilité dans les finances publiques belges, sa dette publique s’élève à près de 30 Md€, présentant un ratio dettes – recettes proche de 180%.
Une dynamique hôtelière réelle observée de près
La Belgique est un pays central en matière de politique européenne. Puisque la plupart des institutions de l’Union européenne siège à Bruxelles, considérée de fait comme la « capitale politique de l’Europe à 27 » autour de la rue de la Loi, la bien nommée. C’est la raison pour laquelle les dynamiques hôtelières y sont observées avec attention, un secteur largement influencé par le tourisme d’affaires.
Les derniers mois ont vu l’ouverture de plusieurs établissements. La gamme hôtelière s’est enrichie avec l’arrivée de The Hoxton, marque d’hôtels ancrée dans la culture et la communauté locales, faisant partie d’Ennismore, branche lifestyle du groupe Accor. Avec l’arrivée également de The Mix, aménagé dans l’ancien bâtiment de la Royale Belge, un projet ambitieux sur plus de 21.000 m2 mêlant hôtellerie, restauration, sport, évènementiel, coworking. Ou bien encore avec l’arrivée de Voco Brussels City, marque lancée en 2018 par InterContinental Hotels Group, sur le campus d’innovation de Living Tomorrow, à Vilvoorde dans une tour moderne de 50 mètres de haut, avec d’immenses baies vitrées, dans un espace verdoyant.
La faiblesse d'offre lifestyle et luxe est progressivement comblée
Ce dynamisme s’explique par plusieurs facteurs : une forte attractivité intrinsèque, un immobilier moins cher que de nombreuses autres capitales, l’absence longue d’offre lifestyle et luxe. L’absence d’un grand centre de congrès freine encore quelques velléités mais la dynamique est excellente.
En 2023, presque une nuitée sur deux consommée en Belgique se déroulait dans un hôtel : sur un total de plus de 44,7 millions de nuitées, l’hôtellerie en représente plus de 46% (un peu plus de de 20 millions de nuitées). Soit une augmentation de près de 47% en une année, avec une répartition inégale entre les trois grandes régions belges : près de 63% des nuitées effectuées en Flandre, 21,3% en Wallonie et 16% en Région de Bruxelles-Capitale.
Dans la Région de Bruxelles-Capitale, le nombre de nuitées s’est réparti en décembre 2023 comme suit : hôtelière (59,7%), gites et meublés (15,8%), centres et villages de vacances (13,5%), auberges de jeunesse (4,1%), hébergement touristique (4,0%) et chambres d’hôtes (2,8%). Le taux d’occupation moyen au printemps 2023 retrouvait quasiment son niveau de 2019, avec près de 69%.
Un RevPAR en hausse de 14,5 % en moyenne et des charges qui explosent
Le secteur HCR en Belgique, HORECA selon la terminologie belge, emploie plus de 110.000 personnes pour un volume d’affaires total de l’ordre de 8,5 milliards d’euros en 2023. Malgré́ une situation difficile lors des dernières années du marché hôtelier belge, les investisseurs et les opérateurs restent optimistes quant aux perspectives à plus long terme, avec notamment une destination très orientée tourisme d’affaires. Même si le secteur hôtelier a rencontré encore des difficultés en 2023, notamment avec l’augmentation des coûts qui a plombé leur rentabilité : le RevPAR a augmenté de 14,5% entre 2023 et 2019, comparée aux 17% de hausse du coût du travail et des 88% relatifs aux coûts de l’énergie durant la même période.
La Suisse, une référence hospitalière, notamment pour les indépendants
La Suisse est le pays européen qui véhicule ou incarne l’image de l’hospitalité. A la fois par son réseau d’écoles hôtelières à la renommée mondiale (EHL, Glions, Les Roches, etc.) et par l’histoire déjà séculaire de son industrie hôtelière. Pour l’anecdote, l’auberge la plus ancienne de Suisse se trouverait à Wettingen, dans le canton germanophone d’Argovie, située dans le district de Baden. L’actuel restaurant Sternen, dans la péninsule du monastère, aurait été mentionné́ pour la première fois en 1227, il servait à accueillir « les femmes membres de la famille et les autres proches des moines ».
La Suisse est la vingtième économie mondiale. Sa population, estimée en 2023 à près de 9 millions de personnes, a doublé au cours du XXème siècle et presque triplé entre 1900 et 2022. C’est un pays de forte immigration. Plus de 2 millions d’étrangers vivent actuellement en Suisse, ce qui représente un quart de la population résidente. Plus de 60% de la population suisse utilise l’allemand comme langue principale. En réalité, l’allemand parlé en Suisse est un ensemble de dialectes alémaniques, regroupés sous la dénomination « suisse allemand ».
Le français est la langue principale pratiquée en Suisse romande, soit 22,8% de la population totale. 8% de la populations sont italophones, principalement au Tessin et dans certaines parties du canton des Grisons et le romanche, parlé par moins de 1% de la population, est répandu dans le canton des Grisons. L’économie helvétique présente des tendances longues et continues excellente : une croissance stable (malgré le conflit en Ukraine ou la chute en 2022 du Crédit Suisse), un faible taux de chômage, des finances publiques saines, des investissements élevés en R&D, une forte compétitivité à l’export (avec un taux d’ouverture de l’économie suisse à 60 % du PIB).
Un souci majeur de recrutement de personnel qualifié
L’un des facteurs économiques les plus marquants que connait la Suisse réside dans la pénurie de main-d’œuvre. Le marché du travail est caractérisé par un quasi-plein-emploi depuis plusieurs années, le taux de chômage est à un plus bas historique (à peine 4 % en 2023). Le nombre de postes vacants a dépassé le seuil des 100 000 à l’été 2022 et pourrait atteindre 250 000 d’ici 2030 d’après une étude d’UBS. La guerre des talents ne cesse de s’accentuer, s’ouvrant, outre la santé, à de nouveaux secteurs comme l’énergie, les transports, l’industrie, le commerce et bien entendu comme partout dans le monde, l’hôtellerie.
En 2023, la taille du marché de l’industrie hôtelière en Suisse est estimée à environ 5 milliards € pour plus de 75 000 personnes employées (2022). Le tourisme compte parmi les branches exportatrices les plus importantes de Suisse. Cette industrie contribue traditionnellement et de manière significative à l’économie du pays. C’est même sans doute l’un des pays à la plus grande tradition en la matière. La Suisse est associée au monde de l’hôtellerie, notamment de luxe. Elle affiche une moyenne annuelle de nuitées supérieure à 35,1 millions enregistrées sur la période 2005 et 2022 ? Les cantons de Zurich, Berne, Grisons, Valais, Genève, Vaud, Tessin, Bâle-Ville et Saint-Gall dominent les dix destinations les plus populaires pour la même période. Les taux d’occupation en 2023 ont retrouvé les niveaux de 2019. La Suisse est restée avec ses ratios économiques stables une destination populaire, promettant une préservation de la valeur immobilière plus sûre et un chiffre d'affaires opérationnel à valeur réelle plus élevé que sur les autres marchés européens.
La Suisse est un pays d’acteurs indépendants. Plus de 88 % des hôtels suisses sont gérés par le propriétaire, avec une moyenne de 46,2 chambres par établissement hôtelier ouvert. Le capital des indépendants est assez limité par rapport aux investisseurs institutionnels, leur portefeuille vieillit. Ces deux tendances sont confrontées à la rareté des concepts hôteliers et au changement générationnel chez les propriétaires d'actifs familiaux. L’organisation administrative, notamment Les bases de données concernant la propriété, le cadastre ou les informations transactionnelles, diffèrent généralement d'un canton à l'autre.
Il manque de chambres mid-scale à Genève et up-scale à Zürich
Pour les investisseurs, les propriétaires, les développeurs et les exploitants, le partenariat avec des spécialistes locaux disposant d'une base de données riche et agrégée, d'une expérience locale et d'un réseau étendu devient un élément crucial. Ainsi, la dynamique du marché local des dix cantons les plus populaires est différente. Le canton de Genève manque de produits positionnés dans le segment « Upper-Midscale » (seulement 6,9 % du nombre total de chambres à Genève) et « Economy » (9,2 %). Pour les cantons de Bâle-Ville, Lucerne, Zurich ou dans le Tessin, la situation est opposée : c’est le nombre de chambres dans le segment de luxe qui est le plus bas. Globalement, dans les grandes métropoles helvétiques, comme Genève, Zurich ou Bâle-Ville, les centres-villes historiques accueillent généralement des établissements plus petits en raison de restrictions historiques et de zonage.
En 2023, le taux d'occupation des chambres a augmenté à Genève (+12%) comme à Zurich (+14%). Zurich a ainsi atteint le niveau de 2019 avec un taux d'occupation moyen de 74,8% contre 64,8% à Genève, inférieur encore à celui de 2019 (71,4%). Le prix des chambres à Genève était 2% plus élevé qu'en 2019, tandis qu’à Zurich la hausse était de 14%, entraînant ainsi une forte augmentation du RevPAR.
Le nombre de nuitées est déjà en hausse de 9%
Sur les onze premiers mois de l’année 2023, l’hôtellerie helvétique a enregistré 38,5 millions de nuitées, soit une hausse de 9% par rapport à la même période de l’année précédente. La part d’hôtes suisses (19,3 millions) et étrangers (19,1 millions) est sensiblement équivalente dans le nombre de nuitées, dans un contexte global de forte augmentation du trafic aérien en 2023 dans les principaux aéroports du pays : 28,9 millions de passagers ont transité par l’aéroport de Zurich (+28% en une année), 16,5 millions de passagers à l’aéroport de Genève (+17%). Les cinq groupes leaders du marché hôtelier en Suisse sont Accor SA, InterContinental Hotels Group, Marriott International, Sorell Hotels (premier opérateur national) et Radisson Hotel Group, filiale du Chinois Jin Jiang.
La dynamique du marché a été relativement calme. Le taux de pénétration des marques internationales et de leurs chaînes augmente chaque année. Plus de soixante marques internationales proposent leurs services en Suisse. Quelques transactions ont marqué l’année dernière. Accor a ouvert un hôtel de la marque Mercure dans l'immeuble « Vulcano » à Zurich-Altstetten, exploité par le groupe allemand Chocolate on the Pillow. L’hôtel Rhodania au centre de Genève a été racheté par un investisseur suisse, tout comme l’Hôtel Suisse, à proximité de la gare de Cornavin.
Au printemps dernier, IHG a annonçait l'extension de son accord avec Tristar GmbH de développement multiple dans toute l'Europe du Nord (plus de 60 hôtels d’ici 2035, notamment en Allemagne, en Autriche, en Suisse). Radisson Hotel Group faisait son entrée sur le marché́ des appartements avec services en Suisse avec l'ouverture du Radisson Hotel Suites Zurich en mai 2023, à proximité de l’aéroport.